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L’amitié éternelle des Suisses pour Venise

Le Pont des Soupirs
Le Pont des Soupirs a été réalisé par un architecte luganais. Ludmila Pilecka, via wikimedia.org

Dès le 15ème siècle, les Suisses ont marqué Venise d'une forte empreinte. Leurs relations politiques, militaires, commerciales et artistiques avec la Sérénissime sont relatées dans l'ouvrage "Suisses à Venise" édité à Lugano où il vient d'être présenté au public.

Venise, ses canaux, sa place Saint-Marc, ses ponts, ses églises et palais regorgeant de merveilles, est connue dans le monde entier. Mais combien des nombreux Suisses qui l’ont visitée, savent que la «ville des doges» a été fortement influencée par la présence helvétique?

«Les tout premiers Suisses qui arrivèrent à Venise vers 1150 déjà étaient des pâtissiers engadinois mais la grande émigration des Grisons vers la ville lagunaire date de la peste de 1350», raconte David Vogelsanger, consul général de Suisse à Milan. «Décimée par l’épidémie, Venise avait besoin de nouveaux habitants et recrutait des colons pour se repeupler.»

Jusqu’à la moitié du 18ème siècle, les Grisons, qui comptaient alors aussi la Valteline et le Val Chiavenna, aujourd’hui vallées italiennes, affirmèrent leur forte présence à Venise: «peu de Suisses savent», précise M. Vogelsanger, «qu’en 1750, Venise comptait 20% d’émigrés grisons, soit 17’000 personnes dont 10’000 soldats. A l’époque, ces ressortissants suisses payaient plus d’impôts que tous les Vénitiens.»

Pâtissiers, cafetiers, hôteliers et soldats

Les Grisons n’étaient pas seulement pâtissiers, vendeurs de glaces, restaurateurs et cafetiers – le premier café vendu en Europe fut le leur en 1680 – mais aussi des soldats mercenaires. «Durant les premières années du 17ème siècle, des régiments grisons conduits par le général Jörg Jenatsch ont conquis la Dalmatie pour le compte de la Sérénissime», explique encore le consul de Suisse à Milan. «Le premier consul de notre pays à Venise, en 1612, était un Grison», ajoute David Vogelsanger qui, au passage, déplore la fermeture du Consulat suisse de cette ville en 2001.

D’autres Suisses, de Zurich, Bâle et Berne notamment, s’installèrent à Venise durant les siècles qui suivirent: ils y furent commerçants, hommes d’affaire, minotiers. Comme le célèbre Bernois Giovanni Stucky (1843-1910), qui établit ses moulins dans le quartier de la Giudecca. Un imposant complexe, entretemps transformé en un hôtel du groupe Hilton.

La «petite Venise»

«Les relations de Zurich avec Venise furent si étroites», explique David Vogelsanger, lui-même zurichois, «que jusqu’à la fin du 19ème siècle, les bonnes familles de la ville envoyaient leurs fils séjourner une année à Venise pour y étudier l’italien ou y parfaire leur formation commerciale ou bancaire.

A leur retour à Zurich, certains d’entre eux, nostalgiques de la vie passée à Venise, construisirent, à l’embouchure du lac, des villas vénitiennes entourées de petits canaux! Ce quartier de la «la petite Venise» disparut vers les années 20. Il ne resta que la «Venedigstrasse», qui a changé de nom vers les années 70 et où je jouais lorsque j’étais enfant.»

Le sud de la Suisse n’est pas en reste: l’apport des artistes et artisans tessinois aux chef-d’oeuvres de Venise a été déterminant: «tous les monuments historiques qui sont emblématiques de la ville portent les contributions de peintres, sculpteurs, marbriers, tailleurs de pierre, gypseurs de Carona, Bissone, Morcote, Melide, Rovio et Lugano notamment», raconte Giorgio Mollisi, historien et journaliste, directeur de la revue «Ticino Management» qui a publié le volume «Suisses à Venise.»

Il ajoute: «Ces artistes ont laissé leurs empreintes sur le Palais des doges, l’école de Saint-Marc, l’église de Sainte-Marie des Miracles, la tombe des doges notamment. Ils ont aussi introduit l’art baroque à Venise.»

Un Pont des Soupirs tessinois

Ainsi, Venise doit son célèbre Pont des Soupirs à l’architecte luganais Antonio Contini,qui l’édifia entre la fin du 16ème et le début du 17ème siècles à la demande du doge Marino Grimani. Le jeune Contini aida ensuite son grand-père à construire le pont du Rialto.

En fait, provenant pour la plupart de communes sises tout autour du lac de Lugano, les artistes tessinois qui s’établissaient à Venise représentaient de véritables dynasties. Comme les Sardi de Morcote, Antonio et Giuseppe, père et fils: Venise leur doit un grand nombre d’oeuvres d’art baroque comme les façades des églises de Sainte-Marie du lys, du Saint-Sauveur et de Saint-Lazare des Mendiants. Lui aussi de Morcote et neveu de Giuseppe Sardi, Domenico Rossi collabora à la réalisation de l’église des Jésuites.

Avant celle des Sardi, la famille Lombardo-Solari de Carona, arrivée à Venise vers la moitié du 15ème siècle, a marqué de façon indélébile l’architecture de la lagune au temps de la Renaissance. Pietro Lombardo, flanqué de ses fils Tullio et Antonio, oeuvra notamment à la reconstruction d’une aile du Palais des Doges, incendiée en 1483. Enfin, et pour ne citer que les plus importants des Tessinois de Venise, Carpoforo Mazzetti Tencalla introduisit le style rococo dans les fresques décorant les palais de la noblesse.

La dette de Mario Botta envers Venise

L’idylle, artistique surtout, entre Venise et la Suisse qui s’est développée durant six siècles, ne s’est pas encore conclue aujourd’hui: Mario Botta, architecte tessinois mondialement connu, travaille depuis plusieurs années à un prestigieux projet de récupération d’un édifice historique du 18ème siècle, siège de la Fondation Querini Stampalia.

Mario Botta, qui avait accepté le mandat en 1991, n’a pas voulu être rémunéré: «lorsqu’en 1964 je suis arrivé à Venise pour y étudier l’architecture, je passais beaucoup des longues soirées d’hiver dans la bibliothèque du palais Querini Stampalia. J’ai une dette de reconnaissance envers cette ville qui m’a formé et qui est resté ma cité d’adoption», explique l’architecte luganais.

Si, au cours des siècles, Venise a accueilli un grand nombre de Suisses dont une bonne partie n’est jamais rentrée au pays, la Suisse n’a également pas manqué d’ouvrir ses portes à des Vénitiens en fuite durant la seconde guerre mondiale: «la ville de Lugano notamment a hébergé des Juifs et des partisans qui fuyaient les persécutions», raconte l’historien et écrivain vénitien Alvise Zorzi, ancien directeur de la RAI (télévision italienne) et co-auteur du livre «Suisses à Venise».

«En 1943, Lugano a recueilli une toute jeune juive de Venise, Giuliana Cohen, devenue par la suite une styliste de renommée mondiale sous le nom de Roberta di Camerino.»

swissinfo, Gemma d’Urso/Lugano

Environ 50’000 Suisses dont nombre de doubles nationaux vivent actuellement en Suisse. Une moitié d’entre eux environ réside au nord du pays, soit en Lombardie, Emilie, Frioul, Trentin et Vénétie.

La promotion culturelle dans la région de Venise est chapeautée par l’Espace culturel suisse sous la coordination de l’Institut suisse de Rome, à son tour mandaté par Pro Helvetia.

L’Espace culturel suisse organise des expositions, des concerts et autres conférences. Il accueille aussi les artistes suisses de passage à Venise.

Fondée en 1972 par le Conseil fédéral sur instance de l’Unesco et du Conseil de l’Europe, six ans après l’inondation de novembre 1966 qui avait provoqué d’énormes dégâts au patrimoine de la ville, la Fondation «Pro Venezia» a restauré un grand nombre de chef-d’oeuvres d’artistes suisses.

En voici deux exemples particulièrement représentatifs: la façade de l’église Sainte-Marie du lys et l’église de Saint-Stae, dont la façade néoclassique qui donne sur le Grand Canal est due à Domenico Rossi de Morcote (1710).

Edité par la revue «Ticino Management» dans sa collection «Arte e storia» (Art et histoire), le volume «Svizzeri a Venezia» (Suisses à Venise) compte 514 pages. D’abord présenté au Palais des Doges de Venise le 20 novembre dernier, il l’a ensuite été le 11 décembre à Lugano.

Préfacé par Pascal Couchepin, président de la Confédération, l’ouvrage relate les relations de la Suisse et de la Sérénissime dans les domaines militaire, artistique, culturel et économique.

Il a bénéficié du soutien de Pro Helvetia, du canton du Tessin, des communes de Lugano, Massagno, Bissone, Carona, Melide, Morcote et Locarno ainsi que de la Fondation Ulrico Hoepli de Milan et de privés.

«Suisses à Venise» est le cinquième volume d’une série dédiée à la présence helvétique en Italie après ceux consacrés à Gênes, Milan, Naples et Rome. «Ticino Management» envisage deux autres numéros sur les Suisses de Turin et de Bergame. Le livre est en vente au prix de 40 francs.

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