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La vie sans Loft Story

Un grand vide nous saisit: «Loft Story», la déclinaison française du batave «Big Brother», c'est fini. Comme tous les rêves - et tous les cauchemars- il fallait bien que cela se termine un jour. Nos sincères félicitations aux vainqueurs: Loana, Christophe, et M6, bien sûr.

Ah, le loft… La terrasse et les sofas où l’on se vautrait, la cuisine où l’on causait, le confessionnal où l’on se confessait, ou plutôt, où l’on déployait force et fragilité, charme et ruse, avec l’habileté et l’authenticité d’un politicien en campagne électorale.

Ah, le loft… Le loft, que je n’ai pas suivi, mais que je peux vous raconter comme si j’y avais été scotché: Loana et ses seins aussi généreux qu’envahissants, le côté «bonne famille» de Laure, ou ce pauvre Aziz, expédié il y a longtemps déjà, Aziz le macho ou Aziz le tendre, le débat est toujours vif, et à propos, n’aurait-il pas été jeté parce qu’il était un peu trop bronzé, mmh?

Je n’ai pas suivi le loft, ni par soucis d’élitisme, ni par esprit de contradiction. La preuve? J’ai essayé: parfois je tentais le coup, clic sur la 6, je tombais sur la bouille proprette de Castaldi, puis sur quelques dialogues affligeants de quotidienneté, et je renonçais. La zapette m’amenait ailleurs, sans que j’éprouve la moindre envie d’en savoir plus sur cette bande de plus ou moins sympathiques zigotos arrivistes.

Je n’ai pas suivi, mais je sais tout quand même. Car si je n’ai jamais non plus accroché à Dallas, Top Models et autres Friends, ces sit-coms ne m’avaient jamais envahi comme Loft Story m’a envahi: à la télé, à la radio, dans les journaux, dans les bistrots. Et à la rédaction de swissinfo, c’est dire.

Un quotidien romand est même parvenu à inventer un truc baptisé «Loft romand», «en hommage amical à Loft Story», affirme-t-il sans rire sur son site. Un concours dont les vainqueurs ont pu suivre la finale de Loft Story – le vrai – à Paris. Ces bienheureux s’appellent Magaly et Christophe, et on les envie drôlement.

«Le 21e siècle sera spirituel ou ne sera pas», a dit Malraux. Spirituel, mais alors au sens de «rigolo», sans doute. Car dans cette affaire, finalement, tout aura été comique.

Comiques, ces pères la morale parlant de TV fasciste, et omettant le fait que les détenus du loft étaient consentants. Comiques aussi, ces intellectuels qui, histoire d’être là où on ne les attendait pas, se sont mis à défendre les vertus de ce long bavardage filmé.

Comiques, ces chaînes françaises concurrentes, qui ont préféré occulter le phénomène plutôt que d’en parler, comme tout sujet d’actualité mérite qu’on en parle. Autrement dit: la censure à motivation économique dévoilée en plein jour.

Comiques enfin, ces aficionados qui se sont pris de passion pour des individus sans talent ni intérêt particulier, qui mangent, boivent, cancanent, et à priori, font pipi et caca comme vous et moi. Un des rares détails de leur vie, remarquez, qui nous aura échappé.

M6 – «la petite chaîne qui monte», a-t-on coutume de dire – a fait la nique aux mastodontes du PAF. Fait la nique, comme dans «niqué», pour parler jeune. En juin dernier, M6 a capté une part d’audience de 16,5% contre 12,7% un an plus tôt. Et la TSR n’a pas échappé à cet effet de succion, puisque son audience a diminué de 2% sur la période concernée.

On croyait la violence et le sexe être les moteurs de l’audimat. Et bien on se trompait. En dehors des engueulades et des hystéries lacrymales, peu de violence dans Loft Story. Alors du sexe? Oui, mais hypocrite, pas le quart du dixième de ce que votre fiston de 10 ans peut aller dénicher sur le web. Beaucoup de travail en perspective pour les sociologues, et pour les patrons de télévision, qui vont devoir sérieusement repenser leurs programmes.

Terminé, Loft Story. Mais ne vous inquiétez pas… Avec le nombre de sites loftophiles et loftophobes qu’abrite désormais le web, rien n’est vraiment fini. Immortels qu’ils sont, Loana et Christophe.

– Eh, Kevin, qu’est-ce que tu veux faire quand tu sera grand?
– Lofteur, papa.
– Et toi, Samantha ?
– Lofteuse, papounet.
– C’est bien, les enfants… il faut avoir de l’ambition.

Bernard Léchot

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