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L’empreinte des Young Gods

Keystone

Les Young Gods ont fêté leurs 20 ans d’existence dans le cadre du 39ème Montreux Jazz Festival, qui s’est achevé samedi. Rencontre avec Franz Treichler.

En rappelant son passé et en annonçant son avenir sur la scène du Miles Davis Hall, le groupe suisse a pu déployer tout son éventail musical.

Quelque 220’000 visiteurs sont venus à Montreux entre le 1er et le 16 juillet. Les quatre salles payantes ont accueilli environ 96’000 personnes… Tels sont les chiffres que communique le Montreux Jazz Festival, dont la 39ème édition s’est terminée dans la nuit de samedi à dimanche.

Au-delà des chiffres, chaque édition est bien sûr marquée par des noms. Ainsi, en 2004, Carlos Santana avait été la star incontestée de la manifestation, puisque trois soirées à l’Auditorium Stravinsky étaient articulées autour de son jeu de guitare flamboyant.

Cette année, ce sont les Young Gods, groupe suisse fondé en 1985, qui ont bénéficié d’un honneur équivalent. Les Young Gods, à savoir le chanteur Franz Treichler, le clavier Alain Monod, dit Al Comet, et le batteur Bernard Trontin.

Sur le Lac Léman, à bord de l’AMJ, l’Arteplage Montreux Jazz, ils ont retrouvé l’anthropologue Jeremy Narby pour habiller ses propos d’ambiances ethno-techno – c’est leur «Amazonia Ambient Project».

Puis, au Miles Davis Hall, ils ont dévoilé un soir leur nouveau répertoire, et, un autre, survolé 20 ans de carrière en compagnie d’un orchestre classique, le Lausanne Sinfonietta.

Un spectacle fort, où l’orchestre classique a réellement été mis au service de l’univers sombre des Young Gods, amplifiant leur dimension contemporaine plutôt que d’y apporter des boursouflures qui n’auraient guère été de mise. Et toujours, perçant les nappes sonores, le timbre de Franz Treichler, alternant voix d’outre-tombe et chaleur morrissonienne.

swissinfo: Les vingt ans des Young Gods… à l’occasion d’un premier passage au Montreux Jazz Festival! Que représente le MJF pour vous?

Franz Treichler: Pour nous, c’est prestigieux de fêter nos vingt ans ici. C’est un beau cadeau que Montreux nous a fait, parce qu’on a eu carte blanche. Une occasion unique de montrer aux gens les différentes facettes du groupe.

swissinfo: En 1985, au moment de la fondation des Young Gods, qu’y avait-il dans votre tête? Comment vous imaginiez-vous 20 ans plus tard?

F. T.: Il y avait beaucoup de bruit dans ma tête, à cette époque-là! Il y en a toujours pas mal, mais j’ai réussi un peu plus à le canaliser! C’est vrai que je ne m’imaginais pas forcément me retrouver, à 40 ans passés, à faire ça. D’ailleurs, au cours des quatre ou cinq dernières années, on a fait pas mal d’autres choses. Des collaborations, des projets ‘ambient’, des installations sonores.

Mais en fait, ce qui nous plaît le plus en ce moment, c’est vraiment de faire les Young Gods: frontal, bruyant, arraché et psychédélique.

swissinfo: A Montreux, votre première soirée a été consacrée à votre nouveau répertoire. C’est ainsi que vous le définissez?

F.T.: Oui. Des morceaux assez courts, directs. Avec pas mal de guitares. Des guitares quand même un peu informatisées, granulaires, mais très rock en fait.

On rejoue donc de la guitare… on est pas encore tout à fait convaincus de ce choix, parce que j’aime bien me retrouver avec les mains nues derrière un micro. Mais on essaie de trouver les bons endroits où la guitare peut intervenir, ce qu’elle apporte par rapport à la machine.

swissinfo: Vous êtes d’ailleurs guitariste à l’origine. Mais il y a eu le choix, il y a vingt ans, de construire les ‘Young Gods’ sur les samplers… Pourquoi changer maintenant?

F.T.: De toute façon, notre musique reste basée sur les samplings. Y injecter de la guitare, c’est davantage par envie d’expérimentation. Vu qu’on ne l’a pas fait pendant vingt ans, c’est de nouveau une espèce de challenge.

Aujourd’hui, le sampling est monnaie courante. Tout le monde fait ça. En hip hop, en R&B, en metal, c’est dans les mœurs, dans la manière de composer de beaucoup de gens. Revenir à d’autres valeurs, c’est donc aussi de l’expérimentation.

swissinfo: Il y a actuellement aussi un gros retour du ‘rock à guitares’… Votre explication?

F.T.: Tout est cyclique. Le grunge est aussi arrivé, dans les années 90, à un moment où il y avait énormément de rap sur les ondes, et les gens avaient de nouveau envie d’entendre des grattes, des trucs qui massent.

On a eu des années 90 florissantes en matière de sons électroniques, très riches au niveau créatif, mais qui ont commencé à tourner en rond depuis quelques années. Les gens ont à nouveau envie de voir du live, du rock.

Ce que je trouve dommage dans cette scène rock, c’est qu’il y a trop de références, un côté nostalgique. Beaucoup de groupes essaient de sonner comme des groupes du passé. Il y a trop de regards en arrière.

swissinfo: Autre expérience montreusienne pour les Young Gods: la rencontre avec un orchestre classique. Comment avez-vous évité le piège du grandiloquent?

F.T.: C’est un Fribourgeois, Frédéric Rody, qui a fait les arrangements. On a gardé ce qu’on aimait, rejeté ce qui était trop pompeux, on a élagué. Et la sonorité d’un Sinfonietta – ils sont trente – n’est pas celle d’un gros orchestre symphonique.

Là, on est presque des interprètes. On se concentre sur ce qui se passe musicalement, on essaie de contrôler un peu les deux mondes, parce que techniquement, ce n’est pas évident… En fait, on découvrira vraiment ce qu’on a fait lorsqu’on verra le film monté!

Au sein du groupe, les trois, ça fait des années qu’on se connaît, on a développé des connivences. Là, il faut s’en tenir à une partition, beaucoup se concentrer, beaucoup écouter… Cela te repositionne dans une position où tu marches un peu sur des œufs. Et tu es au service de la musique, finalement.

swissinfo: The Edge, guitariste de U2, a dit que les Young Gods sont une ‘influence majeure dans l’histoire de la musique contemporaine’. Mais c’est U2 qui fait la tournée des stades! A priori, les Young Gods ne seront jamais un groupe ‘de masse’… des regrets?

F.T.: Non, non… De toutes façons, tu ne décides pas trop de ces choses-là. En fait, j’aime bien travailler dans le fond. Il y a une phrase de Godard que je trouve assez géniale. Quand on lui demandait si ça ne l’ennuyait pas de travailler dans la marge, il a répondu: ‘La marge définit la page’. Je trouve ça hyper bien! (Rires)

Interview swissinfo, Bernard Léchot à Montreux

La 39e édition du Montreux Jazz Festival s’est achevée samedi soir.
Quelque 220’000 visiteurs sont venus à Montreux entre le 1er et le 16 juillet. Les quatre salles payantes ont accueilli environ 96’000 personnes (52’000 personnes à l’Auditorium Stravinski, 21’000 au Miles Davis Hall, 15’000 au Casino Barrière et 8’000 au Montreux Jazz Café).
La 39ème édition se solde néanmoins sur un léger déficit: entre 200’000 et 300’000 francs, sur un budget 17 millions.
En 2006, le MJF fêtera sa 40e édition. Pour commémorer l’événement, un vaste ouvrage intitulé «Miracles à Montreux» sera publié.

– Le groupe ‘Young Gods’ est né en 1985 en Suisse, constitué de Franz Treichler (vocaux), Cesare Pizzi (sampler), Frank Bagnoud (batterie). Leur caractéristique: faire du rock dur sans guitares, mais avec samplers!

– Ils produiront un rock industriel violent; puis bifurqueront sur une musique plus introspective: «Heaven Deconstruction» (1996), «Second Nature» (2000).

– Aujourd’hui, le chanteur Franz Treichler est entouré d’Alain Monod, dit Al Comet, et Bernard Trontin.

– A Montreux, ils ont fêté leurs 20 ans à travers deux concerts, l’un consacré à leur nouveau répertoire (13.7), l’autre au survol de leur carrière en compagnie d’un orchestre classique, le ‘Lausanne Sinfonietta’ (14.7).

– Un «best of» des Young Gods est annoncé pour septembre et un nouvel album, leur huitième – résolument rock – pour début 2006.

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