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Bâle redécouvre «l’inventeur» pictural du Lac Léman

«La pêche miraculeuse», une partie du retable peint pour la ville de Genève en 1444. Sur le tableau, le Lac Léman remplace le Lac Tibériade. Wikimedia

L’inventeur du paysage réaliste, Konrad Witz (env. 1400-1447), fait l’objet d’un rare panorama au Kunstmuseum de Bâle. Celui-ci offre l’occasion de comprendre son art en présentant ses contemporains, ses suiveurs, et des tableaux restaurés.

«Les bons Genevois ont dû être frappés lorsqu’ils virent pour la première fois ces hommes simples pêcher dans leur lac et le Christ marcher sur ces eaux familières pour les aider et les réconforter.»

C’est ainsi qu’Ernst Gombrich, le grand historien de l’art autrichien, termine, dans son Histoire de l’art, sa description de La pêche miraculeuse, une partie du retable peint par Konrad Witz pour la ville de Genève en 1444.

Ce tableau, signé et daté, fait extrêmement rare à l’époque, passe aujourd’hui («peut-être», dit Gombrich) «pour la première représentation exacte, le premier «portrait» d’un site.» Consacré à la vie de St-Pierre, le tableau est en tout cas la première représentation connue de la chaîne du Mont-Blanc.

Le Lac Léman au lieu du Lac Tibériade  

On peut, aujourd’hui encore, trouver l’endroit où le peintre s’est installé pour saisir le paysage. Le Lac Léman ne remplace rien de moins que le Lac Tibériade, lieu de la scène biblique.

S’il n’est pas présent dans l’exposition Konrad Witz présentée jusqu’au 3 juillet au Kunstmuseum de Bâle – les panneaux du retable ne quittant plus Genève pour des raisons de conservation – les visiteurs peuvent admirer une reproduction au format original. Ce paysage genevois est du reste capital à plus d’un titre.

C’est en effet en trouvant ce panneau de retable dans une cave du Musée archéologique de Genève en 1901, à la lumière d’une bougie, raconte Katharina Georgi, assistante scientifique du Kunstmuseum, que Daniel Burckhardt, premier curateur professionnel des collections publiques de Bâle, a redécouvert Konrad Witz.

Peintre d’origine suisse ou souabe, né vers 1400 et mort avant 1447, l’artiste constitue une pièce majeure dans l’évolution de l’art pour apprivoiser le réel. Grâce à la découverte de Burkhardt, on sait que Konrad Witz a vécu à Bâle entre 1434 et sa mort.

Contexte politique

Il était arrivé au bord du Rhin «probablement attiré par la présence de toute l’élite intellectuelle de l’Eglise, réunie pour le grand concile qui durera de 1431 à 1449», poursuit Katharina Georgi. En 1434, il fut admis dans la corporation des peintres, tailleurs de pierre, orfèvres et verriers de Bâle et devint l’année suivante bourgeois de la ville.

Le cœur de l’exposition est formé par douze panneaux encore existants du retable du miroir du salut, réalisé vers 1535 pour l’église Saint Léonard de Bâle. Neuf panneaux viennent d’être restaurés et sont complétés par trois autres tableaux du retable abrités à Dijon et Berlin.

Le catalogue richement illustré révèle les découvertes de la restauration: les tons, les traits, les lumières et surtout les ombres marquent une rupture certaine avec les peintres de la période précédente.

Primitifs flamands

Ou même avec les contemporains: l’exposition compare l’art de Konrad Witz avec celui de quelques autres artistes de son temps. Chez ces derniers, les tissus semblent rigides, toute ombre est absente et «l’architecture ressemble à une coulisse», comme le notent les commissaires d’exposition, à la manière typique du gothique international.

Mais Konrad Witz connaît les découverts des primitifs flamands, il est un peu plus jeune que le Maître de Flémalle et que Jan van Eyck. Il cherche à rendre avec précision des cailloux sous l’eau et les détails des moindres objets. Ses lacs ne se résument plus à des traits pour les vagues.

«Guerre des images»  

Surtout, les ombres – même si la perspective linéaire n’est pas appliquée avec exactitude car Konrad Witz ne connaît pas ses règles – donnent de l’épaisseur aux personnages et de la profondeur aux scènes.

Au total, plus de 90 œuvres exposées à Bâle, y compris de magnifiques cartes de tarot, permettent de comprendre l’apport du pionnier à l’histoire de l’art. Et le visiteur qui pense pouvoir apprécier ces chefs d’œuvre dans des salles relativement vides, Konrad Witz n’était ni Andy Warhol ni Vincent Van Gogh, se trompera: le peintre du Saint-Christophe semble vivre une véritable renaissance et les spectateurs se pressent devant ses tableaux!

Des tableaux dont beaucoup ont disparu. Comme le rappelle Katharina Georgi, la majorité des œuvres créées à ce moment-là furent victimes des destructions de 1529, lors de l’avènement de la Réforme, dont certains acteurs s’en prirent aux témoignages catholiques. Les «survivants» exposés à Bâle témoignent aussi de cette guerre des images d’un autre temps.

Origine. Peintre allemand originaire de Souabe (des documents le disent de Rottweil-sur-le-Neckar, sans préciser qu’il s’agit de son lieu de naissance ou de sa dernière résidence), Konrad Witz serait né vers 1400 et est mort vers 1447.

 

Corporation. En 1434, il fut admis dans la corporation des peintres, tailleurs de pierre, orfèvres et verriers de Bâle et devint l’année suivante bourgeois de la ville, où il fonda une famille.

Tableaux. On connaît de lui, outre les œuvres d’attribution discutable, vingt tableaux: un Saint Christophe (musée des Beaux-Arts, Bâle) et dix-neuf panneaux ayant appartenu à trois retables démembrés.

Le premier en date est le Retable du miroir du salut, peint vers 1435 pour l’église Saint-Léonard de Bâle.

 

Le Retable de Saint Pierre fut achevé en 1444 pour l’église Saint-Pierre de Genève, pour laquelle il avait été commandé par l’évêque de la ville: sur les volets, conservés au musée d’Art et d’Histoire de Genève, sont représentées La Pêche miraculeuse, La Délivrance de saint Pierre, L’Adoration des Rois et La Présentation du donateur à la Vierge.

Dernières œuvres. Enfin, à un retable plus tardif, peut-être inachevé, devaient appartenir La Rencontre à la porte Dorée (musée des Beaux-Arts, Bâle), L’Annonciation (Musée national germanique, Nuremberg) et Sainte Catherine et sainte Madeleine (musée de l’Œuvre de Notre-Dame, Strasbourg).

Exposition. Le Kunstmuseum de Bâle annonce que c’est «la première fois que Konrad Witz est accessible dans toute sa richesse à un vaste public». L’exposition est à voir jusqu’au 3 juillet 2011.

(Source: Encyclopédie Universalis)

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