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Yvette Z’Graggen, auteure d’ici et d’ailleurs

Yvette Z'Graggen en 1992. Keystone

La grande romancière suisse s’est éteinte à l’âge de 92 ans. Elle laisse une œuvre imposante marquée surtout par la défense de la condition féminine et le questionnement de l’Histoire suisse. Témoignages et hommage.

Z’Graggen. Il y a du courage et de la liberté dans ce «Z» qui fend l’air comme celui de Zorro. A cette différence près que la plume a remplacé ici l’épée pour faire vivre au lecteur des dizaines d’aventures. Celles que raconte dans ses romans, ses nouvelles et ses récits, Yvette Z’Graggen, grande Dame des lettres romandes, décédée dans la nuit du 15 au 16 avril.

Elle avait 92 ans… et tout son temps. La Vie attendait, dit le titre de son premier roman paru en 1944. Un ouvrage prémonitoire qui annonçait déjà l’engagement politique et social de l’auteure genevoise. Cet engagement sans halte, on le retrouvera par la suite dans bon nombre de ses livres publiés aux éditions de L’Aire dont elle fut une grande figure.

Interrogé, Michel Moret, qui dirige la vénérable maison d’édition veveysane, nous confie: «Ce qui a fait le succès d’Yvette, c’est d’abord sa faculté à rassembler tous les publics, du plus exigeant au plus populaire. Mais c’est aussi et surtout sa volonté de raconter l’itinéraire de la femme du 20e siècle, son besoin fondamental d’autonomie.»

Une langue simple et limpide

La Vie attendait en témoigne. S’en dégagent une impatience de vivre et un besoin de s’exprimer qui valent à l’écrivain l’admiration du lectorat féminin. Ce fut le cas par ailleurs pour Cornelia  et Temps de colère et d’amour, deux autres romans de Z’Graggen qui ont connu un vif succès en Suisse alémanique.

Là-bas aussi, les femmes ont été séduites. Une autre raison explique ce succès Outre-Sarine: la langue de l’auteur, simple, limpide, très proche de celle de tous les jours. «Elle n’a jamais triché, ni avec elle-même, ni avec les lecteurs», avoue son traducteur zurichois Markus Hediger.

Joint par téléphone après le décès de l’auteur, il ne cache pas son émotion: «Un lien particulier me lie à Yvette: je suis né un 31 mars, le même jour qu’elle. J’ai l’habitude de l’appeler pour lui souhaiter un joyeux anniversaire. Cette année elle ne répondait pas. Une petite musique dans ma tête me disait qu’elle allait mal. Et lorsque sa fille m’a appelé pour m’annoncer son décès, je n’étais pas étonné.»

A l’hôpital, l’écrivain refusait ces dernières semaines les visites des amis. Elle ne voulait pas qu’on la voit diminuée, elle, femme forte, qui prit à bras le corps ses multiples vies. Vies imaginées dans son œuvre ou vécues ici et là, en Suisse et en Europe.

Le théâtre, un rôle important

Car Yvette Z’Graggen n’était pas que romancière. Elle fut aussi journaliste culturelle à la Radio suisse romande, traductrice littéraire de l’italien et de l’allemand, rédactrice-documentaliste à la Comédie de Genève, alors dirigée par Benno Besson. C’était dans les années 1980. A plusieurs reprises, nous l’avions croisée dans le foyer du théâtre, silhouette de roc inébranlable, mais présence discrète.

Il faut dire que le théâtre joue dans son existence un rôle important. D’abord le théâtre au sens propre: elle écrit plusieurs pièces radiophoniques. Ensuite le théâtre des opérations politiques: l’Italie et la Tchécoslovaquie des années 1940 où elle travaille pour le CICR (Comité international de la Croix rouge). C’est la Seconde Guerre mondiale, «et c’est de là que sont nés ses inquiétudes et ses questionnements», explique Michel Moret.

Il en résultera des romans inspirés de la réalité allemande (Matthias Berg), mais aussi un livre historique,  Les Années silencieuses, «qui fait désormais partie de notre patrimoine culturel», affirme Michel Moret.

Une résonnance internationale

Les Années silencieuses interroge l’Histoire suisse, le rôle de ce pays durant la Sedonde Guerre, le refoulement des réfugiés juifs et la collaboration avec les forces de l’Axe. «L’auteure y fait preuve d’une grande probité intellectuelle, lâche Michel Moret. Yvette Z’Graggen ne critique pas pour détruire, mais pour construire. Elle se penche sur notre passé en soupesant tous les aspects: le côté médiatique (elle analyse les articles de presse de l’époque), le côté «café du commerce» (elle écoute ce que dit le citoyen lambda) et le côté personnel (elle se base sur son expérience avec le CICR)».

L’intérêt du public pour la romancière passe nos frontières. Elle est traduite en roumain, bulgare, italien, russe et anglais. Mais c’est surtout dans les pays germanophones qu’elle est lue. Normal pour cette fille née à Genève, de père uranais et de mère aux origines austro-hongroises. En somme, un beau mélange qui donne à son identité une résonance internationale.

Née à Genève en 1920. Son père, dentiste de son état, est alémanique (du canton d’Uri). Sa mère a des origines austro-hongroises. Elle est élevée dans un milieu bourgeois. Elle obtient sa Maturité à Genève, puis suit une formation de secrétaire.

De 1949 à 1952, elle travaille en tant que secrétaire aux Rencontres Internationales de Genèveet à la Société européenne de culture, à Venise.

Entre 1952 et 1982, elle réalise pour la Radio suisse romande des émissions culturelles et littéraires.

En 1982, Benno Besson, alors directeur de la Comédie de Genève, l’engage comme rédactrice-documentaliste. Elle travaillera pour lui jusqu’en à 1989.

Parallèlement, elle mène une carrière d’écrivain et publie des romans, des récits, des nouvelles et des pièces radiophoniques.

Son premier grand roman La Vie attendait est vite remarqué à sa sortie en 1944. L’auteure y suit le chemin d’autonomie de la femme du 20e siècle.

Suivent des œuvres historiques et de fiction qui interrogent le passé politique de la Suisse et de l’Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale, comme Matthias Berg et Les Années silencieuses.

Grande Dame de lettres, elle traduit de l’italien et de l’allemand des auteurs de renom, comme Annemarie Schwarzenbach et Max Frisch.

Elle est elle-mêmetraduite en plusieurs langues (allemand, anglais, russe, roumain…).

Citons parmi ses derniers ouvrages: Mémoire d’elles, La Nuit n’est jamais complète, Un Etang sous la glace, Eclats de vie, Juste avant la pluie.

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