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«Pour l’hôtellerie de luxe, la main-d’œuvre revêt une importance capitale»

Une hôtelière prépare les lits
Une employée de l'hôtel de luxe The Chedi Andermatt au travail. L'hôtel fait partie de l'association Swiss Deluxe Hotels. Thomas Linkel / Keysone

Les hôtels de luxe suisses se sont largement remis de la crise du Covid. Mais un effet secondaire indésirable persiste: il est très difficile de remplacer le personnel qui a quitté la branche durant la pandémie, comme l’explique Nathalie Seiler-Hayez, directrice générale de Swiss Deluxe Hotels.

L’association Swiss Deluxe Hotels, créée en 1934, regroupe 39 hôtels cinq étoiles en Suisse, parmi lesquels figurent le Dolder Grand à Zurich, le Victoria-Jungfrau Grand Hotel & Spa à Interlaken et le Beau-Rivage Palace à Lausanne. L’ensemble de ces 39 hôtels renommés offre au total 4100 chambres et suites et emploient plus de 8000 personnes. Les membres de cette association représentent plus de 40% de la capacité hôtelière cinq étoiles du pays.

Swiss Deluxe Hotels offre à ses membres de nombreux services (échanges professionnels, conférences, marketing, …) et a également la fonction d’une centrale d’achat auprès d’une sélection de partenaires et fournisseurs. Cette association est financée par ses membres et partenaires.

C’est à l’hôtel Beau-Rivage Palace à Lausanne que Nathalie Seiler-Hayez, directrice générale de cette association, a donné rendez-vous à swissinfo.ch pour une grande interview.

swissinfo.ch: Dans quels pays se trouvent les meilleurs hôtels de luxe?

Nathalie Seiler-Hayez: Je ne veux pas paraître chauvine, mais je dirais que c’est la Suisse. Pour un si petit territoire, c’est incroyable d’avoir tellement de si beaux palaces. Nous sommes considérés comme le berceau de l’hospitalité également grâce à nos prestigieuses écoles hôtelières et cela devrait être une source de fierté.

Vue aérienne d'un grand hôtel de luxe au bord d'un lac
Vue aérienne de l’Hôtel Beau-Rivage Palace à Lausanne. Jeremy Graham / Alamy Stock Photo

Que pensez-vous des hôtels de luxe dans des pays asiatiques tels que Singapour ou la Thaïlande?

Ces hôtels sont vraiment extraordinaires et ils bénéficient de l’avantage des coûts de main-d’œuvre relativement bas; ces dépenses ne représentant que 20% de leurs recettes, contre 50% pour les hôtels suisses. Cela permet à ces établissements d’avoir entre trois et quatre employés par client.

Quelles sont les meilleures formations hôtelières dans le monde?

Je pense à plusieurs écoles suisses telles qu’EHL Hospitality Business School à Lausanne, ainsi que les écoles hôtelières de Genève, Glion, Roche, Lucerne et Thoune. L’EHL Hospitality Business School se distingue par son niveau académique élevé en gestion et son fort accent sur l’hospitalité, tout en mettant l’accent sur le développement des compétences relationnelles.

Quels sont actuellement les principaux défis que doit affronter l’hôtellerie de luxe en Suisse?

La principale préoccupation demeure la pénurie de main-d’œuvre. En raison de la pandémie, notre profession a été largement délaissée, nous obligeant à entreprendre des efforts considérables pour réattirer des employés. Pour l’hôtellerie de luxe, la main-d’œuvre revêt une importance capitale, surpassant même des aspects comme l’emplacement, la vue et l’héritage de nos établissements.

Un autre enjeu majeur concerne la durabilité. Cet élément est fondamental en lui-même et constitue une de nos valeurs. De plus, certaines entreprises partenaires ou clientes s’attendent à ce que nous soyons fermement engagés en matière de durabilité.

Concernant la main-d’œuvre, n’est-il pas relativement aisé d’attirer du personnel de l’étranger?

Traditionnellement, nous avons recruté de nombreuses personnes en provenance de France, d’Allemagne ou d’Autriche. Cependant, le marché du travail dans ces pays s’est considérablement asséché. De plus, les lois suisses sur l’immigration sont très contraignantes et rendent difficile l’engagement de main-d’œuvre hors du marché européen.  

Femme assise sur une grande chaise, Nathalie Seiler-Hayez
Nathalie Seiler-Hayez, la directrice de l’association Swiss Deluxe Hotels. Eddy Mottaz / Le Temps

Quid du franc fort et de l’inflation?

La Suisse est connue pour être une destination chère mais qualititative et la force de son franc contribue à cette perception. D’une part, nos hôtels ont appris à s’adapter à cette situation et, d’autre part, le segment du luxe est relativement peu sensible à l’appréciation du franc.

Quant à l’inflation, elle nous a affectés de manière significative: à la sortie du Covid, l’augmentation des prix des matières premières telles que le bois a considérablement renchéri nos coûts de rénovation. De même, les prix des aliments dans les restaurants ont augmenté, alors que les marges sont déjà minces dans ce secteur.

Quelles sont les incidences des tensions géopolitiques sur la fréquentation de vos hôtels?

L’industrie hôtelière de luxe est particulièrement sensible aux événements géopolitiques et nous avons constaté une forte diminution de notre clientèle en provenance de Russie, de Chine et du Moyen-Orient. Heureusement, la clientèle américaine et européenne est de retour en force, ce qui compense largement les pertes provenant d’autres pays. Quant à la clientèle suisse, elle a redécouvert son pays pendant la pandémie et elle continue de fréquenter assidûment nos hôtels.

Quelles sont les principales distinctions entre vos hôtels en montagne et ceux en milieu urbain?

Depuis la fin du Covid, nos établissements hôteliers en montagne attirent un nombre record de visiteurs chaque hiver, même cette année où la quantité de neige a été relativement faible. Quant aux hôtels en ville et autour du lac Léman, les premiers mois de cette année ont été plutôt mitigés, mais les perspectives pour cet été sont encourageantes. Concernant Genève, l’année 2023 a été exceptionnelle pour l’ensemble de la branche hôtelière, avec une augmentation de 11% du nombre de nuitées par rapport à 2019 et de 20% par rapport à 2022.

Quelles sont vos priorités en matière de relations publiques?

Dans le passé, nous avons souvent collaboré avec des agences de presse dans nos marchés cibles, mais cette activité est de plus en plus prise en charge par nos membres. En conséquence, nous concentrons nos efforts sur les réseaux sociaux. Avec 43’000 abonnés, notre présence est assez marquée sur Instagram.

Parallèlement, nous continuons à accueillir des visites individuelles de journalistes issus de médias tels que le Financial Times, le New York Times ou Vogue. Enfin, notre revue haut de gamme «H», publiée deux fois par an, est distribuée dans toutes les chambres de nos hôtels, ce qui présente un intérêt clair pour nos annonceurs.

Entrée de l'hôtel Mont Cervin Palace à Zermatt, Suisse
«Nos hôtels de montagne attirent chaque hiver un nombre record de visiteurs», affirme Nathalie Seiler-Hayez. Sur la photo, on peut voir l’hôtel Mont Cervin Palace à Zermatt. Keystone

Que pensez-vous des plateformes du type Booking et TripAdvisor?

Ces outils sont devenus incontournables. Booking nous permet d’atteindre une clientèle à l’échelle mondiale, même là où nous ne sommes pas présents. TripAdvisor nous offre la possibilité de connaître le ressenti de notre clientèle et d’interagir avec elle.

Comment devient-on membre de votre association?

Notre seul critère est la qualité. En pratique, tout postulant doit être parrainé par deux hôtels membres de sa région, puis se soumettre à des évaluations rigoureuses de qualité organisées par notre association ainsi qu’une entité externe. En fin de compte, c’est notre assemblée générale, composée des directeurs généraux de nos 39 hôtels, qui prend une décision finale.

Est-ce que des critères «politiques» sont pris en considération, par exemple la nationalité des propriétaires hôteliers?

En aucun cas! D’ailleurs, les hôtels de luxe en Suisse sont souvent la propriété d’organisations étrangères.

Votre association exerce-t-elle une activité de lobbying auprès des autorités fédérales?

Effectivement, je participe au groupe de réflexion de la Confédération sur la stratégie touristique suisse. Il est crucial de mettre en lumière les bénéfices directs et indirects de notre secteur auprès de la Confédération, notamment parce que notre industrie est souvent perçue comme le vilain petit canard.

L’hôtellerie de luxe contribue à créer une image de rêve qui attire de nombreux touristes, bien que la majorité d’entre eux ne fréquentent pas les établissements de luxe. Cela s’apparente à la haute couture qui forge un désir et stimule la vente massive de prêt-à-porter.

Âgée de 53 ans, Nathalie Seiler-Hayez est diplômée de l’EHL Hospitality Business School. Elle a débuté sa carrière à l’Hôtel Lutetia à Paris, puis a poursuivi à New York où elle a travaillé pour Rosewood Hotels & Resorts. De retour en Europe, elle a pris la direction générale du Radisson Blu Champs Elysées, puis du fameux Connaught Hotel à Londres.

Revenue en Suisse, elle a été à la tête de l’hôtel Beau-Rivage Palace à Lausanne de 2015 à 2023; durant cette période, elle a été distinguée « Hôtelière de l’année » par la Sonntagszeitung en 2018; de plus, le Beau-Rivage Palace a été élu «Hôtel de l’année» par Gault&Millau en 2022. En mai 2013, Nathalie Seiler-Hayez a été nommée directrice générale (Managing Director) de l’association Swiss Deluxe Hotels.

Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg

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