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Explosion de cuivres et de voix en hommage à Quincy

Herbie Hancock, Quincy Jones et Claude Nobs. Keystone

Pour Quincy Jones et le Montreux Jazz Festival, ce 14 juillet restera dans les annales: les 75 ans de «Q» ont été fêtés à travers un spectacle marathon, luxueux et boulimique, qui a simplement... fait le tour d'un large pan de la musique du 20e siècle.

«Quincy Jones est le dernier survivant, compositeur de jazz, de pop, de hip-hop, de musique de film, il a touché à tout avec un génie incomparable», nous disait Claude Nobs, fondateur et directeur du festival, il y a peu.

Et le musicien suisse alémanique Pepe Lienhard, nommé directeur musical de la soirée, ajoutait: «Quincy Jones, c’est l’influence la plus importante de ma vie (…) Jouer à Montreux pour Quincy Jones, pour moi, c’est ‘a dream come true’, un rêve qui devient réalité. Et c’est aussi un honneur.»

C’est d’ailleurs Pepe Lienhard qui ouvre la soirée à la tête du «Swiss Army Big Band», cela ne s’invente pas. Un 1er set leur est entièrement réservé et démontre que si l’armée suisse fait parfois sourire, sur un plan musical en tout cas, elle n’a pas grand chose à envier aux Etats-Unis… Ses seize cuivres, aussi énergiques que millimétrés, décoiffent allégrement.

«Quincy’s 75th Celebration»

Pour les deux sets suivants, au «Swiss Army Big Band» va s’ajouter un groupe créé pour l’occasion, le «Montreux In The House Band», conduit par le pianiste Greg Phillinganes, avec notamment Nathan East à la basse et Paul Jackson jr. à la guitare.

Autant dire qu’il y a du monde pour assurer le suivi des voix qui vont défiler au cours de la soirée. Peut-être devrait-on dire «nuit». «Tu as prévu quelque chose pour le petit déjeuner?», a demandé Quincy Jones à Claude Nobs au vu du programme.

Près de 50 chanteurs, solistes et musiciens. Une trentaine de morceaux interprétés. Comment résumer cela? Par des images, peut-être…

Rolls-Royce climatisée

L’impression de rouler en Rolls-Royce climatisée dans le désert du Nevada, non loin de Las Vegas. Ou de fouler une épaisse moquette dans un palace cossu de New York. Ou de participer à «La croisière s’amuse», pour reprendre l’expression un peu goguenarde d’une connaissance – par ailleurs collaborateur du Montreux Jazz Festival.

C’est flou? Alors citons plutôt quelques temps forts. Ce début de concert avec un arrangement drôle et jazzy de «The Good, The Bad and The Ugly» d’Ennio Morricone. La magnifique interprétation par Mick Hucknall (ex Simply Red) de «In The Heat Of The Night», film splendide de 1967, avec Sydney Poitiers, au thème chanté à l’origine par Ray Charles. Patti Austin chantant avec émotion «How Do You Keep the Music Playing».

Et quelques moments pénibles aussi: le trémolo de Nana Mouskouri est résolument incompatible avec «Smoke Gets In Your Eyes». Et Al Jarreau fera toujours du Al Jarreau. Mais ça, c’est personnel, me direz-vous à juste titre.

Bouffées d’air

Soli virtuoses (le piano de Herbie Hancock! La trompette de James Morrison! La batterie de Billy Cobham!), swing imparable, déluge de section de cuivres, changement de rythmes époustouflants… Mais quoi qu’il en soit, il faut avoir un solide appétit pour ne pas caler face au gigantesque menu concocté par le cuistot en chef Claude Nobs.

Surtout lorsqu’on a été biberonné à la musique des 60’s et 70’s, celle qui, justement, a donné un grand coup de balai aux orchestrations hypertrophiées des grands orchestres clinquants…

Alors, ce sont les approches les plus dépouillées qui soudain accrochent le spectateur: l’incroyable prestation du groupe «Naturally 7», des voix en guise d’orchestre – même Quincy se lève et applaudit à tout rompre. Chaka Kahn et Patti Austin, encore elle, unissant leurs voix pour chanter «Sister». L’harmonica intimiste du vieux Toots Thielmann, magnifique, ou la sobre intensité du chanteur Curtis Stigers.

Et puis l’arrivée de la panthère Angélique Kidjo, qui soudain glisse un peu de terre africaine sous les roues des rutilantes Américaines…

Deux hommes et un siècle

Quincy Jones est né dans la misère d’un Chicago d’un autre temps. Puis viendra la trompette chez Lionel Hampton, la direction musicale chez Dizzy Gillespie, la collaboration et l’amitié avec Ray Charles. Ensuite Paris, Barclay et ses artistes, d’Henri Salvador à Jacques Brel. Le retour aux Etats-Unis, la collaboration avec la grande variété américaine, Barbra Streisand, Frank Sinatra ou Tony Bennett.

Enfin, le triomphe planétaire avec la production de trois albums de Michael Jackson, notamment le disque de tous les records, «Thriller». Et Quincy n’hésitera pas ensuite à frayer avec le rap…

C’est peu après ces sommets-là que «Q» s’est acoquiné avec le Montreux Jazz Festival… et en a marqué l’histoire notamment en étant co-producteur des éditions de 1991 à 1993, employant le MJF pour y développer quelques projets fous.

Avec du recul, on se dit qu’il était logique, quoique pas nécessairement prévisible, que cet homme, qui a touché à tous les courants musicaux de la deuxième moitié du 20e siècle, qui a participé à en forger certains, collabore avec un autre homme mêlant passion et ambition encyclopédique, Claude Nobs, dont le festival, créé en 1967, ressemble de plus en plus, les années passant, à un dictionnaire de la musique. Ou plutôt à un «Wikipédia» de la musique. Car à Montreux, la musique continue de s’écrire, chacun y apportant sa contribution.

Caméras et micros veillent… Tout ce qui est joué à Montreux est filmé, enregistré, transformant les archives du festival en une véritable mémoire de la musique des temps modernes. Comme Mr. «Q».

swissinfo, Bernard Léchot à Montreux

Après des études de trompette, Quincy Jones, né à Chicago en mars 1933, chante dans un quartet de gospel à l’âge de 12 ans. Il passera par l’Université de musicologie à Boston.

Après avoir tourné comme trompettiste de Lionel Hampton, il va, dans les années 50, travailler avec Ray Charles, Count Basie, Duke Ellington…

En 1956, il enregistre son premier album solo: «This is how I feel about jazz». Gros succès.

Après New York, il travaille en France comme directeur artistique pour Barclay.

Quincy reçoit son premier «Grammy» en 1963 pour ses arrangements sur «I Can’ t Stop Loving You» de Count Basie. Mais son plus grand succès planétaire sera la production de l’album «Thriller» de Michael Jackson (1983).

Durant trois années de 1991 à 1993, Quincy Jones fut co-producteur du Montreux Jazz Festival.

Parmi les grands moments: le concert de 1991 avec Miles Davis et Quincy Jones, The Gospel Night en 1992, et en 1993 la rencontre de l’orchestre national de Lille et de ses 110 musiciens interprétant, sous la direction de Michel Legrand, les musiques de film de Quincy Jones et de Lalo Schifrin.

A noter aussi la célébration des 50 ans de carrière de Quincy Jones en 1996 avec notamment Phil Collins et David Sanborn.

Franco Ambrosetti
Patti Austin
Petula Clark
Billy Cobham
Herbie Hancock
Mick Hucknall
Al Jarreau
Chaka Khan
Angélique Kidjo
Beverly Knight
Nils Landgren
James Moody
James Morrison
Nana Mouskouri
Naturally 7
Paolo Nutini
Freda Payne
Lee Ritenour
Patrice Rushen
Joe Sample
Curtis Stigers
Toots Thielmann
Larry Williams
&
Greg Phillinganes
Paul Jackson Jr
Nathan East
David Delhomme
John Robinson
Paulinho da Costa
&
Pepe Lienhard et le ‘Swiss Army Big Band’

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