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Mark Knopfler à Montreux – un moment de grâce

Un 'Sultan of Swing' en grande forme musicale... Lionel Flusin

La voix et la guitare de feu Dire Straits était jeudi soir, pour la première fois, au Montreux Jazz Festival. Moment de bonheur et magnifiques retrouvailles avec le guitariste bien sûr, mais aussi avec le «songwriter» capable de donner d’extraordinaires couleurs au quotidien.

Un journaliste se doit d’avoir l’esprit critique, paraît-il. Là, admettons-le tout de suite, ça va être dur. Un concert de deux heures qui ressemble à la perfection, quinze chansons pour résumer trente années de carrière, où les tubes planétaires côtoient des perles plus discrètes…

Voilà donc Mark Knopfler, entouré de sept musiciens lui permettant d’alterner les cavalcades invraisemblables et les accalmies les plus intimes – chaque note compte, qu’elle soit de guitare, de violon, de flûte ou de piano. Le tout dans une acoustique idéale, où les sons clairs et électriques du guitariste brillent sur le tapis acoustique et chaud tissé par son groupe.

Mark Knopfler au milieu de la scène, assis sur demande de son médecin, pour cause de problèmes de dos. Mais tout va bien, dit-il… Et pour le public, peu importe: aucune gesticulation ne sera nécessaire pour susciter une vraie émotion.

Erreur de perspective

Qui dit Knopfler dit évidemment Dire Straits… Ventes records, tournées mondiales gigantesques, l’album «Brothers in Arms» métamorphosé en meilleur argument publicitaire des vendeurs de lecteurs CD, cette drôle de petite galette argentée qui s’efforçait alors de prendre le relais du vinyle noir… Dire Straits, devenu dinosaure hypertrophié, à tel point que son fondateur préférera jeter l’éponge en 1993. Trop de succès. Trop de monde. Trop de poids.

Depuis, et à côté de l’expérience country «Notting Hillbillies», Mark Knopfler a suivi sa route en solitaire, publiant grosso modo un album tous les deux ans. Son succès ne se dément pas, mais reste désormais à taille humaine, permettant à l’artiste de prendre le temps d’être ce qu’il est: un guitariste, un chanteur, un auteur, un compositeur, bien plus qu’une rock star.

Ce qu’avaient oublié à l’époque nombre de critiques qui ne voyaient plus en Dire Straits qu’une gigantesque pompe à fric, parfaitement représentative des clinquantes années 80. Et pourtant, de «Sultans of Swing» au «Get Lucky» paru cette année, la patte artistique est d’une grande cohérence… La preuve par l’acte en cette soirée magique à l’Auditorium Stravinsky.

Glasgow – Montreux

Tout va commencer en douceur, sur fond de flûte et de violon, avec «Border Reiver», souvenirs de l’enfant de Glasgow qui regardait, fasciné, passer les camions. Une chanson qui parle d’un chauffeur de poids lourd, pas banal, non?

La musique celtique imprègne une large partie des chansons joués au cours de cette tournée, «What It Is», «Sailing To Philadelphia», magnifique. Deux géants du genre accompagnent Knopfler: Michael McGoldrick (whistle, flûte) et John McCusker (mandoline, violon). Du celtique, on glissera vers le cajun avec «Done With Bonaparte», l’histoire d’un soldat de Napoléon, fidèle au Petit Caporal et en train de se perdre dans les glaces de la campagne de Russie… Tiens, étonnant aussi, comme thème de chanson.

Soudain, quelques notes de piano, un arpège de guitare dobro que chacun reconnaît… «Romeo & Juliet» renaît de ses cendres. «Juliet, when we made love, you used to cry». Frisson.

Et re-frisson lorsque, dans la foulée, «Sultans of Swing» éclate. Plus la moindre boursouflure de claviers, retour aux sources, retour à l’os: basse, batterie qui claque, deux guitares, dont celle bien sûr de Mark Knopfler, qui n’a rien perdu de sa virtuosité. Les notes glissent, s’envolent, à travers ce picking fluide et virtuose qui avait déboulé, parfait contre-courant, en 1979: l’époque était alors plutôt à la déferlante bruitiste des punks…

«Je dois dire que les anciennes chansons, j’ai presque plus de plaisir à les jouer aujourd’hui qu’à l’époque», dit tranquillement Knopfler au public en folie…

Les moments de chair de poule et de poils dressés sont loin d’être terminés… Incroyable «Speedway At Nazareth», crescendo géant, suivi de l’épopée de «Telegraph Road», où le groupe de Knopfler (les claviers Guy Fletcher et de Matt Rollings, la basse de Glenn Worf, la batterie de Danny Cummings) reconstitue un Dire Straits efficace et sobre.

Petite pause bière, sur scène, pour les huit musiciens… Puis somptueux et triste «Brothers in Arms» (ah, ces petites notes d’accordéon qui se marient à l’orgue de l’intro!), suivi du rassembleur «So Far Away». La ballade «Piper To The End», sombre et lumineuse à la fois comme toute ballade écossaise, une chanson qui évoque un oncle sonneur de cornemuse mort au combat en 1940, nous sera offert en guise de rappel…

Au coin du feu

Ce soir, outre le fait d’avoir fait chanter sa guitare avec le talent que l’on sait, Mark Knopfler, nous aura donc parlé des camionneurs de Glasgow, d’un soldat gelé et fidèle, d’un groupe de jazz en tournée («Sultans of Swing»), de passionnés de vitesse aux USA («Speedway at Nazareth»), du développement du télégraphe dans l’Amérique profonde, d’un oncle mort au combat… entre autres.

«Before gas and TV,
before people had cars,
we’d sit around the fires,
pass around a guitar,
remembering songs,
When my daddy was home,
he’d play along
on the spoons and a comb»


écrit Mark Knopfler dans «Before Gas and TV», sur son dernier album. Bien sûr, l’Auditorium Stravinsky n’est pas «le coin du feu». Bien sûr, la machinerie d’une tournée du 21ème siècle, et les prix des places, n’ont rien à voir avec les soirées écossaises où l’on chantait en famille… N’empêche.

Derrière la brillance du jeu de Mark Knopfler, il y a cette volonté d’écrire des chansons qui, sans rébellion artificielle, sans mièvrerie inutile non plus, parlent de la vie, du quotidien, sur des mélodies ancrées dans une culture. La poursuite d’une tradition…

Quelque chose qui passait inaperçu du temps de l’énormité de Dire Straits. Mais qui transparaît de plus en plus à travers l’œuvre solo de Mark Knopfler. Le fait que, ce soir, avec son visage désormais buriné, il ait égrené ses chansons tranquillement assis devant son auditoire n’aura fait que renforcer ce sentiment…

Bernard Léchot, Montreux, swissinfo.ch

Glasgow. Mark Knopfler, d’origine suisse, est né en 1949 à Glasgow (Ecosse).

Picking. Spécificité: gaucher, Mark Knopfler joue comme un droitier. Il n’utilise jamais de plectre, mais travaille rythmiques et solos en fingerpicking.

Dire Straits. En 1977, il fonde avec son frère David, le groupe Dire Straits, qui décroche le jack-pot avec le tube Sultans of Swing, tiré de leur 1er album.

Poids lourd. Six albums et deux live sont publiés entre 1978 et 1991. Succès planétaire, Dire Straits fait partie des poids très lourds du rock business. En 1993, après une gigantesque tournée, Mark Knopfler épuisé décide de mettre un terme à l’aventure.

Notting Hillbillies. Au plus fort du succès de Dire Straits et afin de faire de la musique plus intime, Mark Knopfler avait créé en 1990 le groupe The Notting Hillbillies. Un seul album paraît (1990), mais le groupe se retrouvera régulièrement par la suite pour des concerts.

Solo. Le premier album solo de Mark Knopfler Golden Heart paraît en 1996. Suivront Sailing to Philadelphia (2000), The Ragpicker’s Dream (2002), Shangri-La (2004), All the Roadrunning (2006), en duo avec Emmylou Harris, Kill To Get Crimson (2007), Get Lucky (2009).

Cinéma. Mark Knopfler a également signé de nombreuses bandes originales de film. Retenons Local Hero (1983), Call (1984), The Princess Bride (1987), Last Exit to Brooklyn (1989) ou A Shot at Glory (2001).

Collaborations… Le jeu de guitare de Mark Knopfler a été sollicitée par de nombreux artistes, qui ont fait appel à lui. Ainsi Bob Dylan sur Slow Train Coming et Infidels, Willy DeVille sur Miracle.

… multiples. Mark Knopfler a également joué sur des albums d’Eric Clapton, de Hank Marvin, J.J. Cale, Randy Newman, des Chieftains…

Plus de deux semaines. Le 44ème MJF se tient du 1er au 17 juillet.

Partout! Outre les concerts payants donnés dans les deux salles principales du festival (Auditorium Stravinsky et Miles Davis Hall), de nombreuses spectacles et animations complètent le menu, dont les multiples concerts gratuits, les croisières musicales sur le Léman, les workshops instrumentaux, les concours.

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