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Le Don Juan de Marthe Keller…

Marthe Keller et Pietro Spagnoli lors des répétitions. GTG/Carole Pagodi

Au Grand Théâtre de Genève, l’artiste bâloise Marthe Keller présente le «Don Giovanni » de Mozart qu’elle a créé en 2005 à New York, avec succès. Conversation sur la figure du séducteur.

Quand elle lâche: «Moi aussi j’ai mon Don Juan», on tend vite l’oreille. Mais qu’on est bête de faire la midinette! Elle n’allait tout de même pas se livrer à des confidences crues, Marthe Keller. On s’obstine néanmoins: «Quel est donc ce Don Juan?». «C’est un fantasme des femmes», réplique-elle.

Ah! C’est donc ça! «Et oui, c’est ça», dit la grande actrice bâloise qui se réfère ici à la définition que donne le psychanalyste Jacques Lacan de Don Juan: un enjôleur né de l’imaginaire de ces dames. Celles qui adorent se sentir désirées, qui aiment aussi jouer avec le feu.

L’enjeu du choix

Courir le risque de se brûler les ailes: voilà l’enjeu. Et le jeu en vaut la chandelle, surtout pour les aventurières. «Il faut savoir faire un choix, dit Marthe Keller. Soit on prend un homme intelligent, gentil, honnête, et on s’ennuie sec. Soit au contraire, on opte pour un charmeur, on passe avec lui deux ou trois jours inoubliables, et on accepte d’en payer le prix. Ça fait très mal par la suite, mais au moment même, c’est revigorant».

Ce jeu-là, Zerlina l’a vite compris. Zerlina, souvenez-vous, c’est la jeune fiancée de Masetto dans le «Don Giovanni» de Mozart que Marthe Keller reprend à partir du 11 décembre au Grand Théâtre de Genève. Ce chef d’œuvre musical que la Bâloise appelle «opéra frivole», elle l’avait créé, avec beaucoup de succès, au prestigieux Metropolitan de New-York, en 2005.

Pour le public new-yorkais, plutôt classique dans ses goûts, elle a voulu un Don Giovanni «homéopathique», souffle-t-elle dans un rire. Si la création devait se faire dans une ville européenne, elle aurait certes imaginé un séducteur plus «décoiffant». N’empêche que sous sa houlette de metteuse en scène, Don Giovanni reste une canaille que seule Zerlina parvient à cerner, et vite. Elle ne se pose pas en victime du séducteur comme Donna Anna et Donna Elvira, deux donzelles d’une aristocratie effarouchée qui réclament vengeance et justice.

Peut-être justement parce que Zerlina est une paysanne guidée par son instinct qu’elle parvient à saisir la balle au rebond. Marthe Keller voit en elle «un chat de gouttière» capable de rendre à Don Giovanni la monnaie de sa pièce en jouant elle aussi les séductrices.

Lorsque ce dernier lui propose le mariage, Zerlina sait qu’au moment même son courtisan est sincère. Mais elle sait aussi que cinq minutes après, il aura changé d’avis. «De toute manière, une femme se fourvoie toujours lorsqu’elle croit en la sincérité durable d’un charmeur», sourit la metteuse en scène en tournant les pages d’un cahier où elle a couché plein de notes.

Imaginaire avant tout

Car sur Don Juan et sur son avatar Don Giovanni, elle a lu plein de choses. «Il y a ceux qui vous expliquent qu’il avait des problèmes avec sa mère, d’autres qui prétendent qu’il est homosexuel, dit-elle. Toutes ces interprétations me paraissent abracadabrantes, car Don Juan est un être imaginaire. Contrairement à Casanova, il n’a jamais existé, difficile donc de l’analyser. La seule explication qui tienne à mes yeux est celle de la séduction liée à l’intelligence. Un homme est désirable s’il a de l’esprit. Et il est sensuel s’il se montre attaché à sa liberté».

C’est le cas de Don Juan, celui d’abord de l’écrivain espagnol Tirso de Molina, son inventeur; celui ensuite de Molière et celui encore de Mozart. Le personnage a traversé les siècles sans prendre une ride.

Le secret de sa jeunesse, c’est sa désinvolture, celle manifestée à l’égard de Dieu et de la gent féminine. C’est son impertinence qui piège ces dames, enfin… certaines d’entre elles. «L’opéra de Mozart, n’est pas facile à monter, il est travaillé de l’intérieur par l’amoralité», dit Marthe Keller. Avant d’ajouter: «Ce qui n’empêche pas cette œuvre de flirter avec le comique».

Ghania Adamo, swissinfo.ch

«Don Giovanni» de Mozart.

Livret: Lorenzo Da Ponte.

Mise en scène Marthe Keller.

Au Grand Théâtre de Genève, du 11 au 20 décembre.

Avec, dans le rôle de Don Giovanni, en alternance, Pietro Spagnoli et Ildebrando d’Archangelo.

Comédienne et metteuse en scène suisse, née à Bâle en 1945.

Un accident de ski compromet très tôt son avenir de danseuse.

Elle se tourne alors vers la scène et le cinéma.

Sa carrière de comédienne commence en Allemagne.

Mais bloquée à Paris par les événements de mai 68, elle y reste et triomphe auprès du cinéaste Philippe de Broca.

Pour ce dernier, elle joue notamment dans «Le Diable par la queue», «Les Caprices de Marie», «La Vieille fille».

Mais c’est surtout «La Demoiselle d’Avignon», feuilleton célèbre des années 1970, signé Frédérique Hébrard et Louis Velle, qui la rend populaire auprès du public.

Grâce à sa notoriété, elle tourne alors pour de grands noms du cinéma mondial: Pollack, Lelouch et Mikalkov, entre autres.

Mélomane, elle entretient avec la musique un rapport artistique très fort. Elle chante mais aussi monte des œuvres musicales.

Le Metropolitan Opera de New York lui propose la mise en scène de «Don Giovanni» de Mozart, qu’elle crée en 2005. C’est ce spectacle qui est repris au Grand Théâtre de Genève.

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