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L’alcoolisme des parents fait souffrir les enfants

Les bouteilles sont omniprésentes dans les dessins des enfants d'alcooliques. Keystone Archive

Plus de 50'000 enfants en Suisse vivent avec au moins un parent alcoolique, selon les milieux de prévention de l’alcoolisme.

Dans de nombreux cas, leur développement en est affecté. Pire: ces enfants risquent de devenir eux-même dépendant de l’alcool ou de drogues.

L’Institut suisse de prévention de l’alcoolisme et autres toxicomanies (ISPA) a remarqué que de nombreux enfants d’alcooliques sont témoins de conflits conjugaux destructeurs.

Ces constatations ont été dévoilées la semaine dernière à Lausanne, lors d’un symposium national organisé par l’ISPA et consacré aux dépendances. L’occasion pour le personnel médical et les chercheurs de concevoir un plan d’action.

«50’000 enfants concernés, cela représente une ville de taille moyenne, déclare Janine Messerli, porte-parole de l’ISPA. C’est donc réellement un résultat effrayant.»

Pour parvenir à ces résultats, l’institut s’est basé sur l’Enquête suisse sur la santé réalisée par l’Office fédéral de la statistique. Les chiffres montrent qu’il y a 300’000 alcooliques en Suisse et autant de personnes dont la consommation d’alcool est excessive.

Pour mémoire, une consommation excessive correspond à un demi-litre de vin par jour pour une femme et trois quarts de litre pour un homme.

Des enfants blessés et perturbés

Psychologue de l’enfance, Alan Guggenbühl rencontre de nombreux enfants blessés et perturbés dans ses bureaux de Berne et de Zurich.

«En observant comment ils dessinent leur maison, on comprend quelle est leur situation, dit-il. Les dessins sont pleins de bouteilles. Et si vous leur demandez quel est leur vœu le plus cher, ils vous répondront qu’ils souhaitent être débarrassés de ces bouteilles.»

«Ces enfants considèrent que leurs parents sont habités par un démon intérieur. Un garçon avait, par exemple, fabriqué un cadeau pour son père à l’école. Mais lorsqu’il le lui a présenté, son père l’a jeté contre le mur et l’a cassé», poursuit le psychologue.

L’alcool occupe une place prépondérante dans la conscience de ces enfants. Couplé avec des facteurs génétiques, cette situation peut les pousser à eux-même se tourner vers l’alcool pour résoudre leurs problèmes.

A l’adolescence, ils ont davantage de pensées suicidaires, de maux physiques et de problèmes de violence que les autres. Or si rien n’est fait, la colère peut les submerger.

Alan Guggenbühl traite en ce moment deux enfants, de 8 et 12 ans, qui battent leur mère lorsqu’elle est saoule. «Ils ne supportent tout simplement pas de la voir tituber et bégayer», analyse-t-il.

Lors du symposium, Holger Schmid, professeur de psychologique à l’Université de Lausanne, a indiqué que les enfants avaient besoin d’un certain contrôle sur leur environnement pour apprendre ce qu’est un comportement approprié. Or lorsque les parents boivent beaucoup, les règles changent constamment.

«C’est comme si les parents avaient deux personnalités: une lorsqu’ils ont bu et une autre lorsqu’ils sont sobres», résume Holger Schmid.

Alan Guggenbühl garde grand espoir pour les enfants d’alcooliques qui peuvent recevoir une aide. Mais le problème, c’est de trouver tous ceux qui pourraient en bénéficier.

En effet, la vie privée des adultes traités pour alcoolisme est protégée. Du coup, personne ne sait exactement combien d’enfants sont touchés. Leur nombre pourrait bien être plus proche de 100’000 que de 50’000, estime Alan Guggenbühl.

Briser le tabou

Janine Messerli indique que le principal objectif du symposium était de briser le silence entourant les problèmes d’alcoolisme et leurs répercussions sur les familles. «Boire de l’alcool est très apprécié et le sujet de l’alcoolisme est tabou», déclare-t-elle.

Les spécialistes réunis à ce symposium font quelques recommandations. Ils proposent un questionnaire pour les parents – afin de mieux cerner le problème – et une amélioration du soutien apporté aux familles à risques.

Janine Messerli suggère par ailleurs d’augmenter les taxes sur les ventes d’alcool et de limiter la publicité.

Elle fait d’ailleurs remarquer que des recherches menées par la Banque mondiale montrent que les restrictions apportées à la publicité pour l’alcool pourrait diminuer la consommation de 8%.

Mais la Suisse ne semble pas aller dans cette direction. Le Parlement est en effet en train de débattre d’une libéralisation des règles de la publicité pour les radios et les télévisions privées.

«C’est un sérieux problème, car on a vu que la publicité avait une influence sur la consommation d’alcool», conclut Janine Messerli.

swissinfo, Elisabeth Meen
(traduction: Olivier Pauchard)

On estime qu’il y a 300’000 alcooliques en Suisse.
300’000 autres personnes ont une consommation excessive.
Entre 50’000 et 100’000 enfants sont touchés par la consommations de leurs parents.

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