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Vienne, une ville qui ne laisse pas indifférent

Incontournable à Vienne, le légendaire Café Hawelka. AFP

«Certaines des choses qui vont de soi en Suisse sont absolument impensables à Vienne.» C’est ce qu’écrit Christoph Braendle, écrivain et homme de théâtre d’origine bernoise, qui y vit depuis 1987. On peut, selon lui, aimer ou détester cette ville, mais on ne peut pas y être indifférent.

Pendant très longtemps, j’ai pu résister. Je ne suis quand même pas venu à Vienne il y a trente-deux ans pour rencontrer des Suisses… Je n’en ai donc pas rencontré beaucoup.

Ce qui n’est pas très difficile: premièrement, il n’y en a pas tant que ça, quelques milliers dans toute l’Autriche peut-être. Et, deuxièmement, ils se cachent, se camouflent bien, sous les atours de l’autochtone. Linguistiquement, ici, ils ne frappent pas vraiment. En tout cas pas à Vienne, car les Viennois n’ont aucune oreille pour les dialectes en provenance de l’ouest.

Illusion et réalité 

Personnellement, j’ai vécu la chose ainsi: mes premières sept années à Vienne sont passées comme une nuit d’ivresse. J’ai ressenti les gens comme étant incroyablement sympathiques, prévenants et attirés par ma personne. J’ai peu à peu gagné la conviction que l’on me considérait comme un étranger gentil, facile d’accès et que l’on voyait volontiers. Je pensais qu’ils auraient encore préféré me naturaliser sur le champ.

Après ces sept premières années, l’image s’est pourtant déchirée. J’ai incidemment appris que l’on me traitait – mais seulement dans mon dos – d’égocentrique, de peu aimable et de grincheux. Jamais je n’avais, jusque là, vécu un tel grand écart entre une illusion et la réalité.

Une des raisons à cela est que certaines évidences suisses sont ici considérées comme purement impossibles, par exemple celle d’avoir une discussion antagoniste en toute amitié, lorsque l’on dit sincèrement à quelqu’un ce que l’on pense de lui; les discussions pointues sur un seul sujet aussi, ou de vraies discussions au lieu de «small talks».

Aussi impensable que cela paraisse, je n’ai pratiquement jamais, en vingt-trois ans à Vienne, vécu une discussion équitable, factuelle, ou «dure» dans le sens des arguments, lors de mes rondes de discussion, majoritairement composées de Viennois. Ici, on est soit du même avis et l’on partage son opinion, ou on est l’ennemi et, dans le meilleur des cas, on ne mérite même pas d’être ignoré.

Au pire, le Suisse est associé à quelqu’un du Tyrol, ou du Voralberg, ou même de Bavière. Ce qui montre que la Suisse, dans la conscience générale, existe au mieux à l’arrière-plan… La relation entre la Suisse et l’Autriche semble ainsi plutôt être celle d’une non-perception. 

Partout des compatriotes camouflés

Se fondre à l’étranger, s’adapter, se dissoudre, presque, dans l’autre: cela fonctionne parfaitement ici, même lorsqu’on révèle ses qualités typiquement suisses.

Mais, un jour, voilà ce qui me tombe dessus: une maison d’édition viennoise me demande de diriger un ouvrage collectif sur les Suisses d’Autriche (*). Comme un pêcheur, je lance mes filets par-dessus bord.

Et là, surprise: les Suisses, mes compatriotes, sont partout. Et ce qu’ils me racontent confirme tous les clichés circulant sur Vienne. Ce qui me pousse inéluctablement à me poser la question de ce que c’est, un cliché, dans le fond…

Selon la définition, il s’agit d’une représentation éculée, ou bien d’un schéma de pensée bien rodé, d’une manière de parler rabâchée, ou bien d’une expression galvaudée, ou encore d’une image trop utilisée. Ce qui veut dire qu’un cliché, linguistiquement, est comme un chablon et il est repris sans réflexion et sans conviction individuelle.

Il m’a toutefois paru étrange qu’un joli nombre de personnes hautement différentes, parfois vivant depuis peu à Vienne et parfois depuis longtemps, plutôt de profession libérale, parviennent, de façon surprenante, aux mêmes conclusions, qui sonnent comme les leitmotive d’une différenciation culturelle.

L’un de ces clichés porte sur ce que je décrirai poliment comme une tournure linguistique viennoise – et exclusivement viennoise, car plus on bouge vers l’ouest, plus elle s’applatit. Cette tournure est associée à un rapport problématique avec la vérité, à une forme de calomnie, à une paresse de la pensée et à un manque d’expression analytique.

Surprenant urbanisme

Pourtant, nous les étrangers, nous sommes aussi ceux qui succombons, précisément, le moins au sport viennois par excellence, celui de la râlerie, de la plainte et du bougonnement. Souvent, nous sommes ceux qui expliquent que Vienne est un biotope d’une énorme richesse et que personne ne pense à la quitter.

Tous louent les qualités de la ville, sa sûreté, son ambiance bon enfant et son urbanisme à l’échelle humaine, un urbanisme qui sait par ailleurs, de temps en temps, se faire réellement surprenant. C’est le cas, en ce moment, dans mon voisinage.

Une nouvelle construction de Jean Nouvel ouvre en effet ses portes. J’ai pu vivre toute la construction, depuis le premier coup de pioche pour arracher les ruines jusqu’à son achèvement. A mes yeux, cette tour sombre, de travers et comme grandie hors du sol, large et puissante, est une réussite architecturale. Surtout avec les fresques, bien visibles de la rue, de Pipilotti Rist, qui, grâce à leur quasi monumentalié, rappellent la Chapelle Sixtine.

Oui, Vienne! Conservatrice, emprisonnée dans ses traditions et pourtant, parfois, moderne et rafraîchissante. On peut aimer la ville ou la détester, mais on ne peut pas y être indifférent.

(*)   Christoph Braendle, Österreich ist schön, oder? Eingewandert aus der Schweiz (L’Autriche est belle, non? Emigrés de Suisse), env. 170 pages, à paraître en mars 2011.

Né à Berne en 1953. Après quelques semestres de droit à l’Université de Zurich, il a parcouru l’Europe et l’Asie durant plusieurs années.

Egalement journaliste, il a vécu de 1979 à 1982 aux Etats-Unis et au Mexique, avant de s’établir à Vienne en 1987.

Christoph Braendle a écrit des romans, des essais, des reportages et des  pièces de théâtre. Il a aussi fondé le «Wiener Salon Theater», qu’il dirige.

Reportagen aus der Mitte der Welt. Verlag Bibliothek der Provinz, Wien 2010

Der Meermacher. Verlag Bibliothek der Provinz, Weitra und Wien 2008

Der Unterschied zwischen einem Engel. Picus-Verlag, Wien 2000

Jede Menge Kafka. Prager Metamorphosen. Verlag Christian Brandstätter, Wien 1994

Die Wiener. Literaturverlag Droschl, Graz 1992

Marrakesch, Madrid oder das böse Herz, Thuringe 2008

     

Shakespeare III, Vienne 1996

     

Henkers Mahl, Zoug 1995

     

Shakespeares Faust, Vienne 1995

     

Shakespeares Vögel, Vienne 1994

     

Hasenfuss, Vienne 1990

 

Prometheus am Kreuz, Hambourg 1986

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