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Formation d’imams en Suisse: un casse-tête

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Une récente étude a révélé, chez les musulmans comme les non-musulmans, un large consensus en faveur de la formation du clergé et des pédagogues musulmans en Suisse. Ce constat étant dressé, reste à le traduire dans la réalité...

«80% des personnes consultées sont favorables à l’enseignement d’un Islam authentique, mais approprié au contexte suisse, par des imams formés au moins en partie ici plutôt qu’à l’étranger», résume Ulrich Rudolph, professeur à l’Institut d’études orientales de Zurich.

Mandaté par le gouvernement, le Fonds national suisse de la recherche (FNS) a ainsi offert la première étude du genre, réalisée auprès des communautés religieuses, des partis et autorités politiques, des hautes écoles et de juristes.

Résultat: il n’existe aucun obstacle juridique à l’introduction d’une formation. «Comme dans le clergé chrétien, l’imam devrait être à la fois prêcheur et pédagogue», précise Ulrich Rudolph, co-auteur de l’étude.

Stéphane Lathion, du Groupe de Recherche sur l’Islam en Suisse (GRIS), est surtout frappé par «le consensus au sein des musulmans sur le besoin d’avoir des responsables mieux armés pour répondre à leurs questions pragmatiques sur la vie quotidienne en Suisse».

Mais s’il faut améliorer l’intégration des musulmans, le défi consiste aussi à assurer la transparence du rôle éventuel d’Etats étrangers (où sont formés les imams) et l’indépendance académique. Mais aussi à lutter contre l’intégrisme, un souci exprimé par la grande majorité des musulmans interrogés par le FNS.

Un débat faussé

«Légitimement, les pays européens cherchent là à empêcher les dérapages intégristes», relève Stéphane Lathion. Mais pas question qu’un Etat parle de former des imams: «Question communication, c’est nul et cela ferait fuir tous les candidats. Et cela consisterait donc à former de futurs chômeurs».

Et d’expliquer que les imams sont choisis par la base de leur communauté. «Il n’y a que dans les dictatures où les imams sont imposés d’en haut». C’est pourquoi cet expert préconise une formation de «cadre associatif musulman», car le terme d’«imam» fausse le débat. C’est donc le terme choisi pour une formation complémentaire en modules que sera inaugurée au printemps 2010 à l’Université de Fribourg.

Un autre projet de création d’une chaire à l’Université de Bâle, financée par le Koweït et une fondation islamique, est par contre bloqué depuis cinq ans. D’un côté, les sponsors réclament un contrôle sur le contenu et le choix des enseignants, de l’autre l’Alma Mater défend son indépendance. Quant au gouvernement cantonal, il refuse son soutien financier.

Islam et laïcité

A court terme, Stéphane Lathion préconise une formation complémentaire permettant aux imams formés à l’étranger de se familiariser avec le contexte suisse. «Pour répondre à la demande, il faut adapter notre offre en proposant à la fois une formation sur nos institutions et notre culture, mais aussi sur l’adaptation de l’Islam à la vie occidentale.»

C’est le cas en France, où il existe un institut privé très orienté idéologiquement mais aussi l’Institut catholique de Paris qui «forme des imams à la laïcité», selon son propre slogan. Ce pourrait être une option pour la Suisse.

A plus long terme, on pourraient s’inspirer des relations entre l’Etat et les Eglises chrétiennes. Comme en Autriche, qui reconnaît l’Islam comme religion d’Etat et où les enseignants sont formés à l’Académie de pédagogie islamique et deviennent des fonctionnaires.

Un statut juridique

Selon le FNS, les musulmans eux-mêmes souhaitent que l’instruction religieuse soit introduite dans les écoles (plutôt que dans les mosquées) selon le modèle chrétien, comme la formation et la rétribution des imams. Un impôt similaire à l’impôt ecclésiastique pourrait aussi être prélevé.

Cette suggestion est soutenue par le Suisse Tariq Ramadan, professeur d’études islamiques à l’Université d’Oxford. «Le caractère mixte du financement permettrait de garantir l’indépendance politique et financière du processus», a-t-il déclaré à l’agence de presse ATS.

Pour cela, Stéphane Lathion relève qu’il faudrait donner un statut juridique à l’Islam. Or, de récentes votations à Berne, Zurich et Bâle ont montré que, «pour les Suisses, c’est trop tôt.»

Une reconnaissance indirecte

En attendant, pour casser tout antagonisme entre concepts religieux et cadre légal laïc, il faut jouer une «reconnaissance indirecte» et donner aux imams les outils qui leur manquent. Stéphane Lathion se réjouit de tester sa formation et ce que pourrait devenir le certificat prévu.

Si le FNS révèle une forte demande d’intégration des musulmans et leur confiance dans les institutions, c’est en contraste avec l’attitude des Suisses qui, selon certaines enquêtes, avouent avoir plus peur des musulmans que… des scientologues. Surtout depuis les attentats de 2001.

La balle est dans le camp du Conseil fédéral (gouvernement), qui attend lui aussi le verdict du peuple lors la votation fédérale du 29 novembre prochain sur l’initiative très controversée qui vise à interdire la construction de minarets.

Isabelle Eichenberger, swissinfo.ch

Quoi. «Formation en Suisse des imams et des enseignants en religion islamique?» a été réalisée dans le cadre du programme national de recherche «Collectivités religieuses, Etat et société» (PNR58).

Comment. Des chercheurs de l’Université de Zurich ont interrogé une centaine de représentants des communautés musulmanes. Ils ont aussi consulté 40 collectivités religieuses, partis et autorités politiques, hautes écoles et juristes.

Résultat. 80% sont favorables à une formation des imams en Suisse à un niveau académique et dans une des langues nationales, pour favoriser une meilleure connaissance du contexte helvétique et contrer l’extrémisme.

Il y a plus de 350’000 musulmans en Suisse – 5% de la population – en grande majorité originaires des Balkans et de Turquie.

C’est la 2e religion du pays, après le christianisme.

En 2006, les deux tiers des quelque 160 mosquées suisses avaient un imam permanent formé dans son pays d’origine.

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