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Un rapport qui accable les Nations Unies

Le rapport final a été présenté mercredi devant le Conseil de sécurité de l'ONU à New York. Keystone

Selon le professeur de droit bâlois Mark Pieth, de «graves manquements» ont été constatés dans la gestion du programme «pétrole contre nourriture».

Membre de la Commission indépendante d’enquête, le juriste suisse en dit plus à swissinfo après la sortie du rapport final qui dénonce le gaspillage voire la corruption au sein de l’ONU.

Publié mercredi à New York, le rapport d’un millier de pages – cosignées par le Suisse Mark Pieth et le Sud-Africain Richard-Goldstone – est explosif.

Et pour cause, il épingle le Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan et son bras droit, ainsi que des membres du Conseil de sécurité, en faisant la lumière sur la mauvaise gestion du programme humanitaire «pétrole contre nourriture».

Professeur de droit pénal à l’Université de Bâle, Mark Pieth était l’un des trois enquêteurs qui avaient été chargés en avril de vérifier des accusations portées contre des personnes privées et des entreprises d’une cinquantaine de pays.

En clair, ces dernières étaient suspectées d’avoir été impliquées de près ou de loin dans des détournements de fonds (destinés au peuple irakien) dans le cadre du programme onusien «pétrole contre nourriture».

Le rapport final des enquêteurs est d’autant plus détonant qu’il est publié une semaine exactement avant le sommet exceptionnel de l’ONU au cours duquel les dirigeants du monde entier se pencheront – entre autres – de la réforme de l’organisation.

swissinfo: Quel est le principal point qui ressort de ce rapport final?

Mark Pieth: Nous y disons que l’ONU n’était tout simplement pas capable de faire fonctionner le programme «pétrole contre nourriture». Et c’est également ce que le Secrétaire général a admis aujourd’hui, en déclarant qu’il n’aurait pas dû le lancer.

Le problème est que l’ONU assume toujours plus d’opérations actives, alors que l’organisation n’a pas changé ou adapté ses structures au cours des 60 dernières années.

Nous constatons un déficit massif en matière de gestion. Ce que nous faisons dans ce rapport, c’est d’expliquer très en détails, en plus de 900 pages, ce qui ne s’est pas bien passé.

swissinfo: Quel rôle la Suisse a-t-elle joué dans toute cette affaire?

M.P.: La Suisse a joué un rôle à trois niveaux, surtout dans le domaine bancaire.

Premièrement, beaucoup de gens ont tenté d’utiliser le système bancaire helvétique pour blanchir de l’argent. Par ailleurs, une part très substantielle du financement du trafic de pétrole a transité par Genève. Ce n’est pas négatif en soi, mais cela entraîne sur sorte de risque.

Deuxièmement, bon nombre d’intermédiaires ou de négociants de pétrole sont domiciliés à Zoug ou à Genève. Une bonne partie du programme avait donc une relation avec la Suisse.

Troisièmement, il y avait des entreprises suisses qui ont vendu des produits humanitaires en Irak et qui ont payé pour avoir ce privilège.

swissinfo: Que pensez-vous avoir accompli au travers de cette enquête et de ce rapport?

M.P. : Je pense que nous avons bien mis en évidence qu’il y avait un besoin de réforme au sein de l’ONU. Nous avons répété la même chose au Conseil de sécurité. Ils ont été assez impressionnés et chaque membre du conseil a réagit auprès de nous.

swissinfo: Pensez-vous que ce rapport puisse faire avancer la réforme de l’ONU?

M.P. : Oui, je l’espère. Ils ont une chance unique de faire quelque chose maintenant. Mais nous devons maintenant attendre pour voir ce qu’ils feront effectivement.

swissinfo: Etes-vous satisfait de la coopération de la part du personnel de l’ONU?

M.P. : L’ONU a été très serviable. La Suisse a également été d’une grande aide, spécialement concernant un point difficile, celui des données bancaires.

Dans d’autres pays, la situation était un peu plus nuancée… Aux Etats-Unis, certains secteurs de l’administration ont été très coopératifs, alors que d’autres pas du tout.

(Traduction de l’anglais: Olivier Pauchard)

Le programme de l’ONU pétrole contre nourriture s’est déroulé de 1996 à 2003.
Le but était de permettre au gouvernement irakien de vendre des quantités limitées de pétrole pour acheter des biens humanitaires.
Ce programme était une exception aux sanctions mises en place après l’invasion du Koweït par Saddam Hussein en 1991.
Professeur en droit pénal, le Suisse Mark Pieth est l’un des trois membres de la commission indépendante chargée d’enquêter sur la gestion du programme.

– Le rapport définitif de la Commission indépendante d’enquête indique que ceux qui ont géré le programme «pétrole contre nourriture» ont failli aux idéaux de l’ONU en ignorant les preuves évidentes de corruption et de gaspillage.

– Les enquêteurs ont vertement critiqué le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, son second et le Conseil de sécurité pour avoir permis à Saddam Hussein de détourner des milliards du programme.

– Les auteurs du rapport – dont le juriste suisse Mark Pieth – estiment que l’ONU a d’urgence besoin de réformes profondes.

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