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Suisse demande l’asile… à la Suisse

Ulrich Bloch va écrire au gouvernement pour demander à rendre son passeport. swissinfo.ch

«Echange passeport suisse contre permis humanitaire.» Cette démarche «contre les frontières» émane d’Ulrich Bloch, héros d’une performance vivante.

Le projet de cet artiste conceptuel, axé sur l’identité nationale, tombe en plein dans l’actualité.

Rendre son passeport rouge à croix-blanche? S’il était binational, ce serait faisable, mais voilà… Pour le moment, Ulrich Bloch n’a trouvé ni diplomate, ni délégué de la Croix-Rouge, ni juriste qui ait donné cher de cette démarche d’un professeur d’arts visuels du Collège Saint-Michel de Fribourg.

Mais il s’apprête à envoyer sa lettre au Conseil fédéral, aussitôt que celui-ci sera élu… En ajoutant le point de vue de l’artiste au débat actuel sur l’identité nationale.

Ces frontières qui font problème

Marqué par son enfance dans une région frontière, ce Bâlois a passé la plus grande partie de sa vie sur la frontière linguistique de la Suisse, Fribourg.

«Là où je suis né, sur 20 km carré, il y a des vainqueurs, des vaincus et des soi-disant neutres. Pour moi, c’est une région, les Alsaciens ne sont pas différents des Allemands du Sud ni des Bâlois, ce sont des gens. J’ai toujours trouvé cela ridicule.»

De plus en plus convaincu que la nationalité est une notion artificielle, il a donc entrepris de renoncer à la sienne. Mais «comme on vit plutôt mieux ici qu’ailleurs», il demanderait l’asile, un permis humanitaire qui lui permettrait de rester.

«Ce n’est pas un refus de la Suisse. Si j’étais Français ou Allemand je ferais peut-être la même démarche», précise Ulrich Bloch. Comment, c’est une autre histoire…

Ici, ce n’est pas le paradis

N’est-ce pas une provocation à l’encontre des «vrais» demandeurs d’asile, ou de ces Suisses qui, il y a encore cent ans, devaient partir chercher fortune ailleurs?

«C’est vrai, je ne suis pas en danger. Mais, avec tout le respect que je dois aux réfugiés, je veux montrer qu’ici, ce n’est pas le paradis. Et puis, autrefois, l’exode, la migration ne posait aucun problème, même en masse.»

Manif politique ou «hyper-performance» conceptuelle? «Cela devient peut-être politique mais cela ne l’est pas. Je cherche à montrer ce que je ressens, comme n’importe quel peintre ou sculpteur. Mon affaire, c’est de poser des questions, d’interpeller les gens, pas de trouver la solution.» A chacun son travail.

Trouver sa patrie

Exemple. L’artiste a creusé un fossé en forme de drapeau suisse. Au milieu, le trou en forme de croix s’enfonce dans la terre. Avec une échelle et une valise en carton. Une invitation à l’exil.

«La vidée qui traverse le drapeau est une ouverture pour partir à la recherche de la vraie Mère Patrie.» Et trouver peut-être la «Terre-Mère», thème parallèle de sa réflexion sur les origines, omniprésente dans les installations de l’artiste.

En effet, passionné de préhistoire, Ulrich Bloch se laisse aller à rêver à un retour à «ces sociétés matriarcales moins cruelles que la nôtre». Ou en tout cas plus humaines, en ces temps de globalisation.

Mais c’est d’abord l’ouverture qui est recherchée. «On vit bien ici, mieux qu’ailleurs, c’est vrai, mais les gens ne regardent que leurs petits avantages, sans sortir.»

Comme des nains de jardin

En refusant l’ouverture, la Suisse dresse un mur sur ses frontières, à l’image de ses jardins trop clôturés.

Pour Ulrich Bloch, «les Suisses vivent un peu comme des nains de jardin». Ce qui a inspiré une autre installation: retranché derrière un fortin de sacs de sable, dominé par un immense drapeau suisse, un petit nain de plastique regarde le monde extérieur.

Un travail sur le thème du «réduit» helvétique, de Guillaume Tell à… Christoph Blocher, tribun de la droite nationaliste suisse.

Artiste de l’éphémère, Ulrich Bloch construit ses installations, les photographie, les démonte et… les oublie. Il se définit comme «un prof de dessin, un visuel, rien d’autre».

Et pourtant, sa démarche pose beaucoup de questions sur l’identité nationale et aussi sur le rôle (dérangeant?) de l’artiste dans la société. Une question qui tombe en plein dans l’actualité.

swissinfo, Isabelle Eichenberger

– Ulrich Bloch est né en 1946 à Bâle dans une famille d’ouvriers. Depuis une trentaine d’années il est professeur de dessin, notamment au Collège Saint-Michel de Fribourg.

– Il a renoncé à faire l’Ecole des Beaux-Arts, mais il a travaillé en autodidacte, de la peinture à la performance en passant par l’émail.

– Il a exposé, collectivement ou individuellement. Depuis cinq ans, il construit des installations sur des thèmes comme la «Mère-Patrie» et la «Terre-Mère».

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