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La fascinante beauté de l’Archipel du Goulag

Le monastère est l'une des principales attractions des îles Solovtsky.

Le voilier suisse Chamade a fait escale cette semaine aux îles Solovetetsky, dans le Grand Nord de la Russie avec à son bord Sandra Menthonnex, greffée du cœur au CHUV de Lausanne. Elle découvre l'histoire tragique de ces îles perdues inscrites dans l'histoire sous le surnom d'Archipel du Goulag.

«D’une main de fer, nous conduirons l’humanité vers le bonheur.» C’est une pancarte, un slogan gravé sur une planche qui trônait dans le camp des Solovetsky. Aussi absurde et pervers que le fameux «Arbeit macht Frei» à l’entrée des camps d’extermination nazi. Un slogan qui nous accueille à l’entrée du musée du SLON installé dans le monastère des Solovetsky. De quoi nous plonger dans l’évocation de l’horreur et doucher ainsi notre enthousiasme quelques heures après notre arrivée dans l’archipel.

Car comment ne pas être sous le charme de ces îles d’une fascinante beauté. Ce fut d’abord un mince liseré sur l’horizon après une traversée de 24 heures en mer Blanche. Un atterrissage par calme plat, sur une mer d’huile. Avec, au loin, une tache blanche qui émerge de la forêt de sapins et de bouleaux qui recouvre les îles. Une tâche blanche surmontée de bulbes noirs: les clochers du monastère des Solovetski.

Une Russie aux deux visages

Et plus on s’en approche dans la lumière chaude du soir, plus il dévoile son incroyable grandeur. Un monastère fortifié, un kremlin, entouré d’une muraille longue d’un kilomètre, de 10 mètres de hauteur et de 4 à 6 mètres d’épaisseur. A l’intérieur, trois églises surmontées de leurs bulbes, un grand clocher et d’immenses bâtiments d’habitations pour les moines.

Fondé en 1429 par deux moines orthodoxes, puis agrandi et transformé en forteresse au 16ème siècle, le monastère des Solovetsky (ou Solovki comme l’abrègent le plus souvent les Russes) devint très vite riche et puissant. Mais il eut le tord de s’opposer aux réformes du patriarche Nikon au 17ème siècle et fut assiégé par les troupes du Tsar durant sept ans avant de rentrer dans le droit chemin de l’église impériale.

Devant le porche, les nombreux groupes de pèlerins russes montrent bien qu’il est redevenu l’un des hauts lieux de l’orthodoxie. Ils débarquent d’un vieux vapeur qui relie deux fois par jour les îles au continent, accostant en baie de la Prospérité où nous venons de jeter l’ancre. A peine à terre, nous voilà confrontés une fois de plus à cette Russie aux deux visages.

La première image sera celle d’un vieux side-car mangé par la rouille au bord du chemin. Puis des baraques grises qui forment par endroit de petits quartiers d’habitations reliés par un chemin en dalles de béton défoncés. Et si au début, le monastère, par son imposante majesté fait oublier le décor, très vite celui-ci nous rattrape. Il règne ici une étrange atmosphère: il est vrai qu’ici on ne peut pas oublier.

Une vraie prison naturelle

1921: fermeture du monastère par le gouvernement soviétique. 1923: ouverture par ce même gouvernement du SLON (Solovetsky Laguer Ossobovo Naznatchenia) un camp de rééducation par le travail pour les «ennemis du peuple». Et le choix du lieu n’est en rien dû au hasard.

Les îles, coupées du monde huit mois par an par le gel de la Mer Blanche, sont une vraie prison naturelle. De plus elles bénéficient d’une longue tradition, le monastère ayant été, de tout temps, une prison. Pour hérétique d’abord, pour les ennemis du tsar ensuite. Au départ, les Zekas, les prisonniers du SLON jouissent d’une certaine liberté.

Savants, intellectuels, écrivains ou prêtre pour beaucoup, ils s’occupent du jardin botanique ou de la bibliothèque. Mais Staline va réorganiser tout cela et le SLON va devenir très vite un véritable laboratoire des méthodes de terreur du Goulag, si bien décrite par Alexandre Soljenitsyne qui consacre plusieurs chapitre de son fameux L’archipel du Goulag aux îles Solovetsky.

Tous les coups sont permis

D’une petite voix monocorde, Anna, notre guide dans le musée du SLON, décrit les conditions de détention intolérables, les tortures, les exécutions massives. Pas d’emphase chez Anna, pas d’émotion non plus, mais un souci presque obsessionnel du détail. Ici le discours officiel ne cache rien des horreurs du stalinisme et de ses 20’000 victimes au minimum rien que dans ces îles.

Anna qui vit ici depuis 20 ans, et qui a donc vécu les derniers soubresauts des îles. Si le SLON fut fermé au début des années quarante, les Soviétiques ayant trouvé bien mieux en Sibérie, le couvent ne retrouva ses premiers moines qu’à la fin des années quatre-vingts. Période de perestroïka, mais qui, sous le règne de Boris Eltsine, est surtout synonyme de désorganisation et d’abandon.

Tous les coups sont permis pour survivre. Les îles vivent sous la coupe d’une petite mafia locale. Pas étonnant que les Russes ait transformé le mot «demokratïa» en «dermokratïa», du russe «dermo», la merde.

Mais aujourd’hui, sous le soleil qui baigne la cour du monastère, l’air est d’une douceur incroyable et la lumière du Grand Nord une fois de plus magique. La cloche appelle les moines pour le repas, quelques dévotes se pressent autour d’eux pour leur baiser les mains. L’ordre règne à nouveau sur les îles Solovetsky.

Marc Decrey, Solovetsky, swissinfo.ch

A bord du Chamade, Sylvie Cohen et Marc Decrey accueillent chaque année des greffés suisses pour les emmener à l’aventure dans le Grand Nord. Ils veulent ainsi sensibiliser la population suisse au don d’organe avec un slogan: «Le don c’est la Vie».

En 2007, des transplantés du cœur et des reins ont navigué en Ecosse. En 2008, l’aventure a conduit une greffée du cœur et un greffé du rein au Spitzberg, par 79° Nord, aux confins de la banquise.

Chamade est un voilier en aluminium de 12 mètres de long. Construit en 2006, il est équipé pour naviguer dans les eaux arctiques.

Situées par 65° Nord, au sud-ouest de la Mer Blanche. 6 îles forment cet archipel de 320 kilomètres carrés.

L’île principale, Bolshoi Solovetsky, abrite le kremlin, le monastère forteresse. Une vingtaine d’autres monastères secondaires sont disséminés dans l’archipel. Un millier d’habitants sont installés pour l’essentiel dans le village entourant le kremlin.

La mer Blanche qui n’est pas navigable de 6 à 8 mois par an, a plongé longtemps l’archipel dans un isolement total.

Aujourd’hui un petit aéroport offre 3 liaisons par semaine avec Arkhangelsk et Mourmansk. De juin à septembre, un bateau relie 2 fois par jour les îles à Kem, gare ferroviaire sur le trajet St Petersbourg-Mourmansk.

Période du SLON: Alexandre Soljenitsyne consacre plusieurs chapitres de son Archipel du Goulag. C’est l’archipel des Solovetsky qui inspira le titre de l’ouvrage même si Soljenitsyne fait ensuite allusion à l’ensemble du système du Goulag, décrit comme un archipel, constitué d’une multitude d’îlots de terreur disséminés dans l’océan soviétique.

Période contemporaine: Mariusz Wilk: Le journal d’un loup, Editions Noir sur Blanc. Chronique tirée de deux années passées par cet écrivain-journaliste polonais aux îles Solovetsky durant la période qui suivi la perestroïka. Chronique décapante de ce que l’auteur qualifie lui-même de «microcosme des dépouilles de l’empire soviétique»

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