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Trop de livres !?

Détail de la couverture Ed. Mon Village

Pris entre la rumeur du «trop de livres» et la réalité d'un bon roman, en l'occurrence «Les Vagabonds de l'espérance» de Gino Jeanneret, Rolf Kesselring opte pour la deuxième solution. Récit enthousiaste.

Fin de l’année! Nous entrons dans la période des fêtes. Ce sera le temps des libations et des cadeaux. C’est aussi le temps de la profusion et des beaux livres, tous captivants et précieux, quelquefois prétentieux, mais qui ne laissent jamais indifférent.

Fin de l’année 2008 ! C’en était une un peu spéciale. Elle fut troublée par une crise financière prévisible que des acteurs irresponsables (jouant désormais les vierges effarouchées) jurent ne pas avoir vu venir.

Fin d’une année extraordinaire, avec de l’espoir plein les poches, parce qu’un homme de couleur va devenir le 44ème président de ces sacrés Etats-Unis d’Amérique. Ce sera (peut-être) la fin d’un monde cupide, l’avènement d’un univers plus juste et plus solidaire. Qui sait? Ne dit-on pas que le pire n’est pas toujours sûr?…

J’en étais là de mes réflexions, taquinant la couverture du roman d’un jeune auteur, lorsque des bribes d’une conversation qui se tenait à deux tables de moi, me parvinrent. Le bistrot dans lequel je m’étais réfugié pour échapper au brouillard qui montait de la plaine. J’adore ça, moi: aller me fondre dans l’ambiance d’un bistrot, dans le brouhaha et lire, lire. Petit plaisir subtil et pervers que je ne parviens pas à expliquer. Cette sensation de solitude au beau milieu d’un rade encombré, enfumé, a toujours été un pur délice.

Ces maudit mots dits

«Y a trop de livres!» D’abord, les mots ne m’atteignirent que partiellement. Je venais d’ouvrir le roman à sa première page après avoir lu le titre «Les Vagabonds de l’espérance» et le nom de l’auteur : «Gino Jeanneret», je commençais à déchiffrer les premières lignes: «Les Tattarabine étaient Russes de sang, de cœur et d’esprit. Ils avaient une âme de musiciens et de conteurs, et de tout ils faisaient une histoire qu’il débitaient avec le plus grand sérieux en vous observant du coin de l’œil. (…)»

Comme des mouches agaçantes, les bribes de la conversation de mes voisins, m’interrompirent dans ma lecture. Je me sentis dérangé, frustré: «Moi, je te dis qu’il y a trop de livres! Maintenant tout le monde écrit!» Il s’agissait de deux hommes attablés à une petite encablure de mon île que je croyais déserte. L’un d’eux, obstiné, répétait ces quelques mots:
— Tu n’as pas tort, admit son interlocuteur, il y en a beaucoup, mais tu peux choisir…
— Choisir, c’est difficile, tu le sais bien.

Ces maudits mots dits me perturbaient. Je voulais absolument lire le roman de cet auteur nouveau et inconnu de moi. Le début m’avait attiré. Je voulais en savoir plus sur ces Tattarabine russes jusqu’au plus profond. Et puis cette locomotive sur la couverture qui suggérait le voyage, les immensités de là-bas…
— Je te le redis, il y a trop de livres!

Des forêts contre du rêve

Malgré moi, tout en gardant les yeux fixés sur les pages du roman, je ne pouvais m’empêcher de réfléchir à ces mots terribles que répétait mon voisin: «Il y a trop de livres!»

Je pensais à tous ces endroits où il n’y avait pas de livres, pas de lecteurs ou trop de dictateurs qui les éliminaient comme un danger subversif. Je songeais à tous ces êtres dans le monde qui ne disposeraient jamais de ces livres.

Je sais depuis belle lurette qu’en imprimant des livres, on ravage des forêts. Mais l’humain a besoin du rêve et de l’imaginaire, pour vivre, pour accepter la réalité. La production de papier afin de publier ces rêves était un paradoxe qui toute ma vie d’éditeur, d’auteur, de lecteur m’a poursuivi, hanté, agacé. L’homme que j’entendais malgré moi avait peut-être raison…

La saga des Tattarabine

Malgré le dilemme qui polluait mon esprit, volontaire et têtu, je me remis à lire. Je voulais à tout prix savoir ce qu’allait devenir cette famille russe débarquée en Suisse au début du siècle dernier en provenance de Sakhaline.

À partir des premiers mots lus, de la première page dévorée, je me sentais attiré, j’allais dire piégé, par le ton et le style de l’aventure esquissée par l’auteur. Je découvrais une saga familiale, celle des Tattarabine. Plus j’avançais, plus je sentais un roman dans la plus pure tradition de la littérature russe. La conversation de mes voisins ne m’atteignait plus, désormais. J’étais captivé…

En fait, j’étais étonné de découvrir un auteur qui promet et justifie qu’on coupe des forêts. Il se prénomme Gino comme un immigré et Jeanneret comme un voyageur sédentaire bien de chez nous. Neuchâtelois d’origine, né à Fribourg, il a passé ses années scolaires dans le canton de Vaud, nous avertit son éditeur. Peu importe ! Il aurait pu naître n’importe où. À le lire, je sais qu’il il est un de ces écrivains universels dont le passeport est planétaire. Cette histoire des Tattarabine en témoigne.

Trop de livres?

Quand j’ai refermé le roman de Gino Jeanneret, malgré le tumulte romanesque qui occupait mon esprit, résonnaient encore les mots de l’inconnu qui trouvait qu’il y avait «trop de livres»… Trop de livres ? Une indignation tardive m’a saisi. J’ai cherché des yeux l’homme pour lui dire son fait, pour lui clouer le bec, pour lui prouver qu’il n’y aurait jamais assez de livres comme celui que je venais de dévorer…

Mais lui et son comparse avaient disparu. La salle du Café Central de Bullet était vide. J’étais seul… Seul, pas vraiment! Je serrais dans mes mains un livre… un livre qui n’était véritablement pas de trop.

swissinfo, Rolf Kesselring

«Les Vagabonds de l’espérance», roman de Gino Jeanneret, est publié aux Éditions Mon Village.

Gino Jeanneret est domicilié dans le canton de Vaud. «Les vagabonds de l’espérance» est son premier roman. D’autres sont en préparation.

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