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«Pardon mère» bouleverse

Keystone

Dans son dernier ouvrage paru aux éditions Grasset, Jacques Chessex dresse un portrait pieux et émouvant de sa mère.

Récit autobiographique, son livre est aussi une lettre d’amour post mortem adressée à celle que l’écrivain vaudois n’a pas su vénérer.

Jacques Chessex bat sa coulpe. Et dans son geste ample et merveilleux il n’y a pas la moindre trace d’un remords obséquieux. Il y a plutôt une prière mystique, intense, à la limite de la transe, adressée à une mère, la sienne, à qui il demande «pardon de lui avoir manqué toute sa vie».

«Pardon mère». Pardon à celle qu’il n’a pas su aimer lorsqu’elle était vivante et qu’il porte aujourd’hui en lui comme on porte en soi la lumière de Dieu.

«Mère tu m’habites». Il y a du Saint-Augustin dans la flamme et l’extase de ce récit autobiographique de Chessex. Livre aux accents christiques où le fils porte son remords comme une croix et «rôde autour d’une rédemption par le sacrifice».

La rédemption arrive par l’écriture jubilatoire et libératrice. Par les mots. «Un petit monument de mots», mausolée somptueux, dernier refuge d’amour que le fils offre ici à sa mère avec la magnificence langagière qu’on lui connaît.

Une femme, les femmes

Les femmes, on le sait, occupent dans les romans de Chessex une place dévoratrice. Elles l’ont amusé, ensorcelé, rebuté, attendri… Il les a fait souffrir aussi ces «demoiselles aux peaux mates ou lissées, aux seins divers, aux hanches souples…»

Mais dans son souvenir, «elles gagnent leur place lointaine», tandis que l’image de la mère se fixe hors du temps, dans un ailleurs éternel qui fournit à l’auteur la matière d’une profonde réflexion métaphysique.

Réflexion sur l’au-delà, cet espace qui échappe à toute logique. Sur l’ici-bas également, «prison mortelle d’os et de viande» dont les murs sont sans cesse déplacés par la vanité humaine.

De vanité, il sera beaucoup question dans ce récit, défaut auquel le fils a souvent succombé, auquel la mère a toujours échappé, elle qui fut «le contraire de l’arrogance, du tapage et de l’exhibition faraude». C’est elle qui a donné à son fils «l’envie constante de dépassement».

Elle aimait la terre et les oiseaux, les fleurs et les gens simples. «Son ascendance de notables économes, droits, calvinistes exemplaires les uns aux autres, avait mis dans son sang la modestie des vrais forts».

Un jour à Vallorbe

Elle est née Vallotton, un jour de mai 1910, à Vallorbe. Lucienne Vallotton donc, mère bénie entre toutes les femmes, comme Marie, mère de Jésus, avec laquelle l’auteur l’associe (inconsciemment?), lui le fils non pas divin mais lâchement humain qui fit subir à sa mère le pire des calvaires: l’ingratitude.

«Longtemps j’ai eu le temps, écrit Chessex. C’était quand ma mère vivait. J’étais désagréable avec elle, ingrat, méchant, je me disais: j’aime ma mère. Elle le sait ou elle finira par le savoir. J’ai le temps. En attendant le temps passait».

Les grands auteurs finissent par retrouver le temps. Proust, invoqué ici à travers ce «longtemps» lancinant, y a réussi. Jacques Chessex également dans ce «Pardon» qu’il écrit pour renaître à lui-même. Non, il n’est pas un fils maudit. Il le sait. Il le dit: «Ma mère m’a aimé avec une tendresse jalouse». Il le lui rend aujourd’hui.

Son «Pardon» est immense, qui répond ainsi à un souhait de la mère si souvent formulé devant le petit Jacques écolier: «Tu n’as qu’à tirer de toi ce qui est en toi. Vers le haut. Dépasse-toi».

swissinfo, Ghania Adamo

Né à Payerne (canton de Vaud) en 1934, il est l’un des plus grands écrivains suisses.

Depuis de nombreuses années, ses romans, récits, critiques et essais exercent une très importante influence sur la littérature romande.

En France, où il est publié chez Grasset, ses livres rencontrent également un large public.

Son succès n’est pas dû seulement à sa magnificence stylistique, mais aussi aux thèmes qu’il traite avec passion et intelligence: la métaphysique, la sexualité, l’amour, les liens filiaux.

A son actif, de très nombreux romans dont on citera «L’Ogre», qui a obtenu le Goncourt en 1973, «Monsieur», «Le Vampire de Ropraz»…

Il est également auteur de poèmes regroupés en recueils, dont le dernier «La revanche des purs» vient de paraître chez Grasset.

A signaler que Jacques Chessex a obtenu, en France, le Grand Prix Jean Giono, 2007.

«Pardon mère», récit autobiographique de Jacques Chessex.

Editions Grasset, Paris. 214 pages

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