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Un musée qui donne le vertige

Le livre des morts d’Hor, 5e-3e siècle avant J-C, collection Bodmer swissinfo.ch

Un rendez-vous avec Cendrars, Baudelaire, Darwin, Mozart, Chaucer, Shakespeare, Saint-Jean ou un scribe égyptien, cela vous tente? Le Musée Bodmer, dans un écrin signé Mario Botta, ouvre ses portes à Cologny, près de Genève. Fabuleux.

Le vertige, oui. Car se cogner en une fois à l’antiquité égyptienne, aux balbutiements du christianisme, au passé chinois, indien ou sanscrit, à l’inventivité humaine, de Gutenberg à Darwin en passant par Newton, cela n’arrive pas tous les jours.

Et lorsque passent sous vos yeux la signature de Baudelaire, au bas d’un poème des Fleurs du Mal, les annotations de Proust ou une partition tracée de la main de Mozart, le frisson est aussi au rendez-vous.

Martin Bodmer, zurichois de naissance, genevois d’adoption, est décédé en 1971. Peu avant sa mort, il avait créé une fondation pour que son incroyable collection ne soit pas dissoute. Jusque là, seuls les chercheurs, ou presque, y avaient accès.

Papyrus, manuscrits, incunables, éditions originales, pièces uniques, textes autographes, partitions, mais aussi pièces archéologiques, tapisseries ou peintures… La collection de la Fondation Bodmer: 160.000 pièces, 80 langues représentées!

Dès aujourd’hui, ce sont 237 pièces, d’une formidable valeur culturelle et historique que le public peut découvrir à Cologny, juste à côté de Genève, dans un musée réalisé par Mario Botta.

Des livres qui volent

«Il y a des pièces qui nous parlent des origines de la culture, des origines de la pensée des hommes. Il fallait donc leur offrir une disposition qui leur permette de lancer des messages spirituels. Il s’agit en fait d’un espace sacré», constate la star tessinoise de l’architecture.

Entre les deux bâtiments classiques de la Fondation Bodmer, en sous-sol et sur deux niveaux, Botta a effectivement créé une sorte de temple. Béton et granit à l’extérieur, métal, marbre et bois foncé à l’intérieur.

Ambiance sombre. Et remarquable éclairage, qui fait jaillir les ouvrages de l’obscurité. Les livres, les manuscrits semblent projetés dans la lumière, dans un accrochage à trois dimensions qui donne l’impression que ces témoins de l’histoire humaine volent, qu’ils sont au-delà des contingences matérielles.

«La Bible de Gutenberg ou l’évangile de Jean sont des mythes dans notre imaginaire occidental. Là, tout à coup, ils se concrétisent en des objets vrais, écrits, et ce message suscite alors des émotions», constate Mario Botta.

«Bodmeriana»

«C’est une bibliothèque totalement unique au monde. Mais une bibliothèque d’un genre particulier: vous êtes toujours les bienvenus pour voir les phares de l’humanité, mais pas vraiment pour feuilleter les papyrus ou les parchemins du Moyen-Age!», constate en riant Martin Bircher, directeur de la «Bodmeriana», la bibliothèque de la Fondation.

Regarder, ne pas toucher… Et pour cause. Les documents, on l’a dit, sont de taille: «Bodmer s’intéressait aux œuvres fondatrices. Son but: avoir le manuscrit de la main de l’auteur ou la plus vieille édition possible», explique André Hurst, recteur de l’université de Genève.

Lequel précise: «Il a organisé sa bibliothèque autour de ce qu’il appelait les cinq piliers: la Bible, Homère, Dante Shakespeare, Goethe. Cette liste a l’air extrêmement européo-centriste. Pourtant, dans cette collection, il y a des manuscrits venus des 5 continents».

Effectivement à Cologny, dans un parcours chronologique, c’est la Terre entière qui est représentée, avec toutefois une prédominance méditerranéenne.

Prétention et humilité

En visitant les deux vastes salles du Musée Bodmer, on est saisi par l’infinie prétention que peut traduire une telle collection: rassembler «physiquement» les œuvres qui ont construit l’humanité… Quel cerveau peut imaginer une chose pareille?

Et puis bien sûr, la magie fonctionne… Chronologiquement, on parcourt 6000 ans d’histoire. Non pas à travers les idées, car les documents, on ne les lit pas, mais à travers des objets qui nous renvoient chacun à notre propre bagage culturel et émotionnel.

Ce cheminement, s’il se conclut logiquement par les auteurs contemporains, commence étrangement par… un fossile d’Ichtyosaure. Car le «génie humain», Martin Bodmer le plaçait dans un contexte beaucoup plus vaste, incluant l’histoire de la Terre, peut-être de l’Univers.

La démarche de cet homme, qui collabora longtemps avec le CICR, se voulait humaniste et spirituelle. Donc, nécessairement, humble.

swissinfo, Bernard Léchot

– Martin Bodmer, né en 1899 et décédé en 1971, est issu d’une riche famille patricienne zurichoise.

– Collectionneur dès l’âge de 16 ans, il fonde en 1922 le Prix Gottfried Keller.

– Dès 1939, il s’installe à Genève, et se met au service du CICR, le Comité International de la Croix-Rouge (il en sera le vice-président de 1947 à 1964).

– Peu avant sa mort, il crée une fondation dotée d’une bibliothèque qui inclut 160’000 ouvrages, en 80 langues. Que des pièces rares: papyrus, manuscrits, incunables, premières éditions etc.

– Le projet du musée date de 1998. Inauguré vendredi 21 novembre 2003, il est ouvert du mardi au dimanche, de 14h00 à 18h00 (19-21, route du Guignard, Cologny).

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