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Le ludique Gabriel Orozco au Kunstmuseum de Bâle

«My hands are my heart», l'une des nombreuses oeuvres de Gabriel Orozco exposées à Bâle. Gabriel Orozco

Après Van Gogh, le Kunstmuseum de Bâle, qui fut le premier musée public au monde, retrouve un autre segment artistique où il excelle: l’art contemporain. Jusqu’au 8 août, il expose le ludique sculpteur et artiste conceptuel mexicain Gabriel Orozco.

«Si vous avez manqué l’avant-garde artistique des deux dernières décennies, vous avez la chance de pouvoir en rattraper les bons côtés.» C’est la revue «New Yorker» qui donnait ce conseil l’an dernier, à propos de l’artiste mexicain Gabriel Orozco, exposé au Musée d’art moderne (MoMA) à New York.

Cette même exposition est désormais accrochée au Kunstmuseum de Bâle. De la voiture DS reconfigurée à l’œuvre «Black Kites», un crâne décoré comme un échiquier, Gabriel Orozco joue avec nos clichés tout en se confrontant à l’histoire de l’art.

Car, aussi étrange que cela paraisse, on pourrait tisser une filiation – toute subjective – entre Holbein (dont le Kunstmuseum compte de très nombreuses œuvres), Duchamp et Orozco. Avec ces trois-là, le monde est différent de ce qu’il semble être, et mieux vaut donc y regarder à deux fois…

A la manière d’Holbein le Jeune et de ses «Ambassadeurs» (à la National Gallery de Londres), avec l’anamorphose du crâne qui plaçait subrepticement le tableau dans le genre des vanités, Gabriel Orozco, né en 1962 au Mexique, déforme la réalité.

Une divine DS…

Le Kunstmuseum de Bâle a eu l’excellente idée de placer l’oeuvre «La DS» dans la première salle, invisible du visiteur qui se dirige vers le seuil et qui scrute, vision déjà suffisamment perturbante, quatre vélos soudés les uns aux autres, guidons orientés dans des sens opposés. Mais, preuve du sens ludique de Gabriel Orozco, l’œuvre est intitulée «There is always one direction»…

Il faut entrer dans la salle. A gauche, «La DS», plus vraie que nature, saute au regard. Plus vraie que nature? Justement pas. Gabriel Orozco a supprimé la partie médiane et a remonté le véhicule ainsi amputé.

«C’est le principe fondamental de l’artiste, expliquait le directeur du musée et commissaire d’exposition Bernhard Mendes Bürgi lors de la présentation aux médias: l’extraction et la reconfiguration.» Cette DS n’a donc qu’un siège avant et qu’un siège arrière, le volant est au milieu et le compteur de vitesse s’arrête à 80 km/h.

Mouvement permanent

Gabriel Orozco vit entre Mexico City, New York et Paris. «Le mouvement permanent est un élément à part entière de son art», ajoute Bernhard Mendes Bürgi.

L’œuvre «Elevator» est une cabine d’ascenseur posée sur le sol. Le symbole du mouvement, mais immobilisé. Gabriel Orozco a en outre abaissé la hauteur de la cabine à sa propre taille… A l’intérieur, le visiteur sent que quelque chose «cloche», sans forcément savoir pourquoi…

Numéros de téléphone

L’artiste, qui est aussi photographe, aime aussi les classements et les typologies. Il a découpé et remonté les numéros de téléphone de la ville de Monterrey en supprimant les noms. Il ne reste que les numéros, sur un rouleau de papier japonais de 25 mètres de long, à l’origine utilisé pour les livres de prière.

Sa prière à lui, c’est peut-être le nom de sa femme: sur une œuvre parallèle non exposée à Bâle, Gabriel Orozco n’a gardé que les abonnées se prénommant comme elle. «Maria», «Maria», «Maria», se lit à l’infini…

Chaos bien ordonné

Le centre de l’exposition est formé par des «Working Tables», œuvre acquise par le Kunstmuseum. Sur quatre tables à l’origine, une seule aujourd’hui, Gabriel Orozco a arrangé des objets trouvés dans la rue, mais aussi des sculptures personnelles.

Contrairement à d’autres artistes contemporains qui en font de savants chaos, le Mexicain laisse respirer les objets, soigneusement espacés et racontant chacun leur propre histoire.

Quant au crâne d’Orozco, il n’est pas anamorphosé. Il est en trois dimensions, et décoré avec une trame rappelant un jeu d’échec («Black Kites» où l’artiste montre aussi son goût des formes géométriques qu’il peint, rappelant le constructivisme russe, sur des photos sportives de journaux, entre autres…). Le temps qui passe, le jeu, la défaite: un memento mori dans la plus pure tradition iconographique.

Surprise finale

Comme pour les films dont il ne faut pas raconter le dénouement, on taira ici la véritable nature des «Lintels», bouts de tissus suspendus à des cordes à linge, remplissant la dernière salle.

Ce n’est pas le «Pissoir» de Duchamp, mais – outre qu’Orozco place beaucoup d’objets du quotidien au musée, ce qui ne le rend pas original en soi – le côté déjection aurait vraisemblablement plu au pionnier français.

Gabriel Orozco récupère, transforme, met le doigt sur nos contradictions et questionne sans en avoir l’air notre rapport au monde. Après le MoMA de New York et avant le Centre Georges Pompidou de Paris et la Tate Modern de Londres, Gabriel Orozco est exposé à Bâle jusqu’au 8 août.

Ariane Gigon, Bâle, swissinfo.ch

Le Kunstmuseum de Bâle a ouvert en 1661, lorsque la ville a acheté la collection du Bâlois Basilius Amerbach. C’est le premier musée public du monde.

Le Kunstmuseum possède la plus grande collection d’œuvres de la famille Holbein. La Renaissance est aussi très riche dans les salles du Kunstmuseum, avec des œuvres de Konrad Witz, Martin Schongauer, Lucas Cranach l’Ancien, Mathias Grünewald et d’autres.

Arnold Böcklin est un des points forts de la collection du 19e siècle. Le Musée compte, entre autres représentants du 20e siècle, de nombreux œuvres de cubistes (Picasso, Braque, Léger), l’expressionnisme allemand, et les artistes américains dès les années 50.

L’art contemporain est accroché au Museum für Gegenwartskunst.

Gabriel Orozco est né à Xalapa, dans l’Etat mexicain de Veracruz.

Après une enfance très artistique et baignée d’anti-américanisme (nous apprend un portrait du «New Yorker») entre un père peintre et professeur d’art et une mère pianiste, il a fait des études classiques de beaux-arts, avec un diplôme obtenu en 1984.

En 1985, il découvre la photographie lors du tremblement de terre au Mexique.

Il part ensuite pour Madrid et l’Europe et revient au Mexique en 1987, créant un groupe avec d’autres artistes.

Sa première œuvre connue, «My hands are my heart», exposée à Bâle, date de 1991. Depuis, il vit entre le Mexique, New York et Paris.

L’exposition est à voir à Bâle jusqu’au 8 août. Elle sera ensuite accrochée au Centre Georges Pompidou de Paris et la Tate Modern de Londres.

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