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La Suisse au chevet d’un Liban malade de ses mines

Au cœur du Liban Sud, deux membres de l'équipe de la FSD opère une détection de surface dans les environs du village de Harouf. swissinfo.ch

Alors que 111 pays, dont le Liban, viennent d'adopter à Dublin un Traité pour l'interdiction des bombes à sous-munitions, la Fondation suisse de déminage participe à l'assainissement du sud du pays, où Israël a déversé des centaines de milliers de ces engins en juillet 2006.

«Si vous faites la moindre erreur de manipulation, ce genre de petits engins peut vous faire passer une très mauvaise journée.» Avec sa gueule de baroudeur au cuir tanné par les soleils les plus implacables de la planète, Scott est un homme exactement à sa place dans ce champ de mines des environs de Harouf, au cœur du Liban-Sud chiite.

Vingt ans passés comme spécialiste en démolition dans l’infanterie néo-zélandaise, puis dix ans à neutraliser des mines en Irak, au Kosovo, au Soudan, au Tadjikistan ou en Afghanistan ont achevé de lui forger les nerfs d’acier qu’impose un boulot qu’il considère comme une «évolution logique dans sa carrière compte tenu de sa spécialisation militaire».

Anciens stocks du Vietnam

Aujourd’hui, c’est sous la bannière de la Fondation suisse de déminage (FSD) qu’il exerce ses talents dans le Pays du Cèdre depuis la fin de la guerre de juillet 2006 entre Israël et le Hezbollah libanais. Un conflit particulièrement dévastateur en terme de pollution par les mines puisque durant les seuls trois derniers jours des combats, l’armée israélienne a littéralement noyé la région sud du pays sous une pluie de quelque 10’000 bombes, roquettes et missiles, larguant jusqu’à un million de sous-munitions selon l’ONU.

Campagne de bombardements durant laquelle Israéliens et Américains ont apparemment vidé leurs anciens stocks puisqu’une partie non négligeable des engins trouvés dataient de… la guerre du Vietnam.

Un travail de fourmis

Résultat: plus de 40 millions de mètres carrés de terre «polluée» par des bombes à sous munitions (BASM), dont le taux de ratés oscille entre 5% et 30%, (de 1 à 3% pour une munition conventionnelle), transformant ainsi les engins qui n’ont pas explosé en autant de mines. Le déminage de la région est de surcroît compliqué par le refus israélien de fournir la moindre carte des bombardements.

C’est donc à travers un laborieux travail d’enquête auprès de la population que le Centre de coordination Mine-Action de l’ONU, sous l’égide duquel travaille la FSD et six autres contractants, a dû identifier les zones contaminées pour en dresser la carte.

«Le pire des terrains»

Installé à Harouf depuis une quinzaine de jours, Scott et son équipe ont déjà ratissé quelque 30’000 m2 de terrain et neutralisé 15 BASM de type M77, de fabrication américaine, dont plusieurs à quelques mètres seulement de l’école du village. «Chaque fois que nous trouvons une bombe, nous étendons la surface à balayer de 50 mètres dans toutes les directions», explique Scott.

Ce matin-là, l’équipe progresse dans l’une de ces extensions après la découverte, la veille, d’une nouvelle mine. Le soleil est déjà haut dans le ciel et la chaleur se fait accablante sous les lourds gilets de protection et les visières.

Sous l’œil inquisiteur de Scott, deux membres d’une équipe de nationaux formée par ses soins sondent un terrain rocailleux piqué d’herbes folles et de petits arbustes.

«Le pire des terrains avec les zones urbaines car les bombes qui n’explosent pas rebondissent dans tous les sens et peuvent aller se nicher dans les endroits les plus improbables, commente Scott. A quelques mètres en contrebas, Youssef, armé d’une cisaille, coupe l’herbe jaunie avant de promener la pointe de son bâton de détection avec une extrême lenteur à quelques centimètres de la surface.

L’habitude comme principal ennemi

Pour Scott, les pires ennemis dans ce travail sont l’habitude et l’excès de confiance en soi. «En septembre dernier, raconte-t-il, l’un de mes gars a commis l’erreur d’avancer son pied en même temps qu’il taillait l’herbe.» La sanction a été immédiate. «Il a été extrêmement chanceux de s’en sortir vivant et les éclats de la bombe n’ont fait que de lacérer ses bras et ses jambes.»

Pour éviter le coup de fatigue et une faute d’inattention potentiellement mortelle, les équipes font de fréquentes pauses. «Dans de bonnes conditions de terrain et de météo le temps de travail est de 45 minutes pour 15 minutes de repos, détaille Scott. Mais en cas de stress intense ou de très forte chaleur nous pouvons passer à des séquences de 20 minutes de travail et dix minutes de pause.»

Pour parer à toute éventualité, l’équipe de la FSD est aussi composée de cinq «médics» toujours prêts à apporter les premiers soins et à évacuer un éventuel blessé vers l’hôpital le plus proche. Depuis 2006, treize démineurs ont déjà payé de leur vie le déminage du Liban-sud.

Pour l’heure, la journée se passera sans incident à Harouf et la zone prioritaire, proche des habitations, est en passe d’être totalement nettoyée. Quand aux zones secondaires comme les collines avoisinantes, «elles resteront sans doute à jamais dangereuses», conclut Scott, un brin de lassitude dans la voix.

swissinfo, Pierre Vaudan, Harouf au Liban

Les diplomates de 111 pays, dont le Liban, ont formellement adopté vendredi à Dublin un traité interdisant les bombes à sous-munitions (BASM) et prévoyant la destruction d’ici 8 ans de ces armes très dangereuses pour les civils.

Le document doit être signé en décembre à Oslo. Les principaux fabricants de bombes à sous-munitions – Etats-Unis, Israël, Russie, Chine, Inde et Pakistan – étaient absents des discussions.

S’il n’a pas été signé par Washington, le document contient plusieurs concessions aux Etats-Unis. Le traité autorise ainsi les pays signataires à poursuivre leur coopération militaire avec des Etats non-signataires, au grand dam des organisations anti-BASM.

Personnel onusien et contractants compris, un millier de personnes travaillent à la décontamination du Liban-sud.

Depuis 2006, quelque 150’000 sous-munitions ont été neutralisées par leurs soins.

Sur les 40 millions de m2 potentiellement pollués au Liban-sud en juillet 2006, 49% ont été nettoyés en surface, 28% également en sous-sol. 15% sont considérés comme ne représentant pas de danger majeur dû aux sous-munitions. Reste aux démineurs à nettoyer le 8% restants.

Dès l’année prochaine, l’ONU passera le flambeau à l’armée libanaise pour coordonner les opérations de déminage.

Les bombes à sous-munitions, également appelées bombes à dispersion, se présentent comme des conteneurs qui s’ouvrent lors de leur largage et répandent jusqu’à plusieurs centaines de mini-bombes sur la zone visée.

Etant donné leur impact à grande échelle, elles engendrent presque toujours un grand nombre de victimes civiles.

Entre 5% et 30% des bombes n’explosent pas à l’impact au sol et constituent dès lors une menace latente pour les populations, à l’instar des champs de mines.

Selon la Coalition internationale contre les sous-munitions (CMC), au moins 16 pays font ou ont fait usage de ce genre d’armes: Arabie Saoudite, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Erythrée, Etats-Unis, Ethiopie, France, Israël, Maroc, Nigeria, Pays-Bas, Royaume-Uni, Russie, Serbie, Soudan et Tadjikistan.

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