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Derib et Yakari, vus de l’enfance…

Amarande et Morgan avec Derib, dans son atelier. swissinfo.ch

«Le marcheur de nuit», c’est ainsi que s’intitule le 30e tome des aventures du petit Sioux inventé il y a presque quatre décennies par le Vaudois Derib.

Deux jeunes reporters, Amarande et Morgan, sont allés enquêter au domicile de l’artiste!

«Zut, j’ai oublié de mettre une bague!», dit Amarande (6 ans) dans la voiture qui l’amène chez Derib. A côté d’elle, Morgan (9 ans) chantonne, mais a les mains froides… Un peu de trac, peut-être?

L’accueil chaleureux de Derib les détendra rapidement. D’autant plus que le dessinateur leur annonce que pour lui aussi, être interviewé par de si jeunes journalistes, c’est une première. L’entretien peut donc commencer, sur la terrasse de la maison familiale, en pleine nature.

Morgan: «Le marcheur de nuit» est le 30e album de Yakari… vous n’en avez jamais eu assez de dessiner Yakari?

Derib: Non, puisque le 30e sort et que je travaille sur le 31e! Quand on crée des personnages comme ça, ils sont comme des enfants et on n’a aucune envie de les quitter. Yakari m’accompagne depuis bientôt 40 ans, et cela fait environ 34 ans qu’on y travaille avec Job. Donc on est drôlement habitués à lui et on serait malheureux de ne plus pouvoir raconter ses histoires.

Amarande: Pour les personnages, est-ce que vous avez besoin de modèles?

Derib: Les personnages, c’est un style de dessin qui fonctionne depuis toujours. Par contre, quand il y a un nouveau personnage animal, André me donne des photos de l’animal en question, et à partir de là, je les adapte au style de dessin de Yakari. Donc, oui, dans Yakari, je pars de modèles photographiques pour les animaux.

Morgan: C’est Job qui écrit les scénarios. Est-ce que vous avez le droit de ne pas aimer l’une de ses histoires?

Derib: Ce n’est pas que je n’aie pas le droit! C’est que cela m’embêterait beaucoup de ne pas aimer une histoire! Je n’arriverais pas à la dessiner aussi agréablement que si elle me plaît. Donc, à chaque fois, on s’arrange pour qu’elle nous plaise à tous les deux.

On cherche ensemble des pistes sur ce qu’on pourrait développer à partir d’un thème. Par exemple, le prochain, ce sera «Yakari chez les Appaloosas», il sait que j’adore les chevaux, que j’ai eu une petite jument appaloosa, donc là il y a peu de chances qu’on ne soit pas d’accord.

Mais parfois, il part dans des thèmes qui ne me seraient pas forcément venus à l’idée, donc j’attends qu’il développe ce qu’il a envie de dire, pour y trouver, moi, un intérêt. Une fois que j’ai trouvé cet intérêt, je lui dis comment je sens les choses, comment on pourrait les traiter, et c’est comme ça qu’on avance.

Amarande: Pourquoi vous avez choisi le métier de dessinateur?

Derib: Quand j’avais à peu près ton âge, je lisais les aventures de Tintin, puis ensuite ma maman nous a abonnés, mes frères et moi, aux journaux ‘Tintin’ et ‘Spirou’.

J’ai donc découvert la bande dessinée très petit, et j’ai dit à mes parents: quand je serai grand, je veux faire ce métier. Et je n’ai jamais changé d’idée. Maintenant, ça fait 40 ans que je suis professionnel, mais ça fait 55 ans que je dessine et que j’essaie de faire de la bande dessinée!

Amarande: Pourquoi racontez-vous surtout des histoires d’Indiens?

Derib: Parce que les premières BD que j’ai lues et qui m’ont beaucoup marqué, c’était ‘Corentin chez les peaux-rouges’, et une autre qui s’appelait ‘Jerry Spring’, où il y avait un Apache qui s’appelait ‘Une Seule Flèche’. Ces deux personnages-là m’ont beaucoup marqué et, depuis, j’ai toujours eu envie de raconter des histoires d’Indiens.

Morgan: Pourquoi avoir choisi la tribu des Sioux pour Yakari?

Derib: Je suis très marqué par les Sioux. D’abord parce que c’est les Indiens des plaines, qui galopent sur des chevaux dans de grands espaces, il y a des bisons. Tout ce qui me plaisait bien quand j’étais petit et qui me plaît toujours aujourd’hui. Et puis leur allure, leurs plumes… ils sont très beaux graphiquement.

Je suis resté bloqué sur eux! D’ailleurs, il n’y a pas que Yakari! Buddy Longway a épousé une femme sioux, et «Celui qui est né deux fois» comme «Red Road» se passent aussi chez les Sioux. Les Sioux sont donc vraiment la cible principale de mon intérêt par rapport aux Indiens.

Morgan: Yakari n’aime pas chasser… mais il pêche! Pourquoi?

Derib: Tu sais, il y a des gens qui mangent du poisson et qui disent qu’ils ne mangent pas de viande! Bon, Yakari mange aussi de la viande, mais il est plus intéressé par le contact qu’il peut avoir avec les animaux, puisqu’il a le privilège de leur parler. Avec les poissons, c’est un peu plus difficile, donc il leur est moins sensible. Tuer des animaux serait plus dur pour lui, parce qu’il peut parler avec eux.

Morgan: Est-ce que vous avez déjà été en Amérique, et avez-vous vécu avec des Indiens?

Derib: Je n’ai jamais été en Amérique du Nord. Mais je connais des Indiens, parce que beaucoup d’entre eux viennent en Europe pour parler des problèmes de leurs tribus et de leur Nation, parce qu’en Europe on les écoute mieux qu’aux Etats-Unis.

Remarque, Hergé n’a jamais quitté Bruxelles et a fait voyager Tintin à travers le monde entier! En fait, si je ne suis jamais allé là-bas, c’est qu’il y a pour moi des raisons profondes, enfouies dans mon subconscient, que je ne peux pas explorer ici en quelques minutes.

Le problème n’est pas au niveau de la documentation: j’ai des tas de films, et une bibliothèque entière sur les Indiens. Ce qui me manque peut-être, c’est de marcher dans des endroits comme Wounded Knee, ou à Little Big Horn, puisque j’ai parlé de ces endroits-là. Je pense qu’il se passerait quelque chose en plus. Mais je remarque que quand les gens qui sont allés sur place lisent mes BD, ils sont persuadés que j’y vais trois fois par année! Donc la crédibilité est là.

Je crois que j’ai une perception de ce que j’appelle ‘l’esprit indien’. Et d’après les contacts indiens que j’ai eus, je suis peut-être l’auteur de BD qui est le plus proche d’eux. Donc je crois que ce n’est pas une nécessité absolue d’aller sur place.

La seule chose dont je suis sûr, c’est que si je m’y rends un jour, je n’irai pas dans les réserves en touriste. Si j’y vais un jour, c’est parce que j’ai des contacts qui me permettront d’entrer dans le vif du sujet, si j’ose dire. Rencontrer des gens que j’ai envie de rencontrer. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas tellement le pays, mais l’âme indienne.

Je ne fais les choses que quand je sens qu’elles sont nécessaires. Et pour le moment, je n’ai pas ressenti cette nécessité d’y aller.

swissinfo, Bernard Léchot
Propos recueillis par Morgan et Amarande

«Le marcheur de nuit» est le 30e tome des aventures de Yakari, signées Job pour le scénario et Derib pour le dessin (Editions Le Lomard).
On y apprend enfin pourquoi l’Indien «Œil de Bouillon» traverse tous les albums de Yakari en dormant…
Derib sera l’invité d’honneur du Festival du Mans, en France, dont il signe l’affiche. Du 8 au 10 octobre.

– De son vrai nom Claude de Ribaupierre, Derib est né en 1944 à La Tour-de-Peilz, dans le canton de Vaud, où il vit toujours.

– Entré à 20 ans au Studio Peyo, il y participe à l’album «Le Schtroumpfissime».

– Ses principales séries sont «Yakari» (créé en 1969), «Buddy Longway», «Celui qui est né deux fois», «Red Road». L’univers indien en est le centre.

– Il a également signé plusieurs BD au propos pédagogique: «Jo» sur le SIDA, «Pour toi Sandra» sur la prostitution, «No Limits» sur la violence.

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