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Le vison, la burqa, la police et la saucisse

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Riche et originale, l’exposition «[Contre] Culture/CH» proposée par le Musée de l’Elysée, à Lausanne, réunit les œuvres de 25 artistes suisses, réalisées entre 1960 et 2011. Photographies, films et vidéo apportent une vision critique de la société, de la politique et des arts, à contre-courant des idées reçues.

Switzerland vs the world. La Suisse contre le monde. Sous cette déclaration de guerre en forme de boutade, se cache une œuvre d’art des plus originales, signée Claude Baechtold. Présentée au Musée de l’Elysée, Lausanne, dans le cadre de l’exposition [Contre] Culture/CH, l’œuvre consiste en une série de projections vidéo qui résume à elle seule l’esprit critique d’une exposition placée sous le signe du questionnement identitaire.

Pour définir une identité et délimiter son territoire, l’artiste lausannois Claude Baechtold s’est donc attaqué au monde avec une arme très efficace, l’humour. Dans son face à face avec le reste de la planète, son pays s’en sort plutôt bien, question confort.

La Suisse contre l’Afghanistan, la Chine, l’Italie…

Voici donc la Suisse contre l’Afghanistan, contre la Chine, l’Italie, les Etats-Unis, le Pôle Nord… Le grand écran, qui renvoie les images vidéo, est divisé en deux. D’un côté l’Helvétie, d’un autre le reste du globe. Chaque face à face produit ses clichés, et par-delà ses servitudes.

La Suisse contre l’Afghanistan, ce sont deux femmes filmées de dos; l’une laisse choir jusqu’à terre son manteau en vison, l’autre sa burqa bleue.

Face à la Chine ouvrière, la Suisse affiche son bien-être bucolique. Là-bas, un amas de briques rouges attend l’intervention d’un constructeur; ici, une charmante cabane de montagne offre au promeneur sa façade de bouleaux tout beaux tout neufs.

Très neufs sont aussi les paniers à déchets qui émaillent les rues de Florence. Mais la cité des Médicis a beau s’enorgueillir de ses poubelles design, elle ne battra jamais la Suisse qui, elle, se permet, rien que pour les déchets de ses chiens, les reluisants paniers verts.

De son montage vidéo (réalisé en 2011), Claude Baechtold a tiré une version papier: les mêmes images mais en photos. Histoire d’enfoncer le clou et de renforcer la lecture en contrepoint de l’identité helvétique. Les 24 autres artistes exposés, tous Suisses, ne suivent pas forcément la même démarche. Il n’en reste pas moins que leurs œuvres (films, vidéo, photos) produisent un effet également comique, car à contre-courant des idées reçues.

Bon nombre de ces artistes ont conçu leurs œuvres entre les années 1960 et 1970, époque qui a vu naître en Suisse une contre-culture, entendez une conquête de la liberté par les moyens de la critique. Critique de la vie sociale et politique, comme le montre la vidéo de Francis Reusser. Ce dernier a transféré sur DVD les films-tracts du Comité d’Action Cinéma qui, en 1971, avait filmé la révolte des gymnasiens à Lausanne, leurs revendications et les émeutes qui s’en sont suivies, avec arrosage de gaz lacrymogène par la police.

Police, objet de tous les délires

La police (objet de tous les délires) est d’ailleurs au centre de bien des œuvres exposées. Si Gianni Motti la filme en concerto (policiers chantant et jouant de la guitare électrique), Arnold Odermatt, ancien photographe de police, sublime, quant à lui, son métier à travers 32 clichés reproduisant des accidents de la route. Réalisée entre 1950 et 1970, sa série de véhicules cabossés aurait été des plus anodines si elle n’attribuait à la voiture un caractère sexuel, la rapprochant de l’humain.

On admirera ainsi le bouche-à-bouche hautement érotique de deux coccinelles qui se heurtent, pare-chocs contre pare-chocs. Et on sourira devant deux Simca qui se frottent au bord d’un ravin, l’une, les jambes (pardon! les roues) en l’air, poussée par l’autre et prête à basculer dans le vide, comme on bascule dans l’extase.

Mais cette vision subvertie des objets et des êtres ne reste pas cantonnée à la Suisse. L’exposition passe nos frontières pour laisser voir le monde à travers le regard caustique de nos photographes, ceux qui ont séjourné à l’étranger dans les années 1960, bien avant que le monde ne soit globalisé et homogénéisé dans ses goûts culturels et politiques. C’est le cas de Luc Chessex. Le Lausannois qui a longtemps vécu à Cuba en a ramené des photos présentées sous l’intitulé Le visage de la révolution.

«Fidel à la télévision» dit l’une de ces photos. Chessex use du jeu de mots pour dire la présence obsédante de Castro dans l’espace public cubain. Fidèle à Fidel. Le visage du leader s’inscrit dans le cadre du petit écran comme dans celui des posters affichés sur les murs d’une station service ou d’une manufacture de cigares.

La force symbolique de la saucisse

Maintenant que la Guerre froide est terminée, les préoccupations des photographes et vidéastes ont changé. Les jeunes artistes, nés dans les années 80, se tournent vers d’autres «révolutionnaires», ceux qui veulent se défaire des tabous et déjouer les codes sociaux. Ceux-là s’éclatent dans les fêtes de village et les pique-niques géants.

Yann Gross, par exemple, les surprend dans «Val et la saucisse», une photo représentant une jeune fille allumée, tête renversée en arrière, bouche grande ouverte devant une saucisse qui tombe du ciel et qu’elle tente de saisir avec jubilation.

Dans un monde où la sexualité s’épanouit sur le devant de la scène, la saucisse, dont le bout est badigeonné de sauce blanche, revêt toute sa force démonstrative.

L’exposition réunit les œuvres de 25 photographes, cinéastes et vidéastes suisses.

Elle montre divers aspects de la contre-culture des années 1960 et 70, telle qu’elle s’exprime dans les arts visuels suisses puis dans la photographie d’aujourd’hui.

Elle est divisée en trois sections thématiques: Culture et comportement, Humour, ironie et décalage, Mise en perspective du signe identitaire.

Elle est à voir jusqu’au 29 janvier 2012 au Musée de l’Elysée de Lausanne.

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