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Lambiel, le «Sonderfall» helvétique

Yann Lambiel, côté coulisses. swissinfo.ch

Le nouveau spectacle de l'imitateur Yann Lambiel s'est arrêté deux soirs au Théâtre de Beausobre, à Morges. Salle comble pour une démarche originale.

La Suisse aime bien se voir en tant que «Sonderfall». Et Yann Lambiel en est un autre. Même plus qu’un «cas particulier»: il est un cas unique. Le seul imitateur à avoir choisi pour (presque) uniques cibles… des Suisses. Dans un pays où l’on a tendance à penser qu’aucune personnalité ne sort du lot, que la grisaille des caractères est de mise, il fallait oser.

Lambiel, qui n’a pas 30 ans, a fait le pas grâce à «La Soupe est pleine», l’émission satirique dominicale de la Radio suisse romande. Alors qu’il s’apprêtait à y faire ce qu’il faisait jusque là – des imitations estampillées Outre-Jura – c’est le producteur et présentateur Ivan Frésard qui lui a imposé de jouer la carte 100% helvétique.

Une décision qui s’est révélée payante: chaque dimanche depuis deux ans, grâce également à un ton nouveau en Romandie, «La soupe est pleine» cartonne. Comme cartonne le nouveau spectacle de Lambiel, «Satires obligatoires», lancé l’automne dernier. Vendredi soir à Beausobre, l’humoriste valaisan se trouvait face à une salle de 900 places, comble et enthousiaste.

Bel échantillonnage

«En matière d’imitations, le problème qu’on a en Suisse, c’est les langues et la question cantonale. A part les conseillers fédéraux, et quelques rares personnalités, genre Claude Frey, les politiciens suisses ne sont connus que dans leur canton», constate Yann Lambiel.

C’est pourtant à un aréopage de 27 personnages d’ici que l’animateur s’est attelé… sans compter les invités (ainsi Bernard Lavilliers, Véronique Sanson, Eddy Mitchell, Etienne Daho ou Clo-Clo venant brièvement interpréter les trésors de la chanson traditionnelle romande).

La force de Lambiel est d’avoir su «caractériser» au maximum ses personnages. Au même titre que ce sont des «tics» qui rendent Chirac ou Hallyday immédiatement reconnaissables dans la bouche de n’importe quel imitateur français, il a su trouver des effets forts pour chacun de ses personnages, et cela même si certaines de ses imitations restent parfois un peu approximatives.

La lourde arrogance de Pascal Couchepin lui colle désormais à la peau, Samuel Schmid a maintenant pour synonyme le mot «lenteur», Adolf Ogi ne pourra plus jamais dire «formidable!» sans que son public ne pouffe, Ruth Dreifuss est à jamais formidablement dreifusienne, statufiée par une voix de fausset plutôt bien sentie. Et que dire du «Bonjour!» de «Super-Moritz»…

Du côté des artistes, on sait dorénavant que la rébellion permanente de Michel Bühler peut se chanter en twist, que Stephan Eicher ne comprend pas tout ce qu’il écrit en français et que le lyrisme de Pascal Auberson n’est pas un vain mot. Quant à Jean-Luc Godard, parfait, on se réjouit de voir sa version filmée de la Bible… oui, celle où un plan fixe de dix minutes illustre le Déluge. «Le cinéma, c’est ça. Le mouvement, ça fait Hollywood», constate JLG version Lambiel.

Les limites de l’exercice

Yann Lambiel est parvenu à donner des couleurs à une classe politique qu’on croyait atone, et cela, c’est vraiment très fort. Un regret toutefois: les personnalités passées à la moulinette le sont souvent uniquement par rapport à leur apparence ou à leurs tics langagiers: la taille et l’accent de Claude Frey, le nez et la syntaxe approximative de Pascal Couchepin.

Mais sur le fond, là où la satire devrait apporter un point de vue critique, on reste un peu sur sa faim. On sait pourtant que ses auteurs – Laurent Flutsch et Thierry Meury – ne manquent pas d’esprit corrosif.

La force de «La soupe est pleine» est de coller au plus près de l’actualité de la semaine. Un spectacle étant écrit pour le long-terme, Yann Lambiel perd en profondeur ce qu’il gagne en «entertainement». L’actualisation permanente, à la façon d’un Bedos, avec sa revue de presse, n’est pas donnée à chacun.

Bien sûr, l’ego de Bertrand Piccard en prend pour son grade. Bien sûr, Christoph Blocher se retrouve plus simiesque et plus dictatorial que jamais. Mais le rire est aussi parfois obtenu un peu trop facilement: quand tout ce qui relève d’Expo.02 est qualifié de «à chier», c’est un peu court, non?

Malgré cela, le talent de Lambiel étant incontestable, on rit beaucoup pendant «Satires obligatoires». D’autant plus que la deuxième partie du spectacle est particulièrement bien rythmée, et que l’affaire se conclut par une apothéose où tous les personnages «se retrouvent» en scène dans le cadre d’un futur très proche.

Une réunion de famille bon enfant, absurde et pourtant tout à fait réaliste qui nous fait soudain presque croire que la Suisse en est une… famille.

Bernard Léchot

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