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Expo.02, cela vous dit quelque chose?

Expo.02, un été hors du temps... swissinfo.ch

La dernière Exposition nationale en date... un épisode tourmenté qui se voulait éphémère. Comme promis, les constructions ont été «déconstruites», mais les visiteurs qui ont arpenté cette place de jeu à 1,5 milliard en rêvent encore. Comme ceux qui l'ont faite.

Curieusement, personne n’a encore entrepris de recherche historique. Et pourtant: «arteplage», «event»… ces mots évoquent un psychodrame national, avec ses portes qui claquent, ses invectives médiatiques et son budget qui explose. Mais aussi une fervente euphorie, un sentiment de vivre en arrêt sur image.

Iuri Steiner, ex-responsable de l’Arteplage du Jura, en vibre encore: «Ce n’était plus la gravitation habituelle de ce pays, on vivait dans le train, comme des ‘expatriotes’ sortis de leur orbite normale!»

«Patriotisme light»

L’expo de 39 avait montré une Suisse de yodleurs et d’ingénieurs. Celle de 64, avec son pavillon de l’armée en hérisson, s’était gardée d’inviter les voix critiques. Pour celle de 2002, le pays n’avait pas de message.

C’est l’avis de Pius Knüsel, directeur de Pro Helvetia. «Le pays n’avait aucune idée de ce qu’il voulait montrer et a failli renoncer», rappelle-t-il.

Et de saluer le «grand mérite» du directeur artistique (1999-2003) Martin Heller d’avoir privilégié la diversité, l’éclatement géographique et la génération des années 1960: «Heller a su montrer une Suisse plus impertinente. La génération précédente, comme Fischli & Weiss ou Hirschhorn, était trop imprégnée des idées de 68».

«La génération de 02 et son ‘patriotisme light’, comme Pipilotti Rist, première directrice artistique (1997-1999), a fait de la Suisse un thème sans tabou», renchérit Iuri Steiner.

Un concept plus qu’une exposition

Et d’ajouter: «Ce projet un peu hystérique était fait par des jeunes loups qui travaillaient en commando et gare à ceux qui ne passaient pas la rampe!» Cela, et le malentendu provoqué par l’appel d’offres des organisateurs qui, victimes de leur succès, ont dû recaler bien des projets, a alimenté la polémique.

Par ailleurs, l’expo était d’abord un concept et beaucoup d’artistes ont refusé d’y participer, raconte Johannes Gees, ex-responsable de la communication de l’Arteplage du Jura.

«L’avantage, ajoute-t-il, c’est que les créateurs devenaient des chefs de projet et cette possibilité de ‘cross over’ interdisciplinaire a permis de développer des compétences.» Lui-même est devenu artiste.

Autre exemple: le pavillon «Heimat Fabrik» (Morat) a servi de tremplin aux artistes Gerber Steiner et Jörg Lenzlinger pour réaliser un superbe travail à la Biennale de Venise de 2004.

1939 avait consacré Hans Erni, 1964 Jean Tinguely. Plus que les artistes, 2002 a servi les architectes et les scénographes, remarque Martin Heller. «Il y a eu peu d’expositions avec des produits préexistants. Par contre, on a fait appel à des compétences d’artistes, comme les sœurs Müller qui ont collaboré à la construction du Cube de Jean Nouvel à Morat».

Martin Heller est le grand architecte de Linz, capitale européenne de la culture 2009. Iuri Steiner est directeur du Centre Paul Klee à Berne. Mais l’expo a mis en valeur d’autres «faiseurs d’expositions» de réputation internationale, comme Harald Szeemann, ou le Neuchâtelois Marc-Olivier Wahler, directeur du centre d’art contemporain de Paris.

Trop de concessions…

«En tant qu’œuvre d’art, ma participation était peut-être ratée, surtout parce qu’on a dû faire trop de concessions au sponsor, même si le projet a plutôt plu», confesse Christoph Draeger. Avec Martin Frei et le bureau d’architectes K1, ce plasticien avait présenté Beaufort 12 , sur les catastrophes naturelles, à Neuchatel.

Il ajoute: «Si c’était à refaire, je dirais oui, car cela a été une expérience nouvelle de collaborer avec d’autres gens, avec 10 millions d’entrées, un budget inouï et un vrai salaire pour chacun!»

Autres gagnants, les scénographes, danseurs et musiciens qui ont animé les cinq arteplages. Le violoniste Paul Giger reconnaît que «l’immense public d’Expo.02» l’a révélé, lui et la nouvelle musique appenzelloise. Ou les danseurs Zimmermann/de Perrot, avec leur spectacle «Gopf», joué dans le monde entier.

De même pour l’écrivain Lukas Bärfus, auteur du spectacle du 1er Août 2002. Le «Théâtre des Singes» a fait scandale à l’époque mais lui a permis de développer une grande fertilité artistique dans le monde entier.

Polar, chanteur-compositeur irlando-genevois, auteur d’un spectacle avec Die Regierung, orchestre de handicapés st-gallois, a encore les yeux qui brillent: «J’ai découvert la Suisse orientale, le dialecte, le handicap. J’étais fier que ce pays donne de telles opportunités!» Après l’expo, Polar a signé un contrat avec la maison de disques EMI.

Un «avant» et un «après»

Après, ce fut la gueule de bois, confesse Iuri Steiner: «On a eu de la peine à se recaser car la culture était en dépression».

Et puis il y avait eu les attentats de 2001, le grounding de Swissair: «L’Expo a peut-être été la dernière émanation d’un siècle qui s’achevait sur la légèreté des années 1990. Aujourd’hui, les gens me semblent un peu perdus», ajoute-t-il.

Certains parlent de la prochaine exposition, par exemple pour l’inauguration du tunnel du Gothard, en 2017 ou 2018. Une expo décentralisée dans l’espace alpin? Avec le grand retour des ingénieurs? Pourquoi pas répond Martin Heller. «On a assez de banquiers mais plus assez d’ingénieurs.»

Et de rêver à ce qu’on pourrait faire avec le plan de sauvetage dont bénéficie UBS: «60 milliards, ça ferait 35 expositions nationales et 150 arteplages!»

Isabelle Eichenberger, swissinfo.ch

1995: le Conseil fédéral lance le projet et nomme Francis Matthey à la présidence (remplacé en 1999 par Franz Steinegger).

1997: Jacqueline Fendt est nommée directrice et Pipilotti Rist directrice artistique, lesquelles sont remplacées en 1999 par Nelly Wenger et Martin Heller, après avoir frôlé la faillite.

2002: Prévue en 2001, la manifestation est reportée d’un an et le Parlement ajoute 200 millions de francs. Le coût total sera de 930 millions pour la Confédération sur un total de 1,5 milliard.

Cinq sites. La 5e Exposition nationale s’est déroulée du 15 mai au 20 octobre 2002 sur 5 sites (Neuchâtel, Bienne, Morat, Yverdon, Jura) dans la régions des 3 Lacs, à cheval sur la frontière des langues et avec l’eau pour fil rouge. Elle a comptabilisé 10, 28 millions de visiteurs et un Suisse sur deux l’a visitée.

Cycliques. Les expositions nationales existent depuis 1883 (Zurich) et reviennent tous les 25-30 ans. Elles jouent un rôle de miroir de la société suisse.

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