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Noël, côté rue, côté cœur, à Genève

La solitude se ressent plus fort encore à l'heure où tout le monde fait les achats de Noël et prépare la fête de famille. Keystone

Ceux qui jour après jour luttent contre la pauvreté et la solitude redoutent les périodes de fêtes. Noël, Nouvel-An et leurs étalages de cadeaux ne font souvent qu´aggraver leurs maux. Et la solidarité, direz-vous? Exemples, parmi d´autres, à Genève.

Depuis plusieurs années, l’Hospice général, l’une des plus importantes institutions sociales du canton, coordonne les informations sur les divers lieux qui pendant les fêtes de fin d’année font large accueil aux personnes seules ou démunies.

C’est bien vrai, il y a, en ville de Genève, de très bonnes occasions de ne pas passer Noël tout seul. Les fêtes ouvertes à tout un chacun ne manquent pas, les places y sont relativement nombreuses. Il y aurait presque pléthore, dit-on. Ce qui est vraiment loin d’être le cas une semaine plus tard lorsque tombe la nuit du Nouvel-An.

Pour ceux qui vivent seuls, raconte Pierre-Alain Champod, directeur du Centre social protestant, cette période de l’année est plutôt pénible et difficile. «Leur solitude, ils la ressentent encore plus fortement lorsqu’ils voient tout le monde faire de gros achats de cadeaux ou préparer la fête de famille alors qu’eux-mêmes n’en ont pas les moyens, pas même celui de pouvoir offrir ne serait-ce qu’une petite chose à des êtres qui leur sont chers.»

Le Centre, comme chaque année, a lancé un appel au public pour son «Budget des autres», une sorte de fonds spécial d’entraide à l’occasion des fêtes. Cela lui permet de venir rapidement au secours de ceux qui, par exemple, ont de toute urgence besoin d’un dépannage financier, en attendant que les services administratifs en terminent avec leur pause de Noël.

En contrepoint de cette forme d’entraide évidemment peu spectaculaire, Noël appelle la fête, la lumière, la musique. Et c’est ainsi que, pour la neuvième fois consécutive, un bon millier de personnes se sont donné rendez-vous au «Réveillon du cœur» organisé à Palexpo par une association fort discrète mais efficace, «Genève solidaire».

«La solitude du 24, oubliez-la!» dit le slogan de cette soirée toute entière dédiée aux solitaires de tous bords et qui, par la force des choses, ressemble plutôt à un immense «resto du cœur». Si vous voulez faire partie des bénévoles, me susurre un répondeur téléphonique, désolé, nous sommes déjà complets.

En fait, bon nombre des 200 volontaires qui assurent le service de ce super réveillon seraient eux-mêmes, paraît-il, des solitaires en quête de vie sociale, ne serait-ce que fugitive. Leur enthousiasme, ce soir-là, réjouit grandement l’un de ses organisateurs, Pierre Gillioz. Quoi de plus merveilleux, dit-il, que de sortir de sa propre solitude pour égayer celle des autres!

S’il est quelqu’un qui égaye aussi, et à sa manière, la vie des Genevois jour après jour, c’est Julie, la journaliste qui signe de ce pseudonyme populaire ses billets quotidiens à l’encre bleue de la Tribune de Genève.

Depuis quatre ou cinq ans, lorsque Noël approche, Julie sort son Jules, c’est-à-dire son gros cochon-tirelire qu’elle installe à l’entrée de son journal. C’est sa façon à elle d’en appeler à la solidarité avec les plus démunis.

Cette invitation à la «thune du cœur» ne passe pas inaperçue de ses lecteurs. Chacun y va de sa participation, des plus grands aux plus petits, le tout enveloppé souvent de jolis mots de tendresse.

Le bénéfice de l’opération est ensuite réparti – «très chrétiennement» me dit Julie qui annonce pour ce Noël un montant qui dépasse nettement les 50 000 francs suisses – entre un resto du cœur de la ville voisine et néanmoins française d’Annemasse (la solidarité n’a pas de frontières) et le CARÉ.

CARÉ comme Caritas (l’œuvre d’entraide qui lui a donné naissance il y a une vingtaine d’années), Accueil, Rencontre, Échange mais aussi RÉinsertion sociale. C’est, comme dit Jean-Marie Vienat, le prêtre éducateur qui l’a créé et qui l’anime, «une famille ouverte à toute personne confrontée à des difficultés matérielles, relationnelles, affectives ou autres». En une phrase, «c’est un lieu où renaître».

Noël, on l’aura compris, y est forcément le moment fort de l’année, le temps par excellence des solidarités, le symbole même de ce à quoi devrait ressembler chaque journée. Le jour de Noël, le CARÉ organise repas et fête pour 300 personnes. Pas d’invitation. Les gens savent qu’ils peuvent venir.

Jean-Marie Viénat, pourtant, ne cache pas qu’il y a deux ou trois mois, il a eu quelques craintes. «L’économie reprenant son souffle, les gens ont cru que tout allait mieux et qu’il n’y avait plus de pauvres. Leurs dons se sont alors faits plus rares. Mais à l’approche de Noël, ils ont redécouvert une réalité bien différente et les solidarités se sont remises en marche.»

«Ce qui me révolte le plus, dit-il, c’est la disparité entre riches et pauvres, ça me fait très mal de voir par exemple les journaux publier la liste des 300 plus grandes fortunes de Suisse, ça serait tellement mieux si on arrivait à partager davantage.»

On devine l’homme tiraillé entre deux sentiments: la peine de voir que dans les villes de Suisse romande une personne sur cinq vit pratiquement en-dessous du seuil de pauvreté, et l’émerveillement face à toutes les solidarités qui se déploient, souvent invisibles.

Les valeurs du cœur finiront bien par l’emporter, conclut-il, en rêvant du jour où, citant le prophète, «les viandes seront succulentes et le Maître lui-même viendra servir ses invités».

Bernard Weissbrodt, Genève

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