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«Les gens devraient comprendre que la normalité n’existe pas»

Ritratto Stella Glitter
A 68 ans, Stella Glitter a trouvé une certaine harmonie: «Je sais ce que je peux demander aux gens et je ne suis plus disposée à me laisser blesser.» Thomas Kern/swissinfo.ch

Se sentir femme et être acceptée comme telle. C’est le combat mené sa vie durant par Stella Glitter. Transgenre et queer, à 68 ans, elle poursuit le rêve d’une société libre, où celui qui sort de la norme aussi aurait le droit d’être lui-même.

Accroché au mur du salon, un tableau raconte une métamorphose, celle d’une chrysalide qui s’est transformée en papillon. Stella Glitter sourit: «J’en ai parcouru du chemin, non?» Ce petit garçon en costume au regard timide a laissé place à une femme anticonformiste. «Cet autoportrait est une sorte de déclaration: je suis là, je suis une femme, une femme transgenre.»

De la fenêtre de sa cuisine, à La Motte, un village du canton du Jura, pas très loin de la frontière, Stella scrute l’horizon. «Ma présence embarrasse. L’apparence féminine, la voix masculine… ‘Quel type de créature est-ce?’, se demande-t-on. Puis vient le rejet, l’hostilité. Les gens devraient comprendre que la normalité n’existe pas.» Ses doigts cherchent une cigarette, alors que son esprit retourne à l’enfance.

Elle n’a que cinq ans, l’âge où se découvre la sexualité, lorsqu’elle prend conscience d’«être différente». Son corps lui est étranger mais elle n’a pas de mot pour exprimer ce qu’elle ressent. Avec la puberté, les doutes grandissent, s’installe le sentiments de «se tromper», d’«avoir péché». «Je me sentais si anxieuse et accablée mais je n’arrivais pas à me rebeller.»

Que signifie LGBTIQ ? 

L’acronyme LGBTIQ est un sigle utilisé pour désigner les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queer et intersexuées. Avec le temps d’autres termes sont également apparus pour définir les diverses orientations sexuelles et identités de genre.

Derrières ces lettres se trouvent toutefois des histoires de vie, des parcours parfois tortueux parfois simples mais tous uniques. C’est pourquoi nous avons décidé de consacrer un portrait à chaque terme qui compose l’acronyme. Nous souhaitons ainsi donner la parole aux personnes LGBTIQ et évoquer avec elles leurs rêves, leurs acquis et leurs revendications. Une série qui s’insère dans un débat de société au cœur de l’actualité, à découvrir au cours des prochaines semaines sur swissinfo.ch

Fille d’un pasteur protestant, l’aînée de sept frères et sœurs, Stella doit donner le bon exemple. Alors elle essaie de toutes ses forces d’entrer dans la peau d’un homme. Dans le petit village de Schöftland, dans le canton d’Argovie, elle devient membre d’une équipe de football, travaille dans les champs et apprend le dressage de chevaux d’attelage, une passion qui l’accompagne encore aujourd’hui. «Je remplissais mes journées à l’excès pour ne pas devoir affronter le tumulte qui grondait en moi.» Sa mère sait mais elle fait semblant de rien, incapable d’affronter quelque chose qu’elle ne connaît pas.

La rébellion dans la rue, le silence à l’intérieur

A 20 ans, après la maturité, Stella déménage à Zurich pour étudier la médecine vétérinaire. Nous sommes au début des années 70, et la ville vit sa petite révolution. Dans les centres sociaux, les jeunes théorisent une société plus libérale. Dans la rue, ils se battent contre la répression de l’Etat. Fascinée par cet esprit rebelle, Stella rejoint les mouvements autonomes. Elle abandonne ainsi l’université pour se consacrer complètement à la politique. Elle travaille en usine pour sensibiliser la classe ouvrière et passe son permis de conduire des taxis pour gagner un peu d’argent.

A travers les nuits zurichoises, entre les peu de bars fréquentés par les transgenres, Stella cherche un point de repère. «A l’époque, la scène LGBT n’existait pas. C’est grâce aux livres que j’ai compris que je n’étais pas seule.» Elle trouve en David Bowie un modèle auquel s’identifier et en son amour pour une femme un espace de liberté. «Pour la première fois, à ses côtés, je pouvais sortir du rôle masculin et être moi-même.»

Dans l’environnement de la gauche radicale, le thème de la transsexualité reste toutefois tabou, tout comme celui de l’homosexualité. Si ses amis acceptent de l’appeler Stella, elle reste pour eux un «camarade», et elle ne trouve pas non plus sa place dans les groupes féministes. «Je pense qu’il me considéraient comme une menace. Ils ne savaient pas où me situer. Et puis, à cette époque, seule la révolution comptait. Au fond, les gens étaient beaucoup plus conformistes qu’ils ne le pensaient.» Stella reste discrète et cherche dans l’art un moyen d’expression. «J’ai appris à jouer de la guitare, j’avais un groupe de punk, puis de rock and roll. Je faisais aussi du théâtre, je dansais, j’écrivais… Mais je continuais à vivre ma transsexualité en secret, avec ma compagne.»


La chemin de la renaissance

A 31 ans, elle arrive à un tournant de sa vie. En 1980, Stella est condamnée à quatre années et demi de prison pour un braquage de banque. Enfermée dans une prison pour hommes, elle est contrainte de dissimuler sa vraie identité. «Je n’ai jamais été une personne particulièrement attachée à la vie, mais à ce moment-là, j’ai compris que je ne pouvais plus continuer à me regarder dans un miroir en pensant m’être trompée de vie.»

Enfin libre, elle commence le long processus de transition. Un examen psychologique de trois jours à Bruxelles, un premier traitement hormonal qui échoue, puis un second. Après deux mois, son corps s’adoucit, la pilosité disparaît, ses seins se développent. Quelques traces sont toutefois plus difficiles à éliminer, comme sa voix rauque et profonde, avec laquelle elle interprète Elvis. A la joie succède une première désillusion. «J’avais passé des années à rêver de la femme que j’aurais voulu être. Je ne pouvais donc qu’être déçue du résultat. J’ai par contre toujours rejeté l’idée d’avoir recours à la chirurgie esthétique ou de subir une opération des cordes vocales: c’est une limite que je ne voulais pas dépasser.»

Stella apprend à aimer son nouveau corps mais ressent le besoin de faire un dernier pas pour finalement «renaître»; couper les ponts avec ses vieux amis incapables de la reconnaître en tant que femme et subir une opération de réassignation sexuelle. Même si ce choix l’éloigne de son premier grand amour. «J’ai toujours eu un problème avec mon pénis. Il était pour moi comme un corps étranger. J’ai ainsi décidé de me faire opérer et j’ai eu la chance de rencontrer un médecin prêt à m’aider.» Stella déploie ses ailes et prend son envol. «Enfin, je pouvais me regarder dans un miroir sans éprouver de dégoût, aimer une femme et me sentir aimée comme une femme. Contrairement à d’autres personnes transgenres, j’ai pu poursuivre le cours de mon existence sans problème. C’est en partie pour cela que je suis aujourd’hui ici pour raconter mon histoire.»

Jupe et talons hauts au placard

Dans une société qui se méfie de ceux qui sortent de la norme, Stella doit consentir à des compromis et renoncer à vivre pleinement sa féminité. «Après l’opération, je portais des jupes et des chaussures à talons hauts mais les gens pensaient que j’étais une travestie.» Avec les vêtements, c’est un autre rêve qu’elle range au placard, avec une certaine pudeur héritée de la culture protestante. «J’aurais voulu rompre avec les normes et les conventions mais je ne me suis jamais complètement libérée du jugement des autres.»

Stella estime toutefois que quelques progrès ont été réalisés. Il n’y a plus de tabou autour des personnes transgenres, les médias en parlent. Sur le plan juridique, la Suisse abandonne lentement des pratiques considérées comme inhumaines, comme la stérilisation imposée à ceux qui souhaitent changer de sexe auprès de l’Etat civil. Au quotidien, Stella est néanmoins toujours confrontée à la peur de la différence et à la méfiance qui en résulte. «Jusqu’à il y a deux ans, on m’insultait quand j’entrais dans les toilettes des femmes. Aujourd’hui, je peux me contenter de quelques gloussements et commentaires sarcastiques.»

Plus

Stella se définit comme avant-gardiste car dans son monde idéal, les catégories n’existeraient pas et seraient remplacées par une multitude de façons de définir son identité et sa sexualité. Un monde où avoir une voix masculine et des traits féminins ne serait pas perçu comme une menace contre l’équilibre de la société. «En ce sens, je suis 100% queer; je fais partie de ce mouvement qui rejette avec force le binarisme de genre.» 

La liberté à tout prix

Le regard tinté de mélancolie, Stella allume une dernière cigarette. Son visage porte les traces de la maturité mais elle n’a rien perdu de son esprit rebelle. Ses yeux, eux, cherchent encore la liberté à l’horizon. Depuis un peu moins d’un an, Stella a toutefois préféré la tranquillité de la campagne du canton du Jura, où elle a déménagé dans une «résidence artistique», à l’agitation de Zurich. 

Désormais retraitée, elle passe ses journées entre la peinture, la musique, l’écriture et de longues promenades dans les bois. «J’ai toujours cherché la voie qui me confère le plus de liberté possible et je l’ai trouvé dans l’art.» De temps à autre, elle est retourne dans sa ville pour jouer un peu de rock and roll ou exposer ses tableaux. «J’ai fait une longue liste de ce que je souhaite peindre et, ici, le temps ne me manque pas.»

Stella n’a pas peur de vieillir. Le temps qui passe la rassure, comme cette image accrochée au mur qui raconte sa métamorphose. «J’ai trouvé une certaine harmonie. Je sais ce que je peux demander aux gens et, à 68 ans, je ne suis plus disposée à me laisser blesser. Si vous voulez, prenez-moi comme je suis ou laissez-moi!» 

Le droit de changer de sexe

En Suisse, les personnes trans* peuvent changer de nom sans changer de sexe dans le registre d’Etat civil, en s’adressant à l’administration cantonale. Ils ont le droit de choisir leur nom.

Pour changer officiellement de sexe auprès de l’Etat civil, il est par contre nécessaire d’effectuer des démarches en justice. Jusqu’à récemment, tous les tribunaux suisses exigeaient des personnes trans* qu’elles se soumettent à une opération de réassignation sexuelle et d’apporter une preuve de stérilité. Ceci sur la base d’un arrêt du Tribunal fédéral, rendu en 1993. La situation est toutefois en train d’évoluer. En 2011, la Cour d’appel du canton de Zurich a autorisé le changement de sexe à l’Etat civil sans opération chirurgicale. L’année suivante, l’Office fédéral de l’Etat civil s’est exprimé en ce sens.

Si au cours des dernières années, divers tribunaux ont adapté leurs pratiques, d’autres continuent à exiger la preuve d’une intervention chirurgicale, de la stérilité et/ou le certificat d’un psychiatre qui atteste «la transsexualité» d’une personne. Une pratique condamnée par l’association TGNS, qui défend les droits des personnes trans*, et qui a déjà été abandonnée par des pays comme la France, l’Italie et l’Allemagne.

(Traduction de l’italien: Katy Romy)

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