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La frontière, ou l’inacceptable normalisé

«Chez soi au Kosovo». Joaquim Ladefoged / Magnum

«Au-delà des frontières», c'est le titre d'une exposition internationale présentée jusqu'au 26 août au Photoforum PasquArt, à Bienne, et qui réunit les travaux de dix photographes issus de sept pays.

A Algesiras, près de Gibraltar, un mur de béton est taché d’un graffiti: «Moros, fuera de España!». Autrement dit, «les Maures, hors d’Espagne!» L’image est due au photographe suisse Roger Wehrli.

Sur une autre photo, signée par le Danois Joachim Ladefoge, une vieille femme albanaise, épuisée, s’appuie sur les épaules d’un jeune garçon et d’une autre femme. Douleur.

Meinrad Schade a immortalisé le point «S 75B», près de Chiasso, le point le plus au sud de la Suisse. Et qu’y voit-on? Une haute barrière de métal. Devant celle-ci, une pancarte de bois où la Suisse est représentée. Tu peux toujours rêver, semble-t-elle dire à l’éventuel émigrant…

10 photographes issus de 7 pays, 10 reportages, et 180 photos en noir-blanc. Pour évoquer cette ligne qu’on appelle frontière. Entre le Mexique et les Etats-Unis. Entre l’Espagne et le Maroc. Entre Israël et la Palestine. Entre l’Inde et le Bengladesh. Entre Chypre et Chypre, avec une série d’images de 1964 signée Don McCullin. A l’époque, le sang coulait rouge sur la petite île greco-turque.

L’exposition a été montée par la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia, avec les conseils du photographe Daniel Schwartz et le soutien de la DDC, la Direction du développement et de la coopération. Après Bienne, elle passera par Chiasso, Bâle, Martigny, puis s’en ira à l’étranger.

«Le projet décline (…) le thème de la frontière comme aire d’espoir et de désir, où le regard reste tourné vers l’autre pays et comme zone de contrôle sévère qui engendre ses propres autorités administratives, policières et militaires», disent les organisateurs.

Oui. Mais l’espoir qu’on associe à une frontière naît presque toujours du malheur qu’on vit chez soi. C’est ce que confirment ces images et c’est ce que se refusent à comprendre bon nombre de citoyens des pays d’immigration. Et ceux-là n’iront pas voir cette exposition.

«Au-delà des Frontières» ne touchera donc que les convaincus. Et encore. Car en voyant ces images, on réalise tristement qu’on les connaît déjà. Non pas qu’on les ait déjà vues, non, mais elles ont été déflorées par des années et des années de journaux télévisés.

Ces regards éperdus et chargés d’espérance, on les sait. Comme ces silhouettes emballées de guenilles. Comme ces uniformes chargés de faire respecter la loi, qui ne connaît pas toujours la morale.

Ces images, on les connaît déjà, on s’y est même habitué. Ne pas l’avouer serait mentir. On sait parfaitement qu’on pourra saisir les mêmes demain, dans deux ans ou dans un siècle. Bien sûr, on ne peut que constater la force de cette exposition. Mais on ne peut s’empêcher de s’interroger sur son impact. Et donc, au bout du compte, sur son utilité.

Bernard Léchot

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