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Irene Bignardi, la fourmi cinéphile

Irene Bignardi, une directrice volubile et travailleuse. Keystone

Depuis quatre ans, Irene Bignardi est à la tête du Festival international du film de Locarno.

Dans cette interview accordée à swissinfo, elle évoque son travail et confie ce qu’elle a découvert de la Suisse par la fenêtre du Tessin.

C’est en 2001 qu’Irene Bignardi prend les commandes du festival de Locarno. Auparavant, la Milanaise s’est illustrée comme l’une des meilleures critiques de cinéma en Italie. Cette spécialiste du monde culturel anglo-saxon fut également l’amie des plus grands, comme Federico Fellini ou l’écrivain Alberto Moravia.

L’ancienne journaliste de La Republica évoque pour swissinfo un festival imprégné, cette année, par l’actualité et son travail en Suisse.

swissinfo: Jusqu’où êtes-vous prête à aller pour l’emporter face à la concurrence des autres festivals de cinéma et obtenir un film?

Irene Bignardi: Jusqu’aux limites de la politesse!… (éclats de rire) Je m’impose surtout une ligne: le travail, toujours le travail et encore le travail. C’est le seul moyen de s’imposer face à une concurrence qui se fait de plus en plus dure chaque année.

Nous voyons une énorme quantité de films, sans doute beaucoup plus que les organisateurs de n’importe quel autre festival, qui misent peut-être plus sur des valeurs sûres.

1500 films sont arrivés ici. Et j’en ai vu personnellement au moins 700 ou 800. Mon groupe de travail s’est partagé les autres. Ensuite, il s’agissait encore de choisir parmi ceux qui avaient été retenus lors la première sélection.

swissinfo: Cette année, Locarno met l’accent sur le cinéma au service de la réalité. Une tendance qui s’était déjà dégagée à Cannes. La Palme d’Or à Michael Moore n’est qu’un exemple.

I.B.: Le documentaire a fait un retour en force, encouragé par l’actualité. Si le monde était beau, tranquille et serein, si tout était idyllique, il n’y aurait pas de cinéma engagé. Comme disait Tolstoï, les familles heureuses n’ont pas d’histoire.

A Locarno, nous avons aussi reçu beaucoup de films politiques, cette année. D’ailleurs, la rétrospective 2004, «News Front», qui s’intéresse au thème du journalisme au cinéma, propose de très beaux documentaires.

Nous avons commencé à préparer cette rétrospective il y a un an déjà. La Palme d’Or attribuée à Michael Moore nous a donné raison. Elle a démontré que nous avions choisi un thème important.

swissinfo: On a le sentiment que les femmes s’imposent petit à petit au cinéma, dans un monde qui reste malgré tout dominé par les hommes. Est-ce une réalité?

I.B: Assurément. Lorsque nous sélectionnons les films, nous ne nous préoccupons pas de quotas, autrement dit de savoir si un projet est réalisé ou non par une femme. Mais, au final, on se rend compte qu’il y a énormément de talent féminin dans le cinéma: des actrices, des réalisatrices, etc.

Je me souviens de l’une des premières manifestations cinématographiques féminines, en 1975, à Rome. La liste des réalisatrices se limitait à une vingtaine de noms.

Aujourd’hui, leur nombre est impressionnant. C’est peut-être plus difficile pour elles que pour leurs collègues masculins. Mais lorsqu’elles font quelque chose, elles le font bien.

Cette année, nous avons par exemple une excellente productrice italienne, Tilde Corsi. Et deux films français sont, par hasard, réalisés par des femmes. Sans compter toutes les autres…

swissinfo: Durant ces années passées à Locarno, qu’avez-vous découvert de la Suisse et de ses habitants que vous n’imaginiez pas auparavant?

I.B: Que les Suisses n’existent pas! Les Tessinois, les Romands, les Alémaniques… toutes ces différentes tribus existent. Pas les Suisses.

Dans ce coin de terre paisible, j’ai aussi découvert qu’il y avait plus de rivalités que je ne l’imaginais. Mais j’apprécie toujours la courtoisie des gens et la beauté des lieux.

Bien sûr, je connais surtout les Tessinois et les Suisses alémaniques. Ces derniers me semblent très sérieux et ils restent un peu mystérieux à mes yeux.

Il faut dire que je ne parle pas l’allemand. Nous communiquons donc en anglais ou en français, ce qui n’est certainement pas le moyen le plus naturel pour faire connaissance.

En résumé, ce que j’ai vraiment découvert durant ces quatre ans ici, c’est que la Suisse n’est pas placide comme je le pensais au départ.

swissinfo: Qu’avez-vous appris sur la manière de travailler, ici, au Tessin?

I.B.: Je ne sais pas si je peux le dire… en tant que Lombarde, pas grand chose. Je partage le même amour du travail bien fait.

Pour ma part, j’ai apporté un peu de folie italienne et de démesure. Nous avons par exemple travaillé jusqu’à des heures impossibles, ce qui n’est pas forcément dans l’ordre des choses en Suisse.

Interview swissinfo, Raffaella Rossello
(traduction: Alexandra Richard)

57e édition du Festival international du film de Locarno: 4 au 14 août 2004
19 films, provenant de 17 pays, en compétition internationale
Parmi eux, un long métrage suisse: «Promised Land»

Cette année, Locarno est tourné vers le cinéma du réel.

Plusieurs films engagés politiquement et plusieurs documentaires sont au programme.

La rétrospective, «News Front» est consacrée au journalisme dans le cinéma.

Carl Bernstein, qui a révélé le scandale du Watergate avec son collègue journaliste Bob Woodward, sera également présent à Locarno.

Le photographe suisse René Burri est président du jury.

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