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Henry Dunant, l’autre face de la gloire

"Un jeune homme en chemise blanche, jambes et pieds nus, regard halluciné." comedie.ch

Simone Audemars porte sur la scène de la Comédie de Genève la vie du Suisse qui a fondé la Croix-Rouge.

S’appuyant sur un texte de Michel Beretti, elle dévoile le visage d’un homme tourmenté qui cherche dans la grandeur de l’Histoire la sienne propre.

Un petit déclic suivi d’un éclair de magnésium. Et voilà que se projette sur le grand rideau de scène le visage d’Henry Dunant, toque et barbe blanche de vieux patriarche. Le rideau tombe et gît par terre.

Flash-back. Entre alors en scène un jeune homme en chemise blanche, jambes et pieds nus, regard halluciné. Son habit et ses yeux soulignent un immense effroi. Son geste lui donne de la hauteur: d’une main frêle, Henry Dunant (Michel Voïta) s’empare du rideau, le froisse dans ses doigts et le serre contre lui.

De toutes ses forces, l’homme s’accroche à son image. Cette image échouée sur le sol qu’il essaiera de redresser et de défendre jusqu’au bout. Telle est sa tâche. Telle est aussi la destinée que lui réserve le Français Michel Beretti, auteur de ce «Dunant» que la metteuse en scène romande Simone Audemars crée à la Comédie de Genève.

Hors temporalité

Beau, inquiétant, le début du spectacle se révèle être un souvenir de Dunant. Une remémoration poético-épique de sa propre vie, d’où est banni le déroulement linéaire des faits.

Beretti, à qui Audemars a passé commande de ce texte, ne rend pas Dunant à la réalité. Au contraire, il le soustrait à toute temporalité. Son texte est tout sauf une reconstitution historique.

Il s’agit plutôt d’un processus de réflexions et d’interrogations déguisées en flashes-back. Lesquels se succèdent à un rythme rapide, haché, favorisant la touche impressionniste plutôt que le portrait épuré du héros. On découvre ainsi plusieurs Henry.

Pluralité des visages

Henry face à la mort et aux blessés de Solférino, vision d’horreur sur laquelle s’ouvre le spectacle. Henry opposé à l’austérité de sa famille genevoise. Henry aux prises avec son rival Gustave Moynier, puis avec ses banquiers et les actionnaires de sa société. Henry confronté à sa maladie, une douce folie à laquelle se heurtent ses illusions.

S’il existe donc plusieurs Henry, il n’y a qu’un seul Dunant. Celui qui cherche dans la grandeur de l’Histoire de quoi rehausser et majorer la sienne propre. Le fondateur de la Croix-Rouge réclame sans répit «la reconnaissance que l’Humanité (lui) doit». Il est narcissique, et c’est là son drame.

C’est aussi le versant le plus intéressant de son personnage. Du moins si l’on suit le profil qu’en dessinent Michel Beretti et sa metteuse en scène.

Quant à l’interprétation qu’en donne Michel Voïta, elle reste lisse, un peu trop pour un personnage en proie à des souffrances intérieures. Si l’acteur réussit très bien à incarner les différents visages d’Henry Dunant, il peine à éclairer les forces qui s’y cachent.

Autrement dit les soubresauts d’une conscience multiple, opaque, mais trouée de lumière et travaillée par la pesanteur du conditionnement social.

Sept comédiens (Hélène Firla, Jane Friedrich, Georges Grbic, Virginie Meisterhans, Olivier Périat, François Revaclier et Michel Toman) s’emploient à donner corps à cette pesanteur. Ils incarnent une quarantaine de personnages et autant de freins à la reconnaissance revendiquée par Henry Dunant.

Ghania Adamo, swissinfo.ch

«Dunant». Comédie de Genève; jusqu’au 29 mars. Tel: 022/320 50 01

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