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Paul Nizon, coureur de fond

Paul Nizon, ici le 27 mai 2005 à Berne, à l'occasion de son 75ème anniversaire Keystone

Les éditions Actes Sud publient «Le Livret de l'amour», deuxième volet du journal intime du grand écrivain alémanique.

Paul Nizon s’y livre avec la passion qu’on lui connaît pour la vie, les femmes, les lettres. Avec aussi sa vision critique de la Suisse.

Blocs d’angoisses et éclats de joie, exultation amoureuse et solitude glaciale: toute l’existence de Paul Nizon balance entre ces extrêmes.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que Nizon se nourrit de démesure. Et c’est la démesure qui nourrit son journal intime dont le deuxième volet est publié dans la traduction française sous le titre «Le Livret de l’amour», (éditions Actes Sud).

La gestation de ses livres

Des milliers de notes rédigées par l’écrivain entre 1973 et 1979 ont donc été soigneusement triées et rassemblées dans ce «Livret». Où l’on retrouve la réflexion très éclairante de l’auteur sur ses romans déjà écrits, comme «Stolz», «Immersion» et «Canto». Où l’on découvre aussi la gestation de ses livres à venir comme «L’Année de l’amour».

D’amour, il est toujours question dans les textes de Nizon. Un sentiment à la fois réparateur et destructeur qui enflamme le deuxième volet de ce journal (le 1er volet ayant paru l’an dernier, chez Actes Sud toujours, sous le titre “Les Premières éditions des sentiments, 1961-1972). Pour le diariste, les femmes sont source de souffrances et d’hésitations tourmentées: jamais sans elles, jamais avec elles.

Il y a du Kafka chez Nizon, une manière de s’abymer dans l’effroi. Il y a également du Robert Walser chez ce paria né à Berne en 1929, qui souffre d’adaptation amoureuse et sociale et passe son temps à fuir. Sauf que Walser n’a pas quitté la Suisse. Sa fuite était mentale.

«Autoexpulsé» de Zurich

Nizon, lui, est un poète autoexilé, «autoexpulsé» de Zurich où il travaille comme critique d’art. Où il étouffe aussi.

Vagabond inspiré, il s’épuise à courir l’Europe et ses métropoles, lieux de perdition idéale pour lui. Rome lui inspire son magnifique «Canto». Et Barcelone qu’il parcourt comme une âme errante donne naissance à «Immersion», récit d’un voyageur transi d’amour.

Des grandes villes nécessaires à sa solitude, Nizon parle beaucoup dans son journal. Et Paris n’est pas en reste. Paris où l’auteur décide de s’installer dans les années 70 pour s’y ressourcer et écrire.

Nizon le plus parisien des écrivains alémaniques. Un des plus grands aussi, des plus lucides sur la condition humaine. Sur sa condition de citoyen helvétique en particulier. Son “Livret” vaut au lecteur des pages impitoyables sur la Suisse.

Riche et avare

Parlant de ce pays, il note le 17 mai 1979: «Surtout pas de joie, pas d’élan, pas de changement, pas de flamme. Toujours l’aigreur (…) comme tactique de vie. Qu’on nous exorcise du démon du monde et qu’il nous laisse en paix une bonne fois pour toutes. La Suisse est devenue le pauvre homme riche et avare de l’Europe (…) secrètement convaincu de sa supériorité dans ses vieilles guenilles: une neutralité sans joie, telle doit être l’ambiance».

Il n’y a pas d’amour sans haine, dit-on. Si Nizon en veut tant à la Suisse c’est qu’il doit quand même beaucoup l’aimer.

swissinfo, Ghania Adamo

Paul Nizon est né à Berne en 1929.

Romancier et essayiste, il est considéré comme l’un des écrivains majeurs de langue allemande.

Il vit en France où, en 1998, il a reçu le prix France-Culture et a été nommé chevalier des Arts et des Lettres.

En France sont déjà parus chez Actes Sud L’Année de l’amour (1985 et Babel n°9), Stolz (1987 et Babel n°48), Dans le ventre de la baleine (1990), Immersion (1991), Marcher à l’écriture (1991), Dans la maison les histoires se défont (1992), L’Oeil du coursier précédé de Mes ateliers (1994), L’Envers du manteau (1997), Chien (1998) et, aux éditions Jacqueline Chambon, Canto (1991).

Un «Thesaurus», paru en 1997, rassemble toutes ces oeuvres à l’exception de L’Envers du manteau et de Chien.

«Le Livret de l’amour», Journal 1973-1979. Editions Actes Sud. 310 pages

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