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Hugo Loetscher, bien au-delà de Zurich

Keystone

Mon époque était-elle la mienne? C'est en substance le sens du titre du nouveau livre de Hugo Loetscher, War meine Zeit meine Zeit, qui sort ce 21 août. Un bilan littéraire de sa vie qui, soudain, se transforme en legs: Hugo Loetscher est décédé mardi à presque 80 ans.

Il voulait encore partir en Syrie cet été, s’était renseigné à propos des écrivains syriens, du climat et de l’hébergement à Damas. Hugo Loetscher avait toujours un nouveau voyage en tête, il sera resté un homme curieux jusqu’au bout. Au cours de ces dernières années, il a particulièrement côtoyé le monde arabe, l’Égypte, la Tunisie, la Libye.

L’opération du cœur qu’il devait subir ne le perturbait pas plus que cela. Peu avant, lors d’une interview radiophonique, alors qu’on l’interrogeait sur l’avenir des relations entre la Suisse et l’Union européenne, il répondait, mi-sérieux, mi-ironique: «Oh vous savez, l’avenir… je ne sais même pas si je serai encore en vie cet automne».

Des pieds, pas des racines!

Hugo Loetscher fut à la fois un homme cosmopolite et un Suisse qui ne se sentait pas à l’étroit dans son pays, où il est toujours revenu. Il y ramenait ses expériences acquises ailleurs, au Brésil ou en Egypte. Ainsi ce constat que les Arabes et les Suisses allemands ont pour point commun l’utilisation d’une langue écrite et, à l’oral, d’une multitude de dialectes.

«Ce sont les arbres qui ont des racines, pas les hommes», a-t-il dit un jour. «Les humains ont des pieds pour marcher». Pour autant, il ne reniait pas ses origines, lui qui se définissait comme un «secundo»: son père, ouvrier, catholique, avait quitté Lucerne pour habiter Zurich la protestante.

A Zurich, Hugo Loetscher, a été marginalisé dès le début: il vivait de l’autre côté de la rivière Sihl. «La vraie ville, mais qui était de l’autre côté de la rivière, dit-il en substance dans son nouveau livre, War meine Zeit meine Zeit, dont il ne verra pas la publication.

«Comme tout le monde, je suis venu au monde sans qu’on ne m’ait rien demandé. Mais je fais partie de ceux qui ont essayé de mettre cela à profit», dit-il en ouverture de cet ouvrage, sorte de retour sur sa vie, sur ce qu’il en a fait. La recherche du dépassement de soi, avec le sens de l’humour et de la poésie. «Les blessures qui frappent l’esprit et la poésie qui tente de guérir», écrit-il. Hugo Loetscher, journaliste, intellectuel et écrivain, pensait et écrivait par métaphores.

Un autre regard

Après des études de sociologie, de philosophie, d’histoire et de littérature à Zurich et à Paris, Hugo Loetscher a travaillé à partir de 1958 en tant que rédacteur à la célèbre revue culturelle «du», et à partir de 1964 dans la «Weltwoche».

Dans son premier roman déjà, «Abwässer. Ein Gutachten» (Les égoûts), en 1963, il regarde le monde d’en bas avec un regard subversif, qui joue de la révélation de l’obscur, du caché.

Des eaux usées et de la Sihl, il passera ensuite à l’Amazone, au Nil, au Mékong, au Yang-Tse-Kiang.

«Der Immune» (1975) sera son premier ouvrage autobiographique, qui traitera de la question de l’identité et de son expérience au Brésil. En 1999, «Die Augen des Mandarin» (Les yeux du Mandarin) nous amèneront en Chine à la rencontre d’un mandarin aux yeux sombres qui demande à un Européen de passage: «Peut-on voir avec des yeux bleus?»

Après la mort de Dürrenmatt et celle de Frisch, Hugo Loetscher était devenu une sorte de pape de la littérature suisse alémanique, sans qu’il fît pour autant beaucoup de tapage.

Il représentait ce qui se faisait de mieux en matière de critique de la société : un esprit acéré, de l’humour et de l’amour, mais jamais de ressentiment. Hugo Loetscher était un solitaire qui vivait volontiers parmi les autres. Il va leur manquer…

Susanne Schanda, swissinfo.ch
(Traduction et adaptation de l’allemand: Bernard Léchot)

Multiculturel. Polyglotte, grand connaisseur du Brésil et de l’Asie du sud-est, Loetscher était à cheval sur les cultures et les genres littéraires et fut en 1992 lauréat du Grand Prix Schiller, la plus haute distinction littéraire suisse.

Citadin. Ce citadin convaincu, né en 1929 dans un quartier ouvrier de Zurich, ne se reconnaissait pas non plus dans la «Heimatlitteratur» glorifiant la vie campagnarde. Ce n’est donc pas un hasard si la ville – Zurich (La tresseuse de couronne, Saison), Los Angeles (Un automne dans la Grosse Orange) ou une ville anonyme (Les égoûts) – joue un rôle central dans son oeuvre.

Enseignant. Professeur invité aux Universités de Fribourg, de Californie du Sud, de Munich, de Porto ainsi qu’à la City University de New York, Hugo Loetscher était aussi membre de l’Académie des langues et de la poésie de Darmstadt, en Allemagne.

Traduit. La grande majorité de ses romans ont été traduits en français et publiés à Paris.

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