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Un Skarbek peut en cacher un autre

Violette, pirate et néanmoins fort désirable... Dargaud

Depuis quelques semaines, le 2ème tome de «La vengeance du comte Skarbek», bande dessinée signée Sente et Rosinski, est chez les libraires.

Une histoire dont le dessin somptueux et le scénario machiavélique nous emmènent, entre Pologne et Caraïbes, dans le Paris du 19ème siècle.

Il y a la BD novatrice, celle qui court dans les fanzines et les officines indépendantes avant de poursuivre sa route, parfois, chez les grands éditeurs. Il y a la BD classique, héritière des maîtres, de la ligne claire chère à Hergé au trait plus réaliste que développa par exemple un Jijé.

Et puis il y a «La vengeance du Comte Skarbek», une bande dessinée aux références tellement littéraires et picturales qu’elle en est novatrice, puisqu’elle se réfère à un autre type de classicisme. Ici, c’est Delacroix, Daumier, Dumas ou Sue qui sont convoqués…

Une histoire en deux tomes scénarisée par le Belge Yves Sente, écrite sur mesure pour le dessinateur Grzegorz Rosinski, Polonais d’origine et Valaisan d’adoption. Rosinski, rendu célèbre notamment à travers la saga de Thorgal.

«Une histoire sur mesure, qui prenait le pari fou de rassembler quasiment toutes les envies graphiques inassouvies qui restaient à Grzegorz», explique Yves Sente dans le dossier de presse.

Rosinski dans le rôle du peintre

Alors Rosinski s’est fait plaisir. En se plongeant dans le Paris du milieu du 19ème siècle. Mais aussi dans l’histoire de sa Pologne natale. Et dans les alizés des Caraïbes à l’heure des pirates et autres boucaniers.

Et puis en peignant, à travers les œuvres du personnage central, le comte Skarbek, alias Louis Paulus, des femmes de chair et de désir.

Le personnage central de l’intrigue étant un artiste peintre, il a choisi de travailler non pas en dessinateur de BD, mais en peintre. «La technique que j’ai employée est adéquate à l’époque», nous disait-il. Ses planches originales ne sont donc pas vraiment des planches, mais des toiles, puisqu’il a travaillé en «peinture directe».

Si le premier chapitre («Deux mains d’or») nous emmène dans un Paris romantique aux rues grises et aux salons dorés, le deuxième chapitre («Un cœur de bronze») nous offre de terrifiantes batailles navales, une île aux pirates belle et immorale, et, globalement, des clairs-obscurs saisissants.

Le talent de Rosinski éclate à chaque page, et ça, on avait pu le constater dès le premier tome du diptyque. Avec «Un cœur de bronze», c’est donc surtout du scénario que provient la surprise.

Flash-back exotique

On avait laissé le Comte Skarbek en pleine audience. Avec la perspective de l’issue du procès qui devait lui permettre de confondre ceux qui, quelques années auparavant, l’avaient dépouillé de son œuvre, et lui avaient tranché une main. Cela, c’était du temps où il était le peintre Louis Paulus.

Le deuxième tome commence par un long flash-back, qui va nous faire découvrir ce qui est arrivé à Louis Paulus entre sa disparition – homme meurtri dans son corps et son âme – et son retour sous les traits du Comte Skarbek.

A savoir, un long séjour aux Caraïbes, aux côtés de pirates aux noms qui chantent: Alexandre Delfrance, Le Bourbeux, et Violette, aussi mystérieuse que sculpturale.

On se prend donc innocemment à cette intrigue assez traditionnelle – le héros bafoué, retenu sur une île exotique par de cruels pirates, qui rumine sa vengeance en planifiant son retour…

Sente en Machiavel

On croit qu’on est au cœur de l’intrigue… et on a tout faux. Car si un Skarbek peut cacher un Paulus, un Skarbek peut aussi cacher un autre Skarbek. Et, du même coup, assommer le lecteur, qui n’a rien vu venir, et qui continue malgré tout de douter!

«La vengeance du conte Skarbek» est au premier abord un récit d’aventure à la narration classique. Mais ce que l’on découvre soudain, c’est un véritable jeu d’auteur sur le statut du narrateur. Qui raconte quoi? A travers quels yeux a-t-on appréhendé les personnages?

Au même titre que Rosinski, pour évoquer un peintre du 19ème siècle, utilise toiles et pinceaux, Sente, pour raconter une énorme escroquerie, use avec brio du mensonge que permet la littérature en exploitant le point de vue d’un narrateur qui n’est pas celui qu’on croit.

Dit ainsi, cela peut paraître confus… Mais il est hors de question qu’on vous dévoile ici le retournement, les retournements, qui caractérisent le 2e tome de «La vengeance du comte Skarbek». Il est trop intéressant de constater par soi-même qu’on a pu être leurré, grugé, mystifié par un auteur qu’on a suivi aveuglément.

swissinfo, Bernard Léchot

Pendant la période des fêtes, swissinfo vous présente quelques ‘beaux livres’ parus en 2005.
«Un cœur de bronze», 2e tome de «La vengeance du comte Skarbek», est publié chez Dargaud.
Cette histoire en deux tomes est signée Grzegorz Rosinski (dessin) et Yves Sente (scénario).
Le Château de Gruyères propose une exposition intitulée «Grzegorz Rosinski – De Thorgal à Skarbek», jusqu’au 29 janvier 2006. Une cinquantaine des toiles et planches originales de Rosinski y sont présentées.

– Grzegorz Rosinski est né en 1941 en Pologne. Il étudie aux Beaux-Arts de Varsovie et travaille comme illustrateur de livres et de pochettes de disques.

– Sa rencontre en 1976 avec le scénariste Jean Van Hamme va donner naissance à Thorgal, série au succès impressionnant.

– Rosinski vit en Suisse, en Valais – où il dessine et enseigne – depuis 1989.

– «La vengeance du comte Skarbek» est la première collaboration entre le dessinateur Rosinski et le scénariste Yves Sente (Blake & Mortimer), également directeur d’édition au Lombard.

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