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Comment les futurs designers tissent leur rêves

La mode: un mélange d'inspiration et de beaucoup de travail. swissinfo.ch

La Suisse a bâti son économie d'exportation sur son industrie textile traditionnelle. Aujourd’hui, fini la production de masse, mais il subsiste un secteur de niche, notamment grâce à la qualité des designers. Reportage à la Haute-Ecole de Lucerne, la seule à proposer un diplôme en design textile.

Les tables et le sol sont jonchés de croquis, photos, bouts de tissu, fils tordus et autres épaves non identifiables, censées aboutir à la création de nouveaux tissus.

«L’invention d’une collection doit être un processus amusant, comme un jeu qui consiste à ajouter et enlever pour arriver à quelque chose», lance la conférencière Isabel Rosa Müggler.

Ce sont des étudiants de troisième (et dernière) année du programme de Bachelor en design textile à la Haute-Ecole de Lucerne, la seule formation du genre en Suisse. A une heure de voiture du glamour des Journées de la mode de Zurich, mais dans un autre monde, les futurs designers sont réunis ce jour-là pour un cours sur la conception d’une collection.

Chacun vient de passer quinze jours à produire d’innombrables croquis et impressions basés sur un objet aussi basique qu’une tasse à thé ou un cintre à habits. Carmen Boog, elle, a choisi une poignée de guidon de bicyclette. «Je n’ai pas reconnu tout de suite ce que c’était, mais j’ai eu quelques idées sur ce que je pouvais en faire», raconte l’étudiante, qui a commencé par façonner un marqueur en caoutchouc. Elle l’a enduit d’encre pour dessiner des lignes. Le tout a abouti à des croquis délicats de fleurs, dont une version en orange vif.

«Pour ce projet, on ne pouvait avancer qu’à partir du dernier dessin, on n’avait pas le droit de revenir à un élément précédent, et cela a donc été un peu compliqué», commente Carmen Boog, qui, au bout du compte, est arrivée avec cent échantillons.

Elle a alors dû en choisir une petite partie pour créer la base de deux collections potentielles de concepts textiles. Après cela, elle-même et ses camarades ont fait pareil les uns pour les autres, en apportant leur regard critique. Finalement, ils ont créé des combinaisons fusionnant leur travail avec celui de leurs collègues.

Faire les choses soi-même

Mais la théorie n’est qu’une partie de la formation. «Ici, c’est vraiment important de faire les choses soi-même pour apprendre, et donc de se mettre au tissage pour partir à la découverte. ‘À quoi cela ressemble-t-il? Quelle impression cela fait-il?’», explique Tina Moor, responsable du programme de design textile. En plus du tissage, les étudiants apprennent la broderie ainsi que les techniques de l’impression et du tricotage.

«Il y a un langage pour chaque technique. Les étudiants ne fabriqueront pas les textiles eux-mêmes, mais ils devront être en mesure de parler avec les techniciens de la production», ajoute l’enseignante.

Un peu plus loin du bureau de cette dernière, deux étudiantes de première année passent leur pause déjeuner à s’exercer sur la machine à tricoter, une chose compliquée avec des fils tendus dans toutes les directions et de grosses bobines posées sur le sol.

«C’est mon deuxième jour sur cette machine et j’ai beaucoup à apprendre, mais ce n’est pas impossible, dit Marta Alfaro. Nous sommes en train de combiner deux couleurs pour créer un jacquard.»

Sa camarade Carmina Ibanez a choisi du rouge et du vert, les couleurs du drapeau mexicain, plaisante-t-elle. «Ce ne sont pas les couleurs que je préfère voir ensemble mais, quand on débute, cela n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est d’apprendre la technique.»

Formation interdisciplinaire

Pour élargir leurs horizons, les étudiants de design textile collaborent parfois avec ceux des autres départements de la Haute-Ecole de Lucerne. De même, ceux de deuxième année travaillent aussi bien avec le Musée d’histoire qu’avec l’Ecole d’architecture voisine. Pour ce projet, le thème porte sur l’innovation et la tradition, l’idée étant de faire revivre l’artisanat oublié de la région.

Par exemple, Cornelia Stahl a choisi de se concentrer sur les guildes. «J’ai commencé par faire une liste de tout qui m’intéressait, puis j’ai cherché des images pour m’inspirer. J’ai cherché des matières, des motifs, des structures et des travaux artisanaux qui marcheraient avec mon thème. A partir de là, j’ai passé aux couleurs», explique l’étudiante en montrant son travail.

Chaque étudiant dispose d’un espace séparé et chaque atelier accueille entre 16 et 18 personnes, presque que des femmes. Tina Moor relève que les hommes ont tendance à choisir la production, mais qu’elle souhaiterait les voir plus nombreux du côté du design.

Cornelia Stahl aime la variété des possibilités offertes par la carrière qu’elle s’est choisie: «Le tissu m’a toujours intéressée et surtout le fait qu’il peut s’utiliser aussi bien dans la mode qu’en décoration d’intérieur, qu’il n’est pas limité à un seul domaine».

Perspectives d’avenir

Il y a certainement des opportunités pour les jeunes talents en Suisse, selon Nathalie Riggenbach, porte-parole de la Fédération Textile Suisse. «Nous avons quelques grandes entreprises, comme Schoeller Textil ou Création Baumann, qui sont très fortes en innovation. Elles ont toujours besoin de jeunes designers. Tant Swiss Textiles que les entreprises elles-mêmes font de gros efforts pour en trouver des bons», affirme-t-elle.

Cependant, il y a plus de possibilités à l’étranger, souligne Annina Weber, qui a terminé ses études à Lucerne en 2007. «En Suisse, la sélection est limitée. J’ai fait un apprentissage à Anvers avec Christian Wijnants, lauréat du Swiss Textiles Award en 2005», raconte la jeune femme, qui travaille actuellement pour Christian Fischbacher à Saint-Gall, une fabrique de literie, serviettes, tapis et autres tissus d’intérieur. Elle travaille en outre pour le Musée suisse du textile, toujours à St-Gall.

Certains étudiants sont arrivés au textile après d’autres études. Comme Annina Frey, de troisième année, qui a commencé par la couture avant de passer au design textile. «J’ai toujours voulu travailler dans le vêtement et le textile, mais la confection est très stricte. Ici, on peut être plus créatif», affirme-t-elle.

Selon Tina Moor, l’essentiel est la créativité. «Il faut toujours avoir des idées nouvelles» et tant que c’est le cas, «c’est le plus beau métier».

Les Journées de la mode de Mercedes-Benz à Zurich se tiennent du 7 au 10 novembre 2012 et sont ouverts au grand public moyennant un billet d’entrée.

Au programme, des défilés de mode avec divers designers suisses et internationaux, comme Barbara Bui de Paris et Charlotte Ronson de New York. Mais aussi les prix suisses de design et des concerts.

Le déclin des exportations de l’industrie suisse du textile et du vêtement a ralenti en 2011 et la baisse a atteint 5,2 % par rapport à l’année précédente, à 2,99 milliards de francs. Les importations, elles, ont diminué de 1,1 % à 7,59 milliards.

En raison du ralentissement de la baisse, la valeur ajoutée a augmenté de 1,4 % à 1,19 milliard.

 

(Source: Fédération Textile Suisse)

Auparavant, Zurich ne proposait qu’une nuit de la mode, dans le cadre de l’attribution du Prix suisse du textile.

De 2000 à 2010, la Fédération Textile Suisse récompensait de jeunes designers avec ce prix annuel, qui consistait essentiellement en un bon de milliers de francs de tissus suisses. La Britannique Mary Katrantzou et l’Américain Alexander Wang ont figuré parmi les derniers lauréats.

Aujourd’hui, Swiss Textile a créé le Golden Velvet Award, qui récompense les jeunes cinéastes qui ont filmé l’innovation suisse en matière de textile. Le Prix 2012 sera attribué à Zurich le 15 novembre.

(Adaptation de l’anglais: Isabelle Eichenberger)

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