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Oppression de la couleur et mémoire sépia

Robert Walker: Times Square, New York, 2002. SP

D’un côté, un déluge de couleurs urbaines. De l’autre, une excursion dans un passé sage et trompeur.

«Robert Walker, Color is Power» et «Le miroir de H.G. Wells, photographie vaudoise au XIXe siècle» sont à découvrir au Musée de l’Elysée, à Lausanne.

Il y a bien longtemps que William Ewing souhaitait consacrer un livre et une exposition à Robert Walker, né à Montréal comme lui. Robert Walker, que le directeur du Musée de l’Elysée suit depuis une bonne trentaine d’années, et avec lequel il a noué une vraie relation d’amitié.

Robert Walker. Homme de la couleur. Et homme de la ville. «De la très grande ville, généralement. Avec un vrai rapport amour-haine», constate William Ewing. L’exposition lausannoise nous emmène à New York, le centre de son travail, mais aussi à Las Vegas, Montréal, Toronto, Rome, Paris ou Varsovie – sa femme est Polonaise.

«Il adore le bruit visuel des grandes villes, mais en même temps, le déteste. Il voit la manipulation, il voit le capitalisme pur et dur qui nous saisit à chaque occasion, avec des messages toujours plus forts, plus sophistiqués, plus efficaces. C’est le propos de cette exposition. Même si l’objectif premier reste la photographie», relève William Ewing.

L’humain, fourmi de passage

Habituellement, la photographie à tendance sociale s’intéresse prioritairement à l’humain – ce qui paraît une évidence. Dans les images de Robert Walger, pourtant, c’est d’abord la couleur qui frappe. Puis la composition, patchwork de formes qui se bousculent.

Et surtout cette étonnante ‘mise à plat’: en jouant de la taille des objets et de leur cadrage, Robert Walker assassine la profondeur de champ, malaxe notre perception de la rue et de ses multiples messages. On croirait parfois à des collages, et pourtant ça n’en est pas.

Si l’humain est mis en évidence, c’est de façon fragmentée, à travers les affiches publicitaires, images dans l’image. L’humain, le vrai, celui qui marche dans la rue, est réduit au rang de figurant maigrelet, de fourmi de passage…

Derrière l’image à la fois belle et vulgaire, élégante et racoleuse, se glisse subrepticement une véritable mise en cause politique, une interrogation sur la société de consommation et ce fameux «pouvoir de la couleur». Une photographie de «guerilla», commente William Ewing.

Un passé imaginaire?

Toute autre ambiance au sous-sol du Musée, où, en relation avec le bicentenaire de la création du Canton de Vaud, l’Elysée nous plonge dans un 19ème siècle sépia qui nous paraît soudain bien calme.

Mais attention, la photo est trompeuse: si le noir-blanc est de rigueur, c’est évidemment parce que la couleur n’existait pas à l’époque. Et si le 19ème siècle paraît aussi immobile, figé, c’est parce que la technique photographique d’alors ne pouvait pas saisir le mouvement.

L’exposition contient donc principalement deux sortes de témoignages: des bâtiments et autres places municipales, vides d’individus. Ou des portraits de groupe, habits du dimanche, corps figés et regards altiers de rigueur.

Et quand le mouvement est évoqué, paysans aux champs ou lavandières au travail, on sait qu’il a été préalablement figé. Le temps de pose implique la pose, et la photo prend alors des allures de peinture.

«En 1895, Wells publiait ‘La machine à remonter le temps’. La photo permet aussi de remonter le temps. Mais ce qui est intéressant, c’est ce qu’on trouve dans ce voyage. Et à mon sens, ce qu’on y trouve, c’est une matière pour l’imaginaire. Cela nous renvoie à notre conception du passé plus qu’à une trace historique», constate le conservateur Daniel Girardin, commissaire de l’exposition.

Et de relever que la dimension nostalgique de notre regard joue une place essentielle dans la lecture que nous faisons de ces témoignages.

Toutes les images présentées dans le cadre de cette exposition proviennent des collections du Musée. Lausanne s’y taille évidemment la part du lion (ah, la Riponne d’avant le massacre!), mais y figurent également de plus petites cités (Vevey, Morges) et des vues campagnardes.

Les montagnes, aussi, car le tourisme helvétique, surfant sur les enthousiasmes romantiques de la première moitié du 19ème siècle, était alors une industrie en pleine expansion.

swissinfo, Bernard Léchot

– Le Musée de l’Elysée, à Lausanne, propose deux nouvelles expositions, à voir jusqu’au 25 janvier 2004.

– Sous le titre «Color is Power», la première est consacrée au travail du photographe canadien Robert Walker, passionné par les zones urbaines, dont les décors géants – publicités, couleurs – écrasent les humains métamorphosés en discrets figurants.

– A cette occasion, le Musée de l’Elysée et son directeur, William Ewing, publie un riche catalogue également nommé «Color is Power» (Ed. Steidl).

– Sous le titre «Le miroir de H.G. Wells», la deuxième propose un parcours à travers la photographie vaudoise au XIXe siècle, et à partir de là, une réflexion sur le reflet parfois trompeur que nous renvoient les images de notre passé.

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