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Le serviteur absolu

Détail de la couverture du livre.

Le Bâlois Alain Claude Sulzer a reçu le Prix Médicis étranger 2008 pour «Un garçon parfait». Publié aux éditions françaises Jacqueline Chambon, ce roman est le reflet d'une vie que l'on croit calme: la vie d'Ernest, employé dans un palace suisse des années 1930.

Boire son destin jusqu’à la lie, s’en délecter avec douleur – la douleur de la passion amoureuse. La perfection est à ce prix, aux yeux d’Alain Claude Sulzer en tout cas qui a obtenu, début novembre, le prestigieux Prix Médicis étranger pour son roman «Un garçon parfait», le premier à paraître en français.

Sulzer est Bâlois. Le sens de la perfection, il en connaît un bout, comme beaucoup de Suisses d’ailleurs. Il sait que ce sens-là est louable mais tout autant tragique lorsqu’il est détourné par la réalité, féroce quant à elle dans ses imperfections.

Exil intérieur

Son héros, Ernest, est un garçon parfait. Pourtant, Ernest est Alsacien. Mais cela fait très longtemps qu’il vit et travaille en Suisse. Tellement longtemps, qu’on en oublie ses origines. Il fait presque partie des meubles qui habillent voluptueusement le Grand Hôtel de Giessbach où Ernest est engagé comme serveur en 1934.

Giessbach, c’est une Suisse irréprochable, dans sa beauté en tout cas, un peu comme Ernest, l’employé modèle qui, dans sa soif d’absolu, vit une cruelle forme d’exil intérieur et de solitude.

Les cascades de Giessbach, Ernest les entend de sa chambre. Leur chute couvre les folles rumeurs d’une guerre qui se prépare non loin de là, aux portes d’une Suisse sourde à la montée du nazisme, vautrée dans le luxe du Grand Hôtel, microcosme d’un monde finissant.

La grâce des choses disparues

C’est là, dans ce coin rêvé de l’Oberland bernois, que défilent les ombres de la grande société européenne dont les rituels mondains ont déjà la grâce des choses disparues. C’est là aussi que vient prendre place, peut-être pour la dernière fois, la comédie des apparences.

C’est là enfin qu’Ernest va rencontrer le vrai visage de son destin quand, en ce jour de mai 1935, on l’envoie accueillir sur le rivage du lac de Brienz, Jacob, un nouvel employé du Grand Hôtel, venu d’Allemagne.

Les deux hommes ont alors une vingtaine d’années. Ils vont s’aimer. Ernest donnera sans compter, Jacob prendra en calculant. Ses coups sont étudiés, sa morale est vacillante, celle de son compagnon est immuable, elle semble coulée dans du bronze.

Ernest est désintéressé, Jacob est opportuniste, il sait saisir les bonnes occasions. L’une d’elles se présente en la personne de Julius Klinger, un écrivain allemand réfugié au Grand Hôtel.

Ce «tempérament littéraire» bien ajusté aime les garçons. Il est presque vieux mais très riche, et promet à Jacob, au charme duquel il succombe, de le sortir de sa condition de serveur en l’emmenant avec lui en Amérique où il compte s’établir pour fuir Hitler.

Captif de son amant

Trente ans s’écoulent. Le temps et l’espace ont séparé Ernest et Jacob qui se sont perdus de vue. Mais Ernest, bloc de convictions calmes, est resté captif de son amant, lequel le tyrannise par le souvenir. Jusqu’au jour où il reçoit une lettre d’Amérique. Son expéditeur ? Un certain Jacob Meier.

Nous sommes en 1966, la guerre est depuis longtemps terminée, mais une autre commence, celle des nerfs, bien maîtrisée par Sulzer qui sait tenir en haleine son lecteur.

Ses allers-retours entre passé et présent installent une atmosphère à la fois feutrée et tendue, chargée d’élégance surannée et de violence amoureuse. Le tout cimenté par les fondements d’une morale bourgeoise qui torpille les libertés. Et qui fait d’Ernest l’amant téméraire et perdu d’un roman que Thomas Mann n’aurait pas renié.

On pense bien sûr à «Mort à Venise», dont Visconti a tiré son célèbre film. Et l’on se dit qu’ici aussi affleure le goût amer d’un destin bu jusqu’à la lie.

swissinfo, Ghania Adamo

«Un garçon parfait» d’Alain Claude Sulzer, éditions Jacqueline Chambon, 237 pages. Traduit de l’allemand par Johannes Honigmann.

Né en 1953 à Riehn, près de Bâle, d’une mère française et d’un père suisse.

Il grandit entre deux langues et deux cultures parentales.

Il fait ses études à l’Université de Bâle où il exerce par la suite le métier de bibliothécaire, avant de se consacrer à la critique littéraire et à la traduction.

En 1977, il part vivre en Allemagne où il restera une vingtaine d’années.

Il a traduit notamment «Ragotte» de Jules Renard et deux tomes du Journal de Julien Green.

Il est également l’auteur de huit romans. «Un garçon parfait» est le premier à paraître en français. Les éditions Jacqueline Chambon qui le publient sortiront également, en 2009, son dernier roman «Cours particuliers».

Aujourd’hui, il vit entre Bâle et l’Alsace.

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