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Une BD signée Delacroix et Dumas?

De gauche à droite, Rosinski, Skarbek et Sente. swissinfo.ch

Attention chef-d’œuvre! Grzegorz Rosinski, valaisan d’adoption, et Yves Sente ont mis leur talent au service du mystérieux comte Skarbek.

Ils étaient à Lausanne à l’occasion d’une exposition dans le cadre du Salon Investissima.

Costards gris ou noirs, cravates omniprésentes, le Salon Investissima, voué à tout ce qui touche à l’argent et au placement, ne draine pas vraiment le même public que le Festival de la BD de Sierre ou celui d’Angoulême.

Est-ce donc un bon endroit pour parler bande dessinée? «Moi, dans ce livre, j’ai investi tout ce que pouvais!», répond le dessinateur Rosinski, pince-sans-rire, avec son accent polonais patiné au soleil sierrois depuis de nombreuses années.

«L’investissement des auteurs est d’un autre type que celui de ce salon… mais c’est de l’investissement aussi!», ajoute le Belge Yves Sente, qui sait de quoi il parle: s’il signe les scénarios des derniers Blake & Mortimer ou du comte Skarbek, il est également directeur d’édition au Lombard.

Derrière nous, une douzaine de planches originales, au vaste format. A mille lieues de ce que la BD propose en général. Car pour «La vengeance du comte Skarbek», le scénariste Sente a fait un cadeau à Rosinski: il a forcé le peintre à se révéler.

Vengeance et procès

Le comte Mieszko Skarbek, d’origine polonaise, âme et corps ravagés, débarque à Saint-Malo en 1843, et se rend à Paris, où quelques années plus tôt, il s’était illustré en tant que peintre, sous le nom de Louis Paulus.

Utilisant ses anciens clients et sa muse, la très sensuelle Magdalène, il va tenter de confondre le marchand de tableaux Daniel Northbrook au cours d’un procès qui est le centre du récit.

«Notre envie, à Grzegorz et à moi, était de faire quelque chose de différent sur tous les plans», explique Yves Sente.

«Or le procès, qui est un ressort très souvent utilisé au cinéma, ne l’est pas en bande dessinée, parce qu’a priori trop statique pour le genre. Mais avec le procédé du flash-back et tout le ‘spectacle’ qu’on a apporté, il y avait moyen de le dynamiser».

Le scénariste a-t-il relu Alexandre Dumas ou Eugène Sue avant de se lancer dans ce travail? «Non. J’en suis imprégné, bien sûr, mais ce sont des lectures d’enfance ou d’adolescence. Au contraire, je me suis forcé à ne rien relire pour ne pas tomber dans le piège du plagiat ou du pastiche».

Le coup de pouce de Daumier

Ce n’est pas par hasard si Yves Sente a placé son intrigue dans le Paris du 19e. Pour Rosinski, il a voulu faire du «sur mesure». Or l’artiste polonais est passionné par la peinture de cette période.

Alors Rosinski a travaillé en peintre. «La technique que j’ai employée est adéquate à l’époque», dit-il. «Si on avait fait de la bande dessinée à l’époque, on aurait utilisé certainement cette technique».

Le Paris romantique vibre alors sous nos yeux, à la fois éclatant et sombre, brillant et sordide. Rosinski s’est même permis des clins d’œil appuyés, à Delacroix, par exemple.

Ou, pour les personnages, à Daumier. Le bourgeois Courselle semble sorti directement de l’une de ses caricatures. «Je profite de cette occasion pour remercier Daumier», plaisante Rosinski. «Il a fait un excellent travail pour moi en dessinant le climat des salles d’audience, les avocats, les greffiers. Cela m’a beaucoup aidé!»

Mise en abîme

Mais comment le dessinateur a-t-il défini le style-même des œuvres de Skarbek-Paulus, dont on voit moult exemples dans l’album? «Je me suis senti imprégné par la personnalité de Skarbek. Je me suis même identifié à lui. C’est un peintre instinctif, qui peint pour exister. Cela nous rapproche beaucoup».

En d’autres termes… la patte de Skarbek-Paulus est celle de Rosinski, tout simplement. Ou disons, celle de Rosinski se coulant dans l’œuvre qu’il aurait créée s’il avait été un peintre du 19e siècle. Jolie mise en abîme.

En allant plus loin dans le parallélisme entre le personnage et son créateur, tous deux d’origine polonaise rappelons-le, si le premier s’adonne à la vengeance, le deuxième prend-il là une sorte de revanche? Celle du dessinateur BD qui enfin s’affiche dans le rôle du peintre?

«Je n’ai pas de raison de me venger, répond Rosinski. Mais il faut avoir le courage de sortir de l’esclavage de la ligne claire. On a oublié que s’il y a un ‘style bande dessinée’, c’est parce qu’à l’origine, elle était destinée à la presse et l’impression d’alors était très primitive. Maintenant, il n’y a aucune raison de ne pas faire autre chose».

Et c’est justement la ligne de conduite que s’est donnée Rosinski. «Dans mon travail, j’ai décidé de faire désormais chaque fois autre chose. A part Thorgal, je veux faire des choses à chaque fois différentes, relever des défis».

En l’occurrence, le défi du comte Skarbek est formidablement réussi. Il n’a qu’un seul défaut. Alors que le «Deux mains d’or», le premier chapitre, vient de paraître, le second volet du diptyque ne sortira qu’à fin 2005. Comment patienter jusque-là?

swissinfo, Bernard Léchot

– Au Salon Investissima de Lausanne (27-29 janvier), les visiteurs ont pu découvrir une douzaine de planches originales de «La vengeance du comte Skarbek», un ouvrage publié chez Dargaud.

– «La vengeance du comte Skarbek» est la première collaboration entre le dessinateur Grzegorz Rosinski (Thorgal, Western) et le scénariste Yves Sente (Blake & Mortimer), également directeur d’édition au Lombard.

– Alors que pour Thorgal, Rosinski s’inspire parfois des paysages valaisans, il s’agit cette fois-ci d’une plongée magnifique et haletante dans un Paris du 19e siècle.

– Le Paris de Dumas ressuscité par Sente, et réinventé par Rosinski, qui joue brillamment du pinceau, entre romantisme et impressionnisme.

– «Deux mains d’or», le premier chapitre, vient de paraître. Le second volet du diptyque ne sortira qu’à fin 2005.

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