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La demande de cimetières musulmans fait débat

Berne est l'une des villes à disposer d’un cimetière musulman. EQ Images

Un groupe d’associations musulmanes suisses exige des cimetières islamiques dans tous les cantons suisses et provoque une vague de réactions. Pour certains spécialistes, la voie judiciaire choisie est la mauvaise approche d’un faux problème.

Dans une interview accordée à l’hebdomadaire dominical Sonntag, Farhad Afshar, président de la Coordination des organisations islamiques de Suisse, estime que les musulmans doivent pouvoir reposer dans la dignité correspondant aux préceptes de leur religion.

Farhad Afshara annoncé qu’il préparait un recours afin qu’un tribunal puisse faire jurisprudence à la suite du refus, la semaine dernière, de la commune bernoise de Köniz de créer un carré musulman dans son cimetière.

«Cette stratégie ne fait que créer un problème qui n’existe pas vraiment, c’est une démarche maladroite», commente Stéphane Lathion, responsable du Groupe de recherche sur l’Islam en Suisse.

Ce spécialiste estime qu’une solution au niveau fédéral est particulièrement inadéquate, puisque des solutions satisfaisantes ont déjà été trouvées dans 90% des cantons

Des carrés musulmans existent dans neuf communes, notamment à Zurich, Genève, Bâle, Berne, Thoune ou Lucerne. Outre Köniz, d’autres communes comme Weinfelden (Thurgovie) les ont refusés.

Pas de demande

Malgré cela, Farhad Afshar affirme avoir reçu de nombreuses plaintes de musulmans de Suisse: «Les musulmans qui sont venus dans ce pays il y a quarante ans ont le droit d’être enterrés dans la dignité.»

Personne ne remet ce droit en question, mais faire appel à la justice est une approche erronée, souligne de son côté Andreas Tunger-Zanetti, du Centre de recherche sur les religions de l’Université de Lucerne.

«La législation suisse peut s’adapter aux besoins des musulmans, mais il s’agit plutôt d’y répondre au niveau local et ces questions sont généralement négociées entre les autorités et les représentants des musulmans», note-t-il.

«La demande pourrait augmenter dans les années à venir, mais cela n’a aucun sens de fixer une solution au niveau national. Dans certains cantons, il n’y a presque pas de musulmans et il ne faut pas exagérer le problème.»

Stéphane Lathion va même plus loin: «Il n’y a pas de demande car 90% des musulmans qui meurent en Suisse sont rapatriés.»

Les deux experts estiment que Farhad Afshar n’est en outre pas très représentatif des quelque 400’000 musulmans de Suisse, dont la majorité proviennent d’ex-Yougoslavie et de Turquie.

Tempête politique

Pendant ce temps, la question continue d’alimenter un vif débat. «Les musulmans veulent créer une structure parallèle jusque dans le droit à la mort», a ainsi lancé le député démocrate du centre (UDC / droite conservatrice) Oskar Freysinger dans la Tribune de Genève.

De son côté, le parlementaire Vert Daniel Vischer estime que la stratégie judiciaire de Farhad Afshar a peu de chances de succès, alors que son collègue Antonio Hodgers a averti qu’elle risquait de «provoquer un recul au sein de la population».

«Je placerais les propos de Farhad Afshar dans la même catégorie que ceux de Christophe Darbellay au soir de la votation contre la construction de minarets. C’est une provocation plus qu’une tentative d’expliquer ce qui s’est passé», juge Serge Lathion.

En décembre 2009, le président du Parti démocrate-chrétien (PDC / centre droit) Darbellay avait appelé à une interdiction de construire de nouveaux cimetières musulmans et juifs, ce dont il s’est ensuite excusé.

Réactions musulmanes

Le sujet a suscité des réactions diverses au sein de la communauté musulmane de Suisse.

Si la question des cimetières islamiques est réelle, la stratégie et l’agenda adoptés sont inadéquats, estime Abdel Lamhangar, musulman suisse et membre socialiste du Conseil général (législatif) de la commune de Romont, dans le canton de Fribourg.

«Le pays est mis sous pression de tous les côtés et ce n’est pas le moment de se lancer dans une nouvelle bataille juridique», a-t-il déclaré à la Radio suisse romande.

Et d’ajouter que Farhad Afshar devrait tenir compte du fait que la culture politique suisse est basée sur la négociation et le consensus. «Si on impose les choses par la voie juridique, elles ont force de loi, mais si elles s’imposent par la négociation, elles rencontrent l’adhésion et ont de ce fait des perspectives d’avenir.»

Hafid Ouardiri, secrétaire-général de la fondation genevoise de l’Entre-Connaissance, a estimé de son côté que, théoriquement, Farhad Afshar a le droit de défendre sa différence religieuse mais que sa méthode n’était peut-être pas la bonne.

«Avant de saisir la justice, il faut penser à d’autres moyens», a-t-il déclaré. Et de citer l’exemple de Genève où, après une longue bataille politique menée conjointement par les communautés juive et musulmane, les autorités municipales ont fini par créer, en mai 2007, deux carrés réservés dans un cimetière public.

A ce titre, l’exemple de Genève est particulier pour les communautés juives de Suisse – qui disposent de leurs propres cimetières dans les villes de Zurich, Bâle et Berne, construits sur des terrains privés, explique Nicole Poëll, vice-présidente de la Plateforme des juifs libéraux de Suisse.

«Pour nous, la question des cimetières religieux n’est pas un problème puisqu’elle a été résolue», a-t-elle affirmé.

Nationalités. Cette communauté regroupe 4,5% de la population suisse et regroupe près de 100 nationalités, mais la plupart de ses membres sont originaire d’ex-Yougoslavie et de Turquie.

Doublement. Leur nombre a doublé entre les recensements de 1990 et de 2000, notamment en raison de l’afflux de demandeurs d’asiles, dont ceux ayant fui la guerre d’ex-Yougoslavie.

Mosquées. Il y a environ 200 mosquées et lieux de prière en Suisse, mais seuls 4 sont dotés de minarets. En novembre 2009, 57% des citoyens suisses ont approuvé une initiative populaire proposant d’interdire la construction de nouveaux minarets en Suisse.

(Traduction de l’anglais: Isabelle Eichenberger)

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