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Devenir Suisse, une drôle d’affaire

Luisa Campanile DR

Plein d'humour, de divagations poétiques, d'échanges absurdes, le premier livre de la comédienne Luisa Campanile retrace, en zigzag, le parcours d'une jeune italienne qui tente d'obtenir le passeport rouge à la croix blanche. Cela s'appelle «Flux migratoires» .

Elle aurait sans doute aimé être une mouette, Luisa Campanile. Comme ces mouettes de la rade de Genève, dont elle entend le cri. Comme elles, elle aurait pris le «bon courant» pour décoller et «danser dans l’air», s’imagine-t-elle.

Mais enfermée là, dans ce bureau, face à l’enquêteur qui l’interroge et qu’elle appelle l’Autre, Luisa Campanile sait que, contrairement aux mouettes, elle nage à contre-courant. Cette fille d’immigrés napolitains, née à Sion en 1973, candidate à la naturalisation suisse, n’est pas «un cas classique».

«Aller au fait»

Et comment pourrait-elle l’être, elle qui rêve, en cette belle journée de juin, de futur immédiat rempli de glace au chocolat quand l’Autre lui demande de définir son avenir, «d’aller aux faits».

L’avenir? Luisa Campanile, n’en voit qu’un, ouvert à tous les vents, modulable à merci. Ce qui n’est pas du goût de l’Autre qui lui redemande de clarifier sa situation, «de la faire entendre dans sa plus grande authenticité».

Exigence vaine, car Luisa n’est pas de celles qui se coulent dans un moule. «De la terre, je ne connais pas l’exigence», dit-elle. Verdict de l’Autre, qui tombe comme un couperet: «Nous ne saurions que faire de citoyens qui mènent une vie de bohème».

Bohémienne, Luisa Campanile l’est certes, ne serait-ce que dans sa façon de voir la vie: une perpétuelle migration, sous des cieux multiples. Ce qui n’a pas empêché, finalement, cette comédienne, auteure et metteuse en scène de théâtre de devenir suisse et de raconter l’aventure de sa naturalisation dans «Flux migratoires» (Editions Xenia).

Un récit autofictionnel, donc, où la liberté individuelle se heurte aux procédures administratives asphyxiantes. Où le ton volontiers sarcastique de l’auteure offre un rempart aux préjugés qui ralentissent, en général, le processus d’intégration.

Exil

Car par delà l’anecdote qui reflète l’échange drôle et absurde entre la jeune femme et l’enquêteur cramponné à ses certitudes, se lit une réflexion douloureuse sur l’assimilation des étrangers en Suisse, mais pas seulement. «L’exil est une brûlure», écrit Luisa Campanile. Et cela vaut pour toute forme d’exil.

L’auteure élargit donc son propos. C’est l’affrontement entre le Sud et le Nord qui se profile également dans son livre, avec des allers-retours entre Napoli, lieu d’origine, lieu rêvé, et la Suisse, pays d’accueil, pays vécu. Avec aussi des allers-retours entre le passé, celui des parents, et le présent, celui des enfants appelés «deuxième génération». Le «2G», résume comiquement l’auteure, laquelle ravive la «brûlure», celle ressentie autrefois par son père, avant d’en évoquer une autre en remontant au début du XXe siècle.

A l’époque, les travailleurs italiens allaient gagner leur pain en Amérique. Ils étaient des bâtisseurs de cathédrales. Les frères Taviani, cinéastes toscans, avaient reconnu le mérite de ces immigrés hors normes dans un film magnifique «Good Morning, Babylon». Luisa Campanile les place, quant à elle, dans le mouvement de l’Histoire: «Combien étaient-ils les grands oncles de mes trisaïeuls (…) à débarquer en Amérique? Combien étaient-ils sur la voie ferrée, en partant de Boston?». Arrivée et départ. Début et fin de l’exil.

Décalage

«Après le flux viendra le reflux, et de ce mouvement inlassable naît un temps nouveau», note l’auteure. Ce «temps», c’est le sien, celui d’une génération née sur une planète aujourd’hui métissée où la question identitaire ne devrait plus se poser en termes administratifs.

«Il y a, à mon sens, une très grande rigidité de l’Administration face à la conscience individuelle qui, elle, va très vite, confie Luisa Campanile. L’homme actuel est en constante mobilité et il est fait de plusieurs cultures. Même l’Europe est de nature variée: grecque, latine, celte… Or, cette variété n’est pas toujours reconnue par les instances politiques. Lesquelles sont dans un désaveu permanent du quotidien».

Peut-être qu’un jour tout cela changera. «Mais il nous reste encore tant de chemin» dira-t-on, pour reprendre la formule de l’auteure.

swissinfo, Ghania Adamo

Née à Sion en 1973, de parents italiens.

D’abord licenciée en psychologie de l’Université de Genève, elle étudie au Conservatoire de Lausanne avant de devenir assistante à la mise en scène pour des spectacles crées notamment au Piccolo Teatro de Milan.

A son tour, elle devient metteuse en scène et fonde le Collectif Iter qui se distingue en Suisse romande par des créations interactives, comme «La Confession», «Le Voyage» et «Les Voix humaines».

Comédienne, elle joue également dans des téléfilms, comme «L’Homo Sapiens» de Jacques Malaterre.

Elle mettra en scène prochainement «Loin», un spectacle qui prend appui sur des textes du poète irakien Youssef Saadi.

Son livre «Flux migratoires» est publié aux éditions Xenia, Vevey.

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