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Une trève après de sanglants combats au Liban

L'armée libanaise se déploie dans les rues de Tripoli au deuxième jour d'affrontements intercommunautaires qui ont fait au moins huit morts. Keystone

Alors que la situation semblait apaisée au Liban depuis l'élection d'un président le 25 mai dernier, des combats meurtriers ont opposé dimanche et lundi deux factions rivales à Tripoli. L'armée a pu faire cesser les combats. Reportage.

Ambassadeur suisse à Beyrouth depuis 2 ans, François Barras a coutume de dire que «le Liban est un pays merveilleux mais qu’il ne faut surtout pas le prendre à la légère».

Les derniers événements lui donnent raison alors qu’après des mois de blocage institutionnel l’élection d’un président semblait avoir apaisé les tensions.

Dimanche et lundi, des affrontements meurtriers ont opposé à Tripoli des paramilitaires sunnites du quartier de Bab al Tabbaneh, à des miliciens alaouites du quartier voisin de Jabal Mohsen. Lundi soir, l’armée commençait enfin à se déployer dans certaines zones, permettant l’établissement d’une trêve, après deux jours de combats qui ont causé la mort de neuf personnes, selon un responsable des services de sécurité.

«Ces combats ont pour origine un vieux contentieux entre les deux communautés, explique François Barras. Il faut espérer qu’ils restent localisés mais cela montre tout de même que le feu couve sous la braise et que la situation sécuritaire du Liban n’est pas encore stabilisée.»

La vengeance pour mobile

«Un vieux contentieux». C’est bien ce que confirme Abou Bilal, solide combattant sunnite retranché dans le couloir d’un immeuble pris sous un tir nourri de mitrailleuse. «Il n’y a rien de politique là-dedans, insiste-t-il. Nous sommes en train de régler un vieux compte qui date de dix ans. Et ce sont eux qui ont lancé la première attaque.»

Et d’affirmer qu’en 1987, alors que la guerre civile faisait rage, les Alaouites, «armés et commandés par les Syriens», avaient perpétré un massacre dans son quartier, tuant femmes et enfants. «Nous ne nous arrêterons que lorsque nous seront vengés et qu’ils auront déposé les armes.»

Il est un peu plus d’une heure en cet après-midi de lundi et les combats gagnent peu à peu en intensité. Dans les couloirs au rez-de-chaussée des immeubles, femmes et enfants se serrent les uns contre les autres sans un mot.

Les esprits et les corps sont secoués par le vacarme des tirs et des explosions. Un enfant pleure dans les bras de sa mère au visage impassible, résigné. Chacun attend, espère, prie.

Tension extrême

Abou Bilal dirige une petite troupe d’une dizaine de combattants armés de kalachnikovs, de lance-roquettes RPG et de grenades. Il y a là de jeunes miliciens pour qui c’est le baptême du feu. Sur leur visage, un mélange d’excitation et de peur. Et puis il y a les autres. Ceux qui se battaient déjà il y a 30 ans, qui n’ont jamais déposé les armes, qui savent.

Il est un peu plus de 2 heures. Le tir de mitrailleuse qui fixait la petite troupe a laissé place aux rafales d’armes légères. La radio du chef de section crépite, des ordres fusent. Il faut progresser, traverser une rue prise sous le feu d’un sniper.

En attendant son tour, Abou Nasr, 25 ans, drapé dans un uniforme noir, tente un sourire impossible à afficher. Ses traits sont figés, tendus à l’extrême. L’ordre claque. Il court. Il court aussi vite qu’il peut en rentrant la tête dans les épaules, le dos voûté. Enfin à l’abri sous le porche d’en face, il se retourne, sourit.

Logistique digne d’une petite armée

Encore un dédale de couloirs noirs pour éviter les rues trop exposées. Au pâté de maison suivant, un contingent beaucoup plus important de combattants attend presque nonchalamment dans la rue alors que le vacarme des affrontements n’a jamais semblé si proche.

Quelques miliciens sont même accroupis contre les murs. C’est que les immeubles ici sont hauts et la rue étroite. Peu probable donc qu’un RPG puisse s’y abattre. Des hommes arrivent avec des vivres, de l’eau, de la munition, distribuent des RPG, des grenades.

La logistique est celle d’une petite armée. Rien d’improvisé là-dedans ce qui prouve que malgré la fin de la guerre, l’entraînement des miliciens n’a jamais cessé.

Intervention de l’armée

Les combats à l’arme lourde reprennent et les explosions se multiplient. Soudain des cris envahissent la rue. Un homme portant juste un revolver à la ceinture et qui semble être le commandant de la place hurle en faisant de grands gestes pour ordonner à chacun de se replier dans les immeubles. «Des Alaouites armés de RPG ont été repérés près d’ici et ils pourraient bien attaquer notre position», explique Abou Bilal.

L’information est très vite vérifiée. Moins d’une minute après le repli de la troupe, un RPG s’abat au coin de la rue. Le «blast» de l’explosion compresse une fraction de seconde les cages thoraciques et la rue est instantanément envahie d’une fumée blanche à l’odeur caractéristique. De nouveaux ordres claquent et le contingent se disperse par petits groupes dans les ruelles sous le fracas des armes.

Il est 16h 20 lorsqu’aux abords de Bab al Tabanneh, la tête d’une colonne de blindés de l’armée fait enfin son apparition. Quelques minutes plus tard, elle entamera son déploiement dans la zone, faisant cesser les combats. La mère rencontrée dans la cage d’escalier d’un immeuble du quartier pourra bientôt dire à son enfant que le cauchemar est terminé. Sans pouvoir hélas lui promettre qu’il ne reviendra pas les hanter.

swissinfo, Pierre Vaudan à Tripoli

Les Alaouites sont une branche du chiisme.

Fondé au IXe siècle en Irak, la communauté a gagné ensuite au Xe siècle la région d’Alep.

Le pouvoir syrien est alaouite. Au Liban, ils représentent une petite communauté de 20’000 âmes vivant dans le nord du pays.

La présence syrienne durant la guerre civile, puis l’occupation du Pays durant 15 ans par les troupes de Damas, ont considérablement renforcé leur influence. Ils disposent aujourd’hui de 2 députés.

Les rivalités entre les sunnites et les alaouites provoquent régulièrement des troubles à Tripoli. Les derniers avaient éclatés en mai dernier.

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