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En avant la musique… sur microsillons!

Un vinyle qui tourne
L’an passé en Suisse, il s’est vendu chez les disquaires l’équivalent de 136'000 albums en vinyle et 2000 singles. © Keystone / Christian Beutler

Le vinyle poursuit irrésistiblement son come-back. Le 12e Record Store Day organisé ce samedi à travers le monde devrait couronner sa renaissance et réaffirmer le rôle des disquaires. Mais la Suisse est à la traîne.

Les plus téméraires attroupés dès vendredi soir, sinon samedi matin dès potron-minet, devant des centaines de magasins de disques répartis sur toute la planète. Ce 13 avril c’est Record Store DayLien externe. Autrement dit Noël pour les adorateurs du disque vinyle. Un objet culte voué à la mort clinique voici dix ans. 

Deux hommes à la recherche de disques vinyl dans un magasin spécialisé
Des amateurs de vinyles cherchent la perle rare dans le magasin “Oldies Shop” à Berne. © Keystone / Peter Klaunzer
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De 7 à 77 ans, les yeux brillants et les mains fébriles, ils attendent avec anxiété, chaque printemps, de pouvoir prendre possession ce jour-là de dizaines de rééditions présentées depuis quelques semaines déjà par les organisateurs de la Journée mondiale des disquaires comme des œuvres incontournables, à gros matraquage promotionnel. Qu’il s’agisse d’un xième pirate des Ramones à New York, du Grateful Dead capté au débotté en 1980 à San Francisco ou du «Saucerfull of secrets» de Pink Floyd en version mono.

Des galettes de rock, de funk, de hip hop, de soul, de jazz, même du classique. En onze ans d’existence, le Record Store Day est devenu un moteur pour l’industrie de la musique sur supports physiques (CD ou vinyle). Si cette journée n’a jamais eu jusqu’ici un réel retentissement en Suisse, en raison d’un marché exigu et d’une offre restreinte de disquaires, elle est célébrée à travers le monde comme il se doit. Surtout en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, là où le concept est né le 19 avril 2008. Des défenseurs déclarés du vinyle ont alors décidé cette année-là d’honorer leurs principaux fournisseurs de came: les disquaires. Environ 1400 magasins de disques avaient participé à cette première édition outre-Atlantique, avant que cette mode déferle sur l’Europe.

Iggy et Ozzy ambassadeurs

En 2008, disons qu’il était franchement illusoire d’imaginer un quelconque avenir pour le disque vinyle, encore moins de lui prédire une pareille cure de jouvence. Des stars comme Iggy Pop, Metallica ou encore Ozzy Osbourne ont rapidement prêté leur nom à cette épopée vinylique en s’associant – au titre d’ambassadeurs – au Record Store Day. 

Les derniers chiffres du marché mondial de la musique, révélés au début du mois par l’association internationale des labels (IFPI), confirment pourtant que l’industrie de la musique doit avant tout son redressement actuel au streaming, dont les revenus ont augmenté de 34% en 2018 au niveau mondial. En Suisse, où la hausse est même de 36%, les ventes de CD et de vinyles stagnent. Le disque reste une affaire de DJ, de spécialistes ou d’amateurs éclairés. L’an passé, il s’est vendu chez les disquaires d’ici l’équivalent de 136’000 albums en vinyle et 2000 singles, selon l’antenne suisse de l’IFPI. Une hausse sur un an de 1 %.

«Les grandes compagnies de disques nous font croire qu’il s’agit-là d’objets rares et indispensables»
Ludovic Schopfer, Zorrock

En France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, on note en revanche un net regain d’intérêt pour la vieille galette noire de papa et maman. «Les ventes de vinyles ont quintuplé en valeur comme en volume en cinq ans», a récemment claironné dans «Le Figaro» Alexandre Lasch, patron du principal syndicat des producteurs de disques en France (Snep). Et les achats de platines décollent aussi (+ 60% en 2 ans). Idem aux Etats-Unis où le vinyle revient en force avec 9,7 millions d’albums trouvant preneurs en 2018 (+ 12% par rapport à 2017).

Objet tout terrain

Ce sursaut d’orgueil d’un support voué jadis à la disparition dépasse largement le seul cercle des disquaires. Il est de plus en plus fréquent de tomber sur des microsillons dans des magasins de fringues ou dans les rayons de StauffacherLien externe, la plus grande librairie de la ville de Berne. Là, les 33 tours s’entassent avec des prix qui oscillent entre 20 et 40 francs pièce. Sans compter les nombreuses bourses aux disques qui participent aujourd’hui à cet étonnant redémarrage.

Un disque vinyle
En 2008, personne n’aurait parié sur la survie du vinyle. © Keystone / Peter Klaunzer

Mais tout n’est pas rose au pays des disquaires à la veille de la journée mondiale consacrant leur sacerdoce. Chez ZorrockLien externe, à La Chaux-de-Fonds, le Record Store Day sera vécu comme une journée tout à fait banale. «J’avais organisé des show-case, puis commandé des vinyles estampillés RSD exprès en 2016. Résultat: ils sont toujours dans les bacs. Flop absolu», concède Ludovic Schopfer, l’un des gérants du magasin. «Si un client veut un disque RSD, je le lui commande volontiers en le prévenant tout de même que rien n’est garanti, en raison de pressages limités. Sans compter des prix souvent plus élevés que ceux d’albums standards. Les retombées sont nulles pour nous», conclut-il.

Autre constatation: «Les grandes compagnies de disques nous font croire qu’il s’agit-là d’objets rares et indispensables. Mais ô surprise… quelques mois après le Record Store Day, certains tirages limités ressortent en suivant une filière tout à fait normale de distribution. Les prix sont alors étrangement plus bas ».

«Collector bullshit»

A Hambourg, le vieux magasin punk Crypt RecordsLien externe n’a pas fini de baver sur ce raout organisé depuis plus d’une décennie autour du culte du vinyle. «Je ne suis pas contre l’idée de rassembler des gens autour du disque», observe avec philosophie Dirk, l’âme de ce label spécialisé depuis longtemps dans le rock garage. «Ce qui m’indispose a trait au collector bullshit», selon sa propre expression, que l’on pourrait traduire par «la collectionnite». 

«Sortir des disques ennuyeux en nombre limité à des prix assez chers pourrait aller, à terme, à l’encontre du rôle exact joué par les disquaires»
Dirk, Crypt Records

«Sortir des disques ennuyeux en nombre limité à des prix assez chers pourrait aller, à terme, à l’encontre du rôle exact joué par les disquaires», regrette-t-il. «Les disques doivent être publiés parce que la musique s’impose d’elle-même, non pour défendre les intérêts des collectionneurs». Crypt n’a jamais sorti d’édition spéciale pour le Record Store Day et n’entend pas céder à la mode à l’avenir.

Les marchands du temple seraient donc revenus aux affaires, eux aussi, comme au plus beau temps du psychédélisme. Rien d’étonnant. Samedi, ce sont plus de 500 références estampillées Record Store Day qui seront ainsi mises en vente chez les disquaires d’Albion, Brexit or not Brexit. La Suisse se contentera, elle, des miettes avec quelques dizaines de sorties seulement.

Avachis depuis des heures sur le trottoir devant l’échoppe Piccadilly Records à Manchester, ou accroupis à quelques mètres du disquaire Light in the Attic à Seattle, sur la côte Est des Etats-Unis, des aficionados du vinyle sont déjà prêts à avaler ce week-end plusieurs centaines de kilomètres pour arriver à temps. D’autres n’auront pas fermé l’œil de la nuit pour être bien positionnés dans la queue des fans, prêts à se ruer tête baissée sur le «Pin Ups» de David Bowie en picture disc ou une édition formidable d’«Astral Weeks» de Van Morrison.

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