Des perspectives suisses en 10 langues

Richesses de la Collection Bührle à nouveau visibles

Le Semeur de Van Gogh est une toile phare de l'exposition. Keystone

Toujours amputée de deux tableaux, sur les quatre volés le 10 février 2008, la Collection E.G. Bührle, du nom du célèbre fabriquant d’armes, est à nouveau exposée: au Kunsthaus de Zurich, qui devrait l’accueillir définitivement si l’agrandissement du musée est accepté en votation.

«Entre deux et dix ans». C’est le laps de temps qu’il faut, en moyenne, pour que des œuvres d’art volées dans des musées réapparaissent. Et c’est Lukas Gloor, directeur de la Collection E.G. Bührle à Zurich, qui le dit, avec un petit sourire. «Il y a de l’espoir».

Car la collection et ses quelque 200 chefs d’œuvres, principalement autour de l’impressionnisme français, mais comptant aussi une série conséquente de sculptures gothiques, de Hollandais et d’Italiens du 18e siècle, a été, le 10 février 2008, amputée de quatre de ses principales œuvres. Valeur estimée: 180 millions de francs.

Accueillant jusqu’à 10’000 personnes par année dans une maison-musée de la Zollikerstrasse, dans un quartier chic et périphérique de Zurich, cette collection, connue dans le monde entier par les spécialistes, était jusque là restée relativement méconnue du grand public. Le vol l’a placée en pleine lumière.

Monet et Van Gogh retrouvés

Dix jours après le vol, deux des quatre œuvres étaient retrouvées dans le coffre d’une voiture: le «Champ de coquelicots près de Vétheuil» de Monet et les «Branches de marronnier en fleurs» de Van Gogh, peint peu avant son suicide, réintégraient la collection, désormais fermée au public, sauf sur rendez-vous.

Les deux autres tableaux volés, «Ludovic Lepic et ses filles» de Degas et le «Garçon au gilet rouge» de Cézanne, qui était une des œuvres préférées du collectionneur, manquent encore. Leur absence «hante» donc le Kunsthaus de Zurich, qui expose la Collection Bührle, jusqu’au 16 mai.

La police n’a pas refermé le dossier, ce qui est une bonne nouvelle, indique Lukas Gloor. Mais c’est la seule bonne nouvelle…» Aucune rançon n’a jamais été demandée, ce qui est plutôt inhabituel dans ce domaine.

L’association des musées a réagi

Le vol perpétré dans le petit musée Bührle avait en tout cas «marqué les esprits dans les musées suisses», explique David Vuillaume, secrétaire général de l’Association des musées suisses (AMS) et de la section suisse du Conseil international des musées (ICOM). D’autant plus qu’il s’était déroulé quelques jours après un autre vol, d’œuvres de Picasso celui-ci, à Pfäffikon, dans le canton de Schwytz.

A la suite de ces événements, l’AMS avait consacré une journée thématique sur les questions de sécurité, en juin 2009. «Nous sommes en train d’élaborer des fiches de sécurité résultant de ces discussions et qui vont être distribuées dans tous les musées suisses d’ici à 2011», précise David Vuillaume.

«A leur lecture, la plupart des responsables vont se dire qu’ils ont organisé leur sécurité de façon correcte. Mais ce qui est important, c’est, précisément, de donner ce sentiment de sécurité, en mettant les connaissances à jour et en les partageant.»

Les fiches indiqueront ainsi la marche à suivre (noter les événements, prendre des photos) par tous les collaborateurs d’un musée, lors d’un accident. «Car l’œuvre endommagée par un collaborateur ou un visiteur est l’accident le plus fréquent», rappelle le secrétaire général.

Une danseuse presque dos au mur

C’est peut-être la raison pour laquelle «La petite danseuse de quatorze ans», de Degas, n’est pas exposée au milieu d’une salle, ce qui permettrait de faire le tour de la sculpture, mais non loin d’une paroi. Mais même ainsi, le bronze couple le souffle du visiteur du Kunsthaus qui, tous les trois pas, n’en revient pas de «tomber» sur autant d’œuvres célèbres.

Côté sécurité toujours, le Kunsthaus se borne à dire qu’il a adapté son dispositif, déjà très élevé, pour accueillir la collection E.G. Bührle. «Nous avons un vaste éventail de mesures de sécurité et la somme d’assurance, que nous ne dévoilons pas, est également conséquente», affirme Christoph Becker, directeur du Kunsthaus.

On murmure que la collection vaudrait presque autant que l’ensemble des possessions du musée. Et que depuis le vol à la Zollikerstrasse 172, les primes d’assurance ont pris l’ascenseur… Mais personne ne veut en parler à haute voix.

Origine des œuvres: le musée veut la transparence

L’autre point épineux de cette collection – destinée à prendre ses quartiers définitivement dans le musée si un crédit d’objet est accepté par les Zurichois en 2011, est en revanche traité très ouvertement dans l’exposition: Emil Bührle avait acheté la plupart de ses œuvres durant la guerre et l’immédiat après-guerre. Des procès en restitution intentés après 1945 prouveront qu’il avait acheté de bonne foi des œuvres qui avaient en fait été volées.

Sur treize œuvres restituées à leurs propriétaires ou à leurs descendants, Emil Bührle en rachètera neuf. Preuve de sa passion pour ces tableaux. Passant pour un des premiers collectionneurs s’étant occupé de l’art volé pendant la guerre, Emil Bührle avait même engagé un secrétaire pour documenter ses acquisitions. L’exposition s’en fait l’écho.

Finalement, un des plus beaux hommages rendus au fabricant d’armes, historien d’art et collectionneur que fut Emil Bührle est venu de l’expert américain envoyé par les Alliés après 1945 pour faire la lumière sur les œuvres volées, Douglas Cooper.

«La performance d’Emil Bührle, écrira l’Américain en 1961, sera encore plus impressionnante quand on se souviendra qu’à l’époque [où il a bâti sa collection], la plupart des œuvres importantes de ces artistes étaient déjà dans des musées.»

Mort en 1956, Emil Bührle ne pouvait savoir que quatre de ses œuvres favorites seraient décrochées par des malfrats, chez lui, 50 ans après leur première exposition publique au Kunsthaus, en 1958. Si Lukas Gloor a de la chance, le laps de temps de «2 à 10 ans» se réduira au minimum pour les deux œuvres encore manquantes…

Quoi qu’il en soit, grâce à son amour éclairé de l’art et au Kunsthaus, qui pourrait accueillir sa Collection de façon permanente, Emil Bührle restera peut-être, finalement, dans l’histoire, associé à ses artistes préférés plutôt qu’aux armes qu’il construisit…

Ariane Gigon, swissinfo.ch, Zurich

Arts. Né en 1890 dans le Bade-Wurtemberg, Emil Bührle a étudié l’histoire de l’art et la littérature en Allemagne.

Changement de cap. A la fin de la guerre, il épouse Charlotte Schalk, dont le père banquier a des participations dans des usines de machines-outils, dont celle d’Oerlikon.

Armes. Il est envoyé en Suisse, à Oerlikon, où la fabrique du même nom produit des armes pour les Allemands désirant échapper à l’interdiction de fabrication d’armes imposée à l’Allemagne par le Traité de Versailles. En Suisse, il achète un brevet de pièce d’artillerie légère lors d’une faillite. C’est grâce à cela qu’il fera fortune.

Suisse. Il acquiert la nationalité suisse en 1937.

Collectionneur. S’il collectionne de l’art dès la fin des années 30, c’est entre 1951 et 1956, date de sa mort, qu’il achète la majorité de ses œuvres. A sa mort en 1956, la collection compte 450 toiles, 70 dessins et plus de 80 sculptures gothiques.

Œuvres volées. En 1945, un expert allié trouvera en Suisse 77 œuvres volées à des familles juives, dont 13 en possession d’Emil Bührle. Il les restituera et en rachètera neuf.

Plus de 170 œuvres. L’exposition «Van Gogh, Cézanne, Monet – La Collection Bührle» compte 155 peintures et 16 sculptures, de l’art gothique jusqu’au cubisme.

Dons. Sans compter les deux «Nymphéas» monumentaux de Monet offerts par Bührle au Kunsthaus de son vivant (comme «La Porte des enfers» de Rodin accolée à l’entrée du musée).

Impressionnisme. Le cœur de la collection est formé par l’impressionnisme et le postimpressionnisme français.

Célèbres. On trouve ainsi dans cette exposition parmi les tableaux français du 19e siècle les plus connus au monde: «Le semeur» de Van Gogh, «L’offrande» de Gaugin, «L’Italienne» de Picasso, etc.

Tous azimuts. Mais Emil Bührle a aussi acquis une série de sculptures gothiques en bois, «Vierges à l’enfant» colorées ou «Dépositions» au calme harmonieux, des maîtres hollandais tels que Franz Hals ou vénitiens comme Canaletto.

Accord. En 2006, le Kunsthaus et la Fondation Collection E.G. Bührle ont passé un accord pour que les œuvres intègrent la collection permanente du musée, tout en restant possession de la fondation. Un agrandissement du musée est néanmoins nécessaire.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision