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Les relations prudentes de la Suisse avec le Vatican

Des touristes sur la place Saint-Pierre de Rome
Bientôt une ambassade suisse auprès du Vatican? Copyright 2021 The Associated Press. All Rights Reserved.

La Suisse a nommé son premier représentant diplomatique auprès du Saint-Siège il y a trente ans seulement. Aujourd’hui, le gouvernement suisse souhaite ouvrir une ambassade au Vatican. Dans le passé, les relations entre les deux États ont été marquées à plusieurs reprises par des conflits de nature politique et religieuse.

Il aura fallu l’«affaire Haas», au début des années 1990, pour faire bouger les choses dans les relations entre Berne et la Cité du Vatican. La controverse et les discussions entourant la nomination de l’ultraconservateur Wolfgang Haas à la tête du diocèse de Coire avaient en effet contribué à faire prendre conscience aux autorités fédérales de la nécessité d’avoir un représentant diplomatique au Vatican.

En 1990, le pape Jean-Paul II nomme Wolfgang Haas à la tête du diocèse de Coire.

S’ouvre alors une période de grande crise et de conflits dans le diocèse en raison des idées ultraconservatrices du nouvel évêque, qui ne sont pas partagées par l’aile libérale du diocèse (notamment les fidèles du canton de Zurich).

Face à la vague d’indignation de nombreux fidèles et malgré de nombreuses tentatives de médiation, le pape cède en 1997 aux protestations et destitue Mgr Haas, créant pour lui un archidiocèse spécial (celui de Vaduz au Liechtenstein) et nommant un nouvel évêque à Coire, Amédée Grab.

«Les expériences du passé récent montrent que, d’une part, la réalité suisse ne parvient à Rome qu’à travers la perception du nonce», peut-on lire dans l’acteLien externe de nomination, le 30 octobre 1991, d’un ambassadeur en mission spéciale auprès du Saint-Siège. «D’autre part, la Suisse n’est pas en mesure d’obtenir des informations par le biais de contacts locaux sur certains événements (par exemple, les voyages d’évêques suisses à Rome) ou sur le contexte de la politique pontificale à l’égard de la Suisse».

Le représentant diplomatique choisi à l’époque, Jenö Staehlin, reste en fonction pendant un an. Ce n’est qu’à la fin mai 2004, à la veille de la seconde visite de Jean-Paul II à Berne, que les relations diplomatiques sont normalisées, avec la nomination d’un ambassadeur plénipotentiaire extraordinaire.

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Héritage d’un conflit historique

La dernière étape de la consolidation des relations diplomatiques est franchie le 1er octobre dernier avec la décision du conseil fédéral d’établir une ambassade auprès du Saint-Siège.

«Aujourd’hui encore, cependant, les relations diplomatiques entre Berne et la Cité du Vatican ne sont pas totalement incontestées et restent marquées par la prudence, observe l’historien Sacha Zala, directeur des Documents diplomatiques suissesLien externe. C’est un héritage du conflit historique entre l’État fédéral libéral et l’ultramontanisme, c’est-à-dire l’ingérence de la papauté dans la politique des États-nations.»

Un écho de ce conflit est également perceptible dans le communiqué du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) sur la volonté d’ouvrir une représentation diplomatique au Vatican, qui rappelle que cette décision «ne modifie pas les rapports de la Confédération avec les Églises catholiques et réformées» et que cela s’effectue «dans le respect des compétences respectives de la Confédération et des cantons».

Des relations longtemps difficiles

Les relations diplomatiques entre la Confédération et le Vatican sont très anciennes. Après la France, le Saint-Siège est le deuxième État étranger à établir une représentation diplomatique permanente sur le territoire de la Confédération. La présence d’un nonce apostolique à Lucerne depuis 1586 joue un rôle important dans la consolidation du catholicisme en Suisse aux XVIe et XVIIe siècles.

À l’exception d’une interruption temporaire des relations diplomatiques sous la République helvétique entre 1798 et 1803, la nonciature poursuit ses activités diplomatiques en Suisse aussi après la Révolution française. Toutefois, elle est désormais accréditée auprès de la Confédération et non plus seulement auprès des cantons catholiques.

Les possibilités de conflit augmentent avec l’émergence de courants libéraux radicaux en Suisse, enclins à subordonner l’Église catholique aux pouvoirs publics. Malgré quelques turbulences, les relations entre Berne et la Cité du Vatican surmontent toutefois l’écueil de la guerre du SonderbundLien externe entre cantons libéraux et conservateurs et de la création de l’État fédéral moderne en 1848.

Les conflits s’intensifient dans le cadre de ce que l’on appelle le KulturkampfLien externe. Le dogme de l’infaillibilité papale (1870) et l’anticléricalisme d’une grande partie du radicalisme suisse poussent les tensions à leur paroxysme. Après la publication de l’encyclique Etsi multa luctuosaLien externe, qui critique sévèrement la politique des cantons et de la Confédération à l’égard de l’Église catholique, le gouvernement suisse rompt ses relations diplomatiques avec le Vatican en décembre 1873. Le nonce quitte la Suisse.

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Une réparation lente

Les contacts avec le Saint-Siège ne sont cependant jamais complètement rompus. Les questions relatives à la gestion des curies épiscopales en Suisse nécessitent à plusieurs reprises des entretiens entre les représentants des deux parties.

Un rapprochement s’opère pendant la Première Guerre mondiale. La convergence d’intérêts entre la Suisse et les États pontificaux dans le domaine de la politique humanitaire se concrétiseLien externe par l’internement de prisonniers de guerre malades et blessés en Suisse avec le soutien du Vatican.

Cette collaboration dans le domaine humanitaire favorise le rapprochement politique. En juin 1920, le gouvernement suisse décideLien externe de rétablir les relations diplomatiques avec le Saint-Siège. Dès lors, le Vatican est à nouveau représenté officiellement en Suisse par un nonce apostolique.

La condition expresseLien externe est toutefois que «la Suisse, comme elle n’avait pas pratiqué la réciprocité dans le passé, n’aurait pas pu la pratiquer dans l’avenir». Le gouvernement suisse inviteLien externe par ailleurs le nonce à «éviter avec grande modération toute question qui puisse être à l’origine de discordes entre catholiques et protestants ou entre les catholiques eux-mêmes».

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Vers la réciprocité

Le caractère unilatéral des relations diplomatiques est également strictement respecté pendant et après la Seconde Guerre mondiale, même si, en 1939, le gouvernement suisse est représenté pour la première fois au couronnement d’un pape (Pie XII).

Dans l’immédiat après-guerre, l’idée de nommer un représentant diplomatique au Vatican est écartéeLien externe, à la fois pour éviter «les luttes confessionnelles dans certaines parties de notre pays» et parce que cela «compliquerait le problème de nos relations avec l’URSS». Les discriminations subies par les minorités protestantes dans des pays catholiques comme l’Espagne et l’Italie suggèrentLien externe également que le principe de non-réciprocité ne doit pas être abandonné.

Ce n’est qu’avec le climat de détente œcuménique initié par le Concile Vatican II, au début des années 1960, que la Suisse commence à reconsidérerLien externe sa position. Cependant, en 1968 encore, le gouvernement suisse, tout en reconnaissantLien externe l’anomalie de la représentation diplomatique unilatérale et en espérant normaliser les relations avec le Vatican, considère qu’il est prioritaire de réviser la Constitution fédérale, afin d’éliminer les articles d’exceptionLien externe qui limitent la liberté religieuse. Pour les autorités fédérales, il est toutefois clair depuis longtemps que le dépassement de l’unilatéralisme n’est qu’une question d’opportunité et non plus une question de principe.

L’obstacle représenté par les articles constitutionnels interdisant l’ordre des Jésuites et la création de nouveaux couvents est levé par un vote populaire en 1973. L’offensive diplomatique de grande envergure du pontificat de Jean-Paul II conduit finalement la Suisse à envisagerLien externe elle aussi la possibilité d’une «normalisation progressive». Jusqu’à l’impulsion décisive donnée par l’affaire Haas.

(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)

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