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Entre sexe et blessure

Le «Kanon» de la Lituanienne Ileana Vicius. swissinfo.ch

Le sexe féminin dans tous ses états, c’est ce que propose ces jours le Centre d’art contemporain de Neuchâtel sous le titre de «...Girls, Girls, Girls...» Une exposition que Paris a refusée, et que Neuchâtel a saisie. Attention néanmoins: elle est interdite aux moins de dix-huit ans. Les âmes trop pures sont donc priées de passer leur chemin.

Il y a le féminisme qui voit dans toute représentation de la nudité féminine une scandaleuse illustration de la femme-objet. Les affiches publicitaires de sous-vêtements, systématiquement maculées ces temps, en témoignent.

Et il y a le féminisme qui brandit une sexualité dure, ouvertement pornographique, comme un nouvel étendard – des écrivains comme Catherine Millet ou Virginie Despentes, la cinéaste et actrice X Ovidie, en sont les championnes.

L’exposition que présente le Centre d’art contemporain de Neuchâtel évoque résolument ce féminisme-là. L’iconographie sentimentale ou romantique n’y sont pas de mise. Place à l’imagerie de la chair ouverte, de la sensation affirmée, du fantasme – même trash – mis en pratique.

Le ‘non’ de Paris, le ‘oui’ de Neuchâtel

«Girls, Girls, Girls» dit le titre, comme clignotent les néons entre Pigalle et Place Blanche. Et pourtant, derrière ce titre aguicheur, on trouve un propos moins univoque qu’il en a l’air.

A l’origine de cette exposition, deux Parisiens justement, l’artiste Stéphane Pencréac’h et Richard Leydier, journaliste à Art Press. Après avoir un jour inconsidérément déclaré à leurs compagnes que l’art au féminin était sans intérêt, les deux hommes se sont mis en chasse de femmes artistes qui démentiraient leurs propos. Avec un angle bien précis toutefois: celui de la représentation sexuelle. «On voulait assumer le machisme qui était à la base de cette histoire», explique Richard Leydier.

A l’arrivée, ils souhaitent monter une exposition à Paris. Mais n’essuient que des refus, que le journaliste explique par un double motif: «D’une part, même dans les milieux de l’art contemporain, il y a un vrai problème avec les représentations sexuelles; donc cela peut faire peur. Et d’autre part, le simple fait qu’un sujet puisse apparaître comme racoleur, par nature, peut aussi faire peur. Il y a donc deux réactions assez antagonistes, mais qui entraînent le même résultat».

Suite à ces refus, la directrice d’Art Press, Catherine Millet (auteur de «La vie sexuelle de Catherine M.», Ed. du Seuil) propose de rassembler le travail des deux hommes dans un hors-série intitulé «XL, le sexe par les femmes»… C’est à la lecture de ce cahier – mai 2004 – que le CAN s’annonce partant pour monter l’exposition.

Au rendez-vous, des artistes majoritairement françaises, mais aussi québécoise, allemande, taiwanaise, américaine, lituanienne, ou… suissesse – en l’occurrence, Marianne Müller.

Le pénis, dehors!

C’est un autoportrait peint de la Québécoise Lyzane Potvin en train de se masturber qui vous accueille. Le ton est donc donné. Puis, dans les deux vastes salles du CAN, vous attend une déferlante de corps féminins dans de multiples situations sinon érotiques, en tout cas sexuelles.

«Une chose est frappante, constate Richard Leydier: toutes ces femmes représentent essentiellement des femmes. Je crois qu’il y a peut-être un ou deux sexes d’homme dans toute l’exposition. Ces femmes retournent une image, à la base de nature plutôt pornographique, pour la renvoyer aux hommes. Si on avait eu des œuvres d’hommes, on aurait aussi eu que des femmes, mais sur un mode très différent.»

Et d’ajouter: «Beaucoup de ces œuvres sont des autoportraits. De l’autoreprésentation. Il y a une donnée narcissique chez les femmes, qui n’est pas aussi forte chez les hommes. Le fantasme chez la femme passe beaucoup moins par des images, mais quand elles se représentent, cela passe par le narcissisme.»

Effectivement. Exit le zizi, sinon parmi les photographies signées Chloë des Lysses, les plus proches peut-être de l’imagerie érotique et papier glacé traditionnelle. La vidéo de Kiki Seror est l’exemple le plus frappant de cette évaporation du mâle: un couple y copule joyeusement, mais l’homme a été gommé, transformé en pixels non figuratifs. Seul reste le corps de la femme, en plein rodéo charnel.

Autre vidéo éloquente, non dénuée d’humour: le plan fixe d’un pied féminin reposant sur une couette fleurie («Flower Foot»): la dame se caresse ou fait l’amour, le cadrage ne permet pas de trancher, mais de cet instant jouissif, on ne verra que ce pied, à la fois très éloigné du coeur de l’action et néanmoins chargé d’un fort pouvoir évocateur.

Parfois, la présence de l’homme est suggérée. Ainsi dans les aquarelles faussement naïves de Lamia Ziadé, ou une femme à genou, croupe offerte, semble attendre un assaut imminent. Des fantasmes SM de corde et de clous sont esquissés, ainsi que la pochette d’un album de Leonard Cohen – sa voix grave a toujours fait des miracles auprès des dames. L’œuvre s’intitule «The Rays of Love», et fait référence à la chanson «Love Itself».

Blessure à vif

Mais ce n’est ni l’humour, ni la distanciation qui caractérisent la plupart des œuvres présentées. Plutôt une sorte de goût pour une pornographie dure, hors des chemins ‘conventionnels’ du sexe. Ainsi Lyzane Potvin se peint-elle en train de se caresser, mais aussi en train de laper du lait (?), en sous-vêtements, dans une écuelle posée par terre.

Une image de Ninar Esber nous montre une femme accroupie. Des chaînettes en or sortent de son sexe, masqué par une jupe noire.

Catherine James photographie une femme assise, jambes écartées, face à un cerveau sanguinolent. «Sic Transit Gloria Mundi», dit la légende. Virginie Boursette immortalise son sexe (scanné?), dont dépasse des petits cochons de plastique, sanguinolents eux aussi. Narcissisme, disait Richard Leydier. Oui, mais alors un narcissisme qui joue du dégoût.

«Le désir des êtres humains, c’est quelque chose de très variable selon les individus. On trouve donc des obsessions, des fantasmes assez différents, en fonction de toutes les artistes auxquelles on a fait appel», constate le journaliste français. En effet.

Obsession charnelle, goût de l’artifice et métaphore de la ‘blessure’, les femmes s’affirmeraient-elles soudain plus baudelairiennes que les hommes?

swissinfo, Bernard Léchot à Neuchâtel

«…Girls, Girls, Girls…» est à voir jusqu’au 25 juin au Centre d’art contemporain de Neuchâtel (CAN).
Celui-ci est situé dans un bâtiment industriel du début du 20e siècle, rue des Moulins, au centre ville. Il comporte deux grandes salles d’exposition.
Il propose régulièrement des conférences, et fonctionne également en tant qu’éditeur de livres d’art.

– Cette exposition collective a été montée par deux Parisiens, le journaliste Richard Leydier et l’artiste Stéphane Penchréac’h, sous le parrainage de la sulfureuse Catherine Millet.

– Elle propose des œuvres de Béatrice Cussol, Nicole Tran Ba Vang, Natacha Merritt, Pascale Lafay, Lamia Ziadé, Ornela Vorpsi, Chloë des Lysses, Maria Beatty, Ileana Vicius, Virginie Boursette, Madeleine Berkhemer, Sonia Koumskoff-Raissi, Kiki Seror, Ellen Von Unwerth, Marianne Müller, Catherine Jammes, Ninar Esber, Hsia Fei Chang, Lyzane Potvin.

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