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«Pas d’ex-détenus de Guantanamo sans sécurité»

La ministre de la Justice Eveline Widmer-Schlumpf appelle de ses voeux une campagne basée sur les faits sur la question des minarets. Pixsil

Eveline Widmer-Schlumpf souhaite que le débat sur l'initiative sur les minarets soit factuel et non émotionnel. Dans une interview, la ministre de la Justice souligne par ailleurs que l'accueil d'anciens détenus de Guantanamo ne doit pas conduire à des problèmes de sécurité.

swissinfo.ch: Il existe depuis des mois une discussion interne à l’administration concernant l’accueil d’anciens détenus de Guantanamo. Quand le gouvernement américain recevra-t-il une réponse?

Eveline Widmer-Schlumpf: Le gouvernement américain recevra une réponse dès que le gouvernement suisse aura pris une décision définitive quant à l’éventuel accueil d’un ou de plusieurs anciens détenus de Guantanamo.

swissinfo.ch: De quels pays proviennent ce gens?

E. W.-S.: Je ne peux actuellement pas vous le dire. Il n’y a pas de préférences au niveau des pays. Il existe en revanche des pays pour lesquels la question ne se pose pratiquement pas, car on sait que cela pourrait déboucher sur des problèmes.

swissinfo.ch: Quels sont les facteurs qui seraient totalement rédhibitoires pour l’accueil d’anciens prisonniers?

E. W.-S.: Il faut naturellement qu’il ne s’agisse pas de personnes qui ont un passé de terroristes et qui ont les liens avec des organisations en Suisse. Ce serait impossible. Nous ne pouvons ni ne voulons nous attirer des problèmes de sécurité.

swissinfo.ch: En 2008, la Suisse avait refusé la demande d’asile de prisonniers de Guantanamo – assiste-t-on à un revirement?

E. W.-S.: Le rejet de ces trois demandes d’asile était justifié, car les conditions légales d’une reconnaissance du statut de réfugié n’étaient pas remplies.

Vu sous l’angle du droit d’asile, les prisonniers de Guantanamo ne sont pas – et c’est toujours le cas aujourd’hui – des réfugiés, mais des prisonniers libérés pour lesquels on recherche un pays d’accueil pour des raisons humanitaires. Actuellement, nous vérifions si certaines personnes peuvent être accueillies en conformité avec le droit sur les étrangers.

swissinfo.ch: Compte tenu des autres dossiers en cours – accord de double imposition, UBS – il n’est évidemment pas question de dire «non» aux autorités américaines…

E. W.-S.: Si les conditions ne sont pas remplies d’un point de vue juridique, nous devons alors dire «non».

Nous ne pouvons du reste pas lier ces questions, qui doivent être étudiées séparément. Si les conditions sont réunies, nous aviserons. Et naturellement, si cela peut en plus générer du goodwil et influencer positivement les relations bilatérales avec les Etats-Unis, c’est très bien.

swissinfo.ch: Par rapport aux autres personnes en quête de protection, c’est-à-dire les demandeurs d’asile, vous souhaitez des procédures plus dures. Pourquoi?

E. W.-S.: Nous souhaitons être conséquents dans ce domaine. En effet, comparativement aux pays qui nous entourent, la Suisse a été confrontées à un plus grand nombre de demandeurs d’asile au cours des dernières années.

swissinfo.ch: Il y a à l’intérieur de l’Europe une discussion sur une répartition plus équitable de cette charge. C’est en tout cas ce que demandent notamment l’Italie, la Grèce et Malte. Y êtes-vous favorable?

E. W.-S.: Si la Suisse est prise en compte, cela allégerait certainement la charge pour nous. Je pense que nous devrons en arriver à un tel mécanisme à moyen ou à long terme.

Nous connaissons du reste déjà un tel système en Suisse. En effet, nous répartissons les demandeurs d’asile dans les différents cantons sur la base du chiffre de leur population.

swissinfo.ch: Venons-en aux minarets, à propos desquels le peuple est invité à voter. Comment expliquez-vous à l’étranger qu’un tel vote soit possible en Suisse?

E. W.-S.: C’est la démocratie directe: les citoyens votent sur un initiative constitutionnelle. Je soutiens ce système, même s’il provoque des discussions très difficiles, comme c’est le cas dans ce cas précis. Il existe toujours une tension, avec d’un côté les droits populaires et de l’autre le droit fondamental, le droit constitutionnel et le droit international.

En Suisse, nous n’invalidons une initiative que lorsqu’elle va à l’encontre du droit international impératif. Or ce n’est pas le cas avec l’initiative sur les minarets. On peut certes discuter de cette disposition, mais dans un Etat de droit qui connaît la démocratie directe, on ne peut pas tout simplement l’invalider en modifiant la pratique.

swissinfo.ch: Au Parlement, vous avez déclaré avoir confiance dans les citoyens…

E. W.-S.: J’ai quelques années d’expérience dans la politique cantonale et fédérale. Et je constate que les citoyens sont en mesure de raisonner de manière nuancée et de prendre en considération les conséquences d’un oui ou d’un non.

Nous avons déjà eu différents débats très difficiles. Mais ce que je souhaite, c’est que le débat reste factuel et non pas émotionnel.

swissinfo.ch: Un autre thème fait déjà l’objet d’un débat émotionnel: la publication de plus en plus fréquente de photos de personnes recherchées sur Internet.

E. W.-S.: Les conditions nécessaires pour la publication de personnes recherchées sur Internet sont définies dans les procédures pénales cantonales.

En général, il faut présenter une présomption de culpabilité qui soit concrète. Je pense que l’utilisation de ces recherches sur Internet devrait constituer une exception, dans les cas de graves délits. Et ceci pour des raisons de protection des données. En effet, lorsque quelqu’un est libéré, il est difficile d’«effacer» la recherche. Ce qui a été publié une fois sur Internet est public.

swissinfo.ch: Mais votre marge de manœuvre est restreinte, compte tenu du système fédéraliste suisse…

E. W.-S.: Les cantons sont suffisamment sensibilisés au fait qu’il existe des limites. Mais nous en discuterons encore avec les ministres cantonaux responsables. Nous essaierons également de parler des moyens de parvenir à une certaine harmonisation entre les cantons – et ce, sans contrainte de la part de la Confédération.

Eva Herrmann et Geraldo Hoffmann, swissinfo.ch
(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)

D’où. Agée de 53 ans et juriste de formation, Eveline Widmer-Schlumpf vient du canton des Grisons.

UDC. Elle a été membre du gouvernement des Grisons de 1998 à 2008 sous l’étiquette UDC (Union démocratique du centre / droite conservatrice).

Berne. Le 12 décembre 2007, elle a été élue au gouvernement fédéral à la place de son collègue de parti Christoph Blocher.

PBD. Cette rocade voulue par le Parlement a créé de forte tensions aux sein de l’UDC. Sommée par son parti de démissionner de son poste de ministre, Eveline Widmer-Schlumpf a préféré rejoindre la nouvelle formation créée par des dissidents de l’UDC: le Parti bourgeois démocratique (PBD), qui compte actuellement 6 siège au Parlement.

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