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Règlement de compte

Avec «Aime ton père», en compétition à Locarno, le cinéaste romand Jacob Berger fait fort. Gérard et Guillaume Depardieu y sont réunis pour un duel intense. Rencontre.

Léo Shepherd (Gérard Depardieu) est écrivain. Il vient de toucher le jackpot: le Prix Nobel. Et met donc le cap sur Stockholm, à moto, pour l’y recevoir.

Son fils Paul (Guillaume Depardieu), malgré des années de tensions et d’incommunicabilité, le rejoint en cours de route pour le féliciter.

Et surtout pour tenter un contact. Lui montrer peut-être également, que lui aussi a réussi, notamment en renonçant à la drogue. Mais l’écrivain respecté, enfermé dans son égocentrisme forcené, n’entre pas en matière. Ou si peu.

Alors, en Suisse, suite au hasard d’un accident qui fait croire à la mort de l’auteur, Paul kidnappe son père à bord de sa voiture.

Jusqu’à Stockholm, chacun aura le temps de mettre à nu ses blessures. Et de violemment régler ses comptes.

Thriller psychanalytique

L’enfance est un sujet qui habite Jacob Berger, âgé de bientôt quarante ans.

«L’univers de l’enfance est celui des souvenirs, forcément subjectifs. Un père ne voit pas l’enfance de son fils comme son fils la voit. Pour un enfant, la force d’un père peut paraître extraordinairement violente. Alors que souvent, quand les pères sont violents, c’est leur faiblesse qui les ronge. Donc eux ne voient pas leur violence.»

Avec ce type de réflexions, Jacob Berger aurait pu nous emmener sur la piste du film intimiste, tendance confession sur le canapé. Il a résolument écarté cette option.

«C’est l’inconscient qui m’intéresse, mais pas de façon lénifiante, ni verbeuse. Au contraire, cette recherche devait être menée cinématographiquement comme si on fabriquait un thriller. Mais pas pour raconter un thriller, pour raconter une relation humaine».

Du binaire au ternaire

Cette fois-ci, Guillaume ne joue pas Gérard jeune. C’est pour un véritable face-à-face que Jacob Berger a sollicité la maison Depardieu & fils.

Quand on sait que les relations entre les deux acteurs ont parfois été plutôt tumultueuses, difficile pour le spectateur de ne pas mêler fiction et réalité.

Mais Jacob Berger s’oppose à cette lecture: «La fiction, c’est la fiction», réagit-il.

«Ce sont des acteurs avant tout. Et tous les acteurs vont fouiller au fond d’eux-mêmes pour aller trouver la vérité d’une situation. Je pense que Gérard et Guillaume sont allés chercher l’un et l’autre au fond d’eux-mêmes ce qu’il fallait pour interpréter ces personnages. Mais il n’y a jamais eu de confusion.»

Au duo s’ajoute un troisième personnage, vigoureux. Celui de la sœur de Paul, Virginia, interprétée par l’inquiétante Sylvie Testud. Alors que Paul a grandi dans le rejet et la rébellion, Virginia a poussé dans l’ombre de son père, esclave consentante.

Amenée elle aussi à la rupture, elle n’en tombera que de plus haut. «Ce que j’essaie de montrer, c’est que la place de l’enfant préféré n’est pas nécessairement enviable. Le rejet, et donc la rébellion, sont aussi des formes de liberté», commente le réalisateur.

Qui reconnaît par ailleurs que Sylvie Testud à apporter une dimension imprévue à son rôle: «Elle a une telle personnalité. C’est un animal d’une telle férocité et d’une telle sensibilité qu’elle est parvenue à faire que cet histoire bipolaire devienne triangulaire».

Le besoin de se réparer

Choc du duo Depardieu. Performance de Sylvie Testud. Intrigue psychologique. Suspense réel. Sujet universel. Jacob Berger tape fort et bien.

Mais un sujet universel implique nécessairement des résonances individuelles. Quels comptes personnels Jacob Berger est-il donc parvenu à régler au travers de ce film?

«Je crois que c’est impossible d’élever des enfants sans commettre d’erreurs, répond-il. On a donc tous besoin d’être réparés. La psychanalyse sert à ça, mais aussi la religion, l’art, la musique, la poésie…»

Puis, de l’individuel, il glisse vers le relationnel: «Il y a aussi des gestes qui permettent de réparer les choses entre les gens. On passe parfois une vie à vouloir que l’autre s’excuse, reconnaisse ses torts. Et il arrive un moment où on peut réparer les choses autrement. En parlant, en faisant des films… ou des enfants. Alors une forme de paix peut s’installer. Rien n’est réglé, les injustices ne sont pas éliminées, mais on peut vivre ensemble».

«Pour moi, ce film, c’est vraiment ça, par rapport à mes propres blessures. Parce que, oui, j’ai été un être souffrant vis-à-vis de ma famille, de mon père, de moi-même. Bien sûr.»

Les œuvres réussies se construisent rarement sur du vent, dans les sphères éthérées de l’abstraction. «Aime ton père» sortira en Suisse et en France le 13 novembre. Allez vérifier.

swissinfo/Bernard Léchot à Locarno

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