Des perspectives suisses en 10 langues

Chamade: le brouillard se lève sur Arkhangelsk

Comme ailleurs en Russie, le communisme a laissé sa trace à Archangelsk.

Le voilier suisse Chamade et son équipage qui comprend des greffés suisses, sont arrivés à Arkhangelsk, au sud-est de la Mer Blanche. Une traversée de 800 km depuis Mourmansk sur les bords de la Mer de Barents réputée pour ses conditions de navigation difficiles.

C’est juste une tache noire sur l’écran du radar, mais elle commence vraiment à m’inquiéter.

C’est l’écho d’un cargo qui fonce sur nous dans le brouillard. Le voilà maintenant à moins de 2 milles. J’empoigne le combiné de la radio et lance un appel «à tous les navires» indiquant notre position. Quelques secondes plus tard une voix me répond dans un anglais teinté d’accent russe: il nous a vu sur son radar et va changer sa route pour nous contourner sur tribord.

Le secret des Pomores?

Le brouillard, il fallait bien s’y attendre. Nous sommes à l’entrée de la Mer Blanche, tout au nord de la Russie, dans des eaux glacées, alors que souffle un vent tiède de sud. Autant dire que le GPS et le radar sont les bienvenus à bord pour relier sans encombre Mourmansk à Arkhangelsk, une traversée de quatre jours.

Mais comment faisaient donc les Pomores, les habitants de la Mer Blanche, qui des siècles durant ont affronté à la voile ces eaux peu engageantes pour aller commercer avec leurs voisins norvégiens. Et si aujourd’hui l’opulente Norvège semble faire la leçon à la Russie, au 19e siècle c’était l’inverse. Les riches commerçants d’Arkhangelsk partaient livrer la farine, le bois de construction et les tissus les plus raffinés aux rustres pêcheurs du nord de la Norvège qui les payaient en poissons.

Un jour et un coup de vent plus tard, nous arrivons à Arkhangelsk ou Petr Petrovich, le président du petit Yacht Club nous réserve un accueil royal. Bien sûr, les voiliers locaux feraient pâle figure dans les marinas d’Europe occidentale, mais la passion n’en est que plus forte.

Yvan le terrible

Arkhangelsk, créée il y a tout juste 425 ans par Yvan le terrible, longtemps seul grand port de la Russie sur l’océan, s’étale sur les bords de la Severnaïa Dvina, large de deux kilomètres à cet endroit. La foule se presse en fin d’après-midi sur la longue promenade verdoyante qui lui donne des airs de Croisette. Mais quelques pas à l’intérieur jusqu’à la place centrale dominée par une immense statue de Lénine, nous rappellent que nous sommes bien en Russie.

Et le brouillard va se lever une deuxième fois pour l’équipage de Chamade. Ce brouillard qui règne sur l’univers de la transplantation d’organe en Russie, avec ses non-dits, ses sous-entendus et ses rumeurs.

Mais ici, surprise, Anna, Dmitriy, Olga ou Irina, tous greffés d’un rein, acceptent la rencontre avec Marco, notre équipier genevois greffé du foie. Il faut dire qu’Irina Gradova, professeur de français, avec qui nous sommes en contact depuis des mois, a remué ciel et terre pour convaincre médecins et greffés russes d’échanger avec nous leur expérience. Et pour cause: ici, être greffé, c’est être considéré comme invalide, c’est recevoir une maigre pension de 200 dollars, mais c’est aussi être exclu du marché du travail.

Le don d’organe

Il faut donc trouver des voies parallèles. Autant dire qu’ils préfèrent rester dans l’ombre. Autre bonne raison, la question du financement.

Si Anna, qui a reçu un rein de sa mère, a pu bénéficier d’une prise en charge par l’Etat, pour Olga, Dmitriy ou Irina, il a fallu trouver de l’argent, beaucoup d’argent. Non pas pour acheter un organe, mais pour payer l’opération qui a lieu pourtant dans un hôpital public, à Moscou ou St Petersbourg. Entre 15’000 et 40’000 francs selon les cas. On vend son appartement, on récolte auprès des proches, on trouve des «sponsors», la lutte pour la vie est acharnée.

Et c’est ainsi que le brouillard va se lever une troisième fois sur Arkhangelsk. Car les médias ont repéré ce voilier venu de l’étranger, un événement si loin là-bas au fond de la Mer Blanche. Trois télévisions et deux quotidiens se succèdent à bord. Venus pour entendre un récit de navigation, ils repartent étonnés avec un message sur le don d’organe. Une goutte sans doute dans l’Océan russe, mais qu’il valait bien la peine de verser.

Marc Decrey, à Arkhangelsk en Russie, swissinfo.ch

Port: Située par 64° nord, la ville d’Arkhangelsk compte 350’000 habitants. Elle fut longtemps le seul port maritime de la Russie avant d’être détrônée par Mourmansk dont les eaux ne gèlent jamais.

Tsars: Fondée par Yvan le Terrible, elle fête en cette fin juin son 425e anniversaire. C’est ici qu’en 1693 que Pierre le Grand fit construire le premier navire de la marine russe. Arkhangelsk fut longtemps la base des expéditions russes dans l’Arctique.

Commerce: Elle vit aujourd’hui essentiellement du commerce du bois. Celui-ci arrivé par flottage sur la Severnaïa, avant d’être façonné dans d’immenses scieries installées sur les bords du fleuve. Elle dispose aussi d’un terminal pétrolier par lequel la Russie exporte une partie de son pétrole vers l’Europe.

Goulag: début juillet, Chamade fera escale aux îles Solovetski, plus connues sous le nom d’Archipel du Goulag.

Pèlerinage: son grand monastère fortifié fut durant les années 1930 transformé en camp de détention pour prisonniers politiques avant de redevenir un lieu de pèlerinage orthodoxe dès les années 1990.

Canal: Chamade empruntera ensuite le Canal du Belomorsk qui relie la Mer Blanche à la Mer Baltique.

swissinfo.ch

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision