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La fidélité en amour? Une chimère

Une scène habitée par le nid de la 'blanche colombe'... Marc Vannapelghem

A Genève, Jean Liermier crée «L’Ecole des femmes» de Molière. Une comédie sans âge sur les relations de couple où les amours partent en fumée.

Il suffit de tendre la main pour l’effleurer. Elle est là, posée sur scène, avant l’entrée des acteurs, face à la salle encore vide…

Une robe de mariée. Elle habille soigneusement le buste d’un mannequin en bois. Poitrine cambrée, silhouette épurée qu’aucun accessoire ne décore. Mais silhouette sans vie, animée tantôt par les doigts baladeurs d’Arnolphe qui caresse la robe blanche, promesse d’un avenir conjugal que notre homme souhaite heureux. Souhaite seulement.

Car Arnolphe le barbon est vaincu d’avance. Il le sait probablement. S’il ne le savait pas, il n’irait pas déshabiller le mannequin avec la lubricité d’un satyre qui libère dans le fétichisme sa libido défraîchie.

Arnolphe (Gilles Privat) aime Agnès (Lola Riccaboni), sa très jeune pupille, de quelques décennies sa cadette. Il l’a élevée loin des rumeurs du monde pour la garder vierge de toute souillure. Pire, il veut l’épouser. En attendant, il la séquestre, obsédé qu’il est par le «cocuage».

Un nid d’oiseau

Pour sa belle, il a donc prévu une maison perchée sur un arbre immense. Un nid d’oiseau en somme (décor Yves Bernard). Mais la blanche colombe cache sous son aile quelques coups qu’elle assène par volées à son tuteur décrépit. Car Agnès aime Horace (Joan Mompart), jeune homme aux allures de rocker survolté qui profite d’une échelle pour rejoindre là-bas, tout en haut, sa donzelle.

Voici donc le triangle amoureux, source de tous les conflits, tel qu’imaginé par Jean Liermier dans sa mise en scène de «L’Ecole des femmes». Une comédie universelle du Sieur Molière que le directeur du Carouge monte dans son théâtre, à Genève.

En matière d’universalité, on pourrait en dire long sur cette pièce créée en 1662, toujours verte malgré les siècles, et depuis, montrée sous toutes ses coutures. Il y a trois ans, un voile porté par Agnès rassurait les craintes obsessionnelles d’Arnolphe que la metteuse en scène Coline Serreau comparait à un taliban dans un spectacle donné à la Comédie de Genève.

Les fantasmes d’un barbon

La touche féministe de Serreau pesait alors de tout son poids sociologique, sans convaincre pour autant. Recycler Molière pour le mettre à l’ordre du jour n’est pas forcément payant. Son «Ecole» est ailleurs. Elle vous apprend que dans un couple, la fidélité est une chimère. L’auteur l’a compris de son vivant, lui l’amant malmené par la très jeune Armande Béjart.

Aujourd’hui, Jean Liermier dit à sa manière que l’amour est affaire d’imaginaire. Sa robe de mariée nourrit les fantasmes du vieux tuteur, qui s’effritent à la fin dans un brouillard, tout comme Agnès et Horace d’ailleurs. Enlacés, les deux tourtereaux disparaissent eux aussi dans un halo de fumée, leur couple promis, sans doute, à d’ultérieures infidélités.

C’est que dans nos sociétés modernes, la trahison amoureuse fait partie du jeu. Elle est théâtrale, mais pas criminelle. Si elle était un crime, qui serait encore en liberté?

Seul demeure, à la dernière scène, le mannequin en bois que l’on devine dans un coin des coulisses, témoin figé d’un amour vaniteux.

Ghania Adamo, swissinfo.ch

Acteur et metteur en scène d’opéra et de théâtre.

Diplômé de l’Ecole Supérieure d’Art Dramatique de Genève, il a, dès 1992, travaillé comme comédien en Suisse romande et en France.

En 2001, il crée pour la première fois au théâtre le personnage de Tintin dans «Les bijoux de la Castaphiore», créé par Dominique Catton à Genève.

Il signe sa première collaboration artistique à la mise en scène avec le Suisse Claude Stratz, dans «Les Grelots du fou», monté à Paris.

Il est surtout connu pour ses spectacles classiques d’opéra et de théâtre, en France comme en Suisse.

A son actif, «La Flûte enchantée», «Les Noces de Figaro», «La double inconstance», «On ne badine pas avec l’amour», «Le médecin malgré lui», entre autres.

Depuis juillet 2008, il dirige le Théâtre de Carouge-Atelier de Genève.

«L’Ecole des femmes» de Molière, mise en scène Jean Liermier.

Avec notamment: Gilles Privat, Lola Riccaboni, Joan Mompart, Nicolas Rossier, Rachel Cathoud, Jean-Jacques Chep…

A voir au Théâtre de Carouge (Genève), jusqu’au 8 mai.

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