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Vous avez dit «Francophonie»?

Pierre de Cocatrix, l'un des piliers de la Francophonie. swissinfo.ch

L’année du quarantenaire de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) se conclura par le Sommet de Montreux. Mais à propos, concrètement, c’est quoi et à quoi cela sert-il, la Francophonie? Directeur de cabinet du Secrétaire général, le Suisse Pierre de Cocatrix répond à swissinfo.

Valaisan d’origine, le diplomate Pierre de Cocatrix a travaillé pendant deux ans comme conseiller politique d’Abdou Diouf, Secrétaire général de l’OIF, avant d’être nommé par celui-ci, en 2006, directeur de son cabinet. Une interview réalisée à Paris à l’occasion des festivités du quarantenaire.

swissinfo.ch: Comment définiriez-vous l’importance que revêt ce quarantenaire pour l’OIF?

Pierre de Cocatrix: C’est une date marquante. Depuis l’adoption en 1970 par les Chefs d’Etat de l’époque de la fameuse Convention de Niamey, la Francophonie institutionnelle s’est développée, s’est vue confier des missions par les chefs d’Etat et de gouvernement.

A l’heure actuelle, le cadre stratégique de la Francophonie est celui qui a été adopté à Ouagadougou, qui comporte quatre missions essentielles (voir encadré, ndlr) que l’Organisation met en œuvre quotidiennement.

swissinfo.ch: En 40 ans, la Francophonie institutionnelle a su se construire. Mais vu de l’extérieur, on a souvent de la peine à saisir concrètement son travail.

P. d. C.: C’est peut-être un manque de communication. Mais je peux vous assurer que la Francophonie est présente sur les cinq continents au travers des missions évoquées plus haut, et au travers de ses opérateurs que sont TV5 Monde, l’Association internationale des maires francophones, l’Agence universitaire de la Francophonie et l’Université d’Alexandrie.

Parallèlement, vous avez l’Assemblée parlementaire de la Francophonie des parlements francophones (qui regroupe des parlementaires de 77 parlements ou organisations interparlementaires, ndlr). Il y a réellement des actions quotidiennes sur le terrain.

N’oubliez pas non plus que la Francophonie a un budget relativement modeste – 80 millions d’euros – mais qu’avec cela, elle arrive, à travers les concertations francophones, à apporter sa valeur ajoutée sur la scène internationale. Une dimension qui n’existait pas auparavant…

swissinfo.ch: Car derrière une organisation que la langue unit, c’est bien d’une organisation politique qu’il s’agit…

P. d. C.: Oui, la Francophonie est une organisation politique avant tout. Cette dimension s’est concrétisée en 1997, lors du Sommet de Hanoï, avec la création du poste de Secrétaire-général. Le premier à occuper ce poste, Boutros Boutros-Ghali, est entré en fonction en 1998 et a œuvré pendant cinq ans. L’ancien président du Sénégal, Monsieur Abdou Diouf, lui a succédé.

Ainsi la Francophonie a-t-elle passé en quelque sorte d’une agence de coopération technique à une institution politique. Ce qui ne veut pas dire qu’elle néglige le reste: il y a toujours de la coopération, la promotion de la langue française, de la diversité culturelle, de la démocratie et des Droits de l’homme. Cela, c’est notre défi quotidien.

swissinfo.ch: Ce quarantenaire est placé sous le thème «La diversité au service de la Paix». Une façon d’insister justement sur cette dimension politique?

P. d. C.: Absolument. Quand vous voyez le nombre de crises auxquelles la Francophonie fait face actuellement, en particulier en Afrique, je n’ai pas besoin de vous dire les efforts entrepris par notre Secrétaire général pour tenter de trouver des solutions à ces crises. C’est à travers nos envoyés spéciaux, des concertations, ou tout simplement des échanges téléphoniques entre M.Diouf et les chefs d’Etat africains que l’on arrive à faire avancer quelque peu les choses pour éviter que la situation ne se détériore davantage.

Des Etats sont parfois suspendus, suite à une décision des Etats membres. Ce fut le cas il y a quelques années pour la Mauritanie, et qui entretemps a été rétablie dans la Francophonie, ou plus récemment avec la Guinée Conakry ou Madagascar.

swissinfo.ch: Pour pouvoir être considérée positivement dans la gestion des tensions en Afrique, la Francophonie n’est-elle pas trop étroitement liée à la France, et donc au souvenir du colonialisme?

P. d. C.: La France est un partenaire très important au sein de la Francophonie. Nous sommes bien sûr conscients de l’apport de la France, Etat-hôte de l’Organisation, dans le financement, la programmation et les actions menées par la Francophonie. Mais la France est un pays parmi les 70 autres Etats. L’OIF est une organisation multilatérale, c’est-à-dire que nous agissons par consensus.

swissinfo.ch: Il est étonnant de voir figurer dans la Francophonie plusieurs pays, par exemple est-européens, où le français n’a pas vraiment de grande tradition, mais pas la Louisiane…

P. d. C.: Il y a différentes catégories d’Etats au sein de la Francophonie. Des membres à part entière, trois membres associés (Chypre, le Ghana et l’Arménie) et quatorze observateurs, dont effectivement une grande partie provient de l’Europe centrale et orientale. La grande vague d’adhésions a eu lieu entre Ouagadougou 2004 et Bucarest 2006. Ces Etats ont considéré qu’il y avait un intérêt politique à adhérer à l’Organisation, qui, on l’a dit, n’est plus une simple agence de coopération culturelle.

Sinon, il y a deux entités régionales qui ont un statut particulier, celui d’«invités spéciaux». Ce sont le Val d’Aoste, dans le nord de l’Italie, et la Louisiane. Ils ne peuvent pas adhérer à la Francophonie, puisqu’ils n’ont pas de compétence en matière de politique étrangère, mais nous les considérons comme des ambassadeurs, des entités qu’il faut soutenir dans leur combat pour faire rayonner les valeurs de la Francophonie: promotion de la langue française, de la diversité culturelle et linguistique.

Le Val d’Aoste et la Louisiane participent depuis très longtemps à tous les Sommets de la Francophonie. J’ai bon espoir de retrouver ces deux «invités spéciaux» au Sommet de Montreux.

swissinfo.ch: Un Sommet qui sera un temps fort de cette année francophone, mais dont le thème n’a pas encore été dévoilé.

P. d. C.: L’OIF organise un Sommet de la Francophonie tous les deux ans. Le fait d’organiser le Sommet à Montreux a été proposé par les autorités suisses, compte tenu de la situation qui prévalait en matière de rupture de la démocratie à Madagascar, où le Sommet devait originellement se tenir. Le Secrétariat Général se félicite donc de l’engagement marqué de la Suisse pour accueillir ce Sommet.

Concernant la thématique, il appartient au pays-hôte, la Suisse, de faire un choix, lequel, je crois, est en train d’être finalisé. Puis les instances de la Francophonie – la Commission politique, le Conseil permanent – discuteront de cette proposition et, au cours des mois suivants, débattront, de façon à pouvoir faire une déclaration politique à Montreux, déclaration courte, mais avec un message hautement politique et de grande visibilité.

Bernard Léchot, Paris, swissinfo.ch

Anniversaire. L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) célèbre cette année son 40e anniversaire, fêté en particulier ce 20 mars, «Journée de la Francophonie».

Semaine. La 15ème ‘Semaine de la Francophonie’ a lieu du 20 au 28 mars 2010.

200 millions. Dans le monde, près de 200 millions de locuteurs parlent français.

70 Etats. L’OIF regroupe 70 États et gouvernements (dont 14 observateurs) répartis sur les cinq continents.

Les missions de la Francophonie sont définies dans un Cadre stratégique de dix ans adopté par le Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement en 2004 à Ouagadougou (Burkina Faso) pour la période 2005–2014:

– Promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique.

– Promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’Homme.

– Appuyer l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la recherche.

– Développer la coopération au service du développement durable.

Une attention particulière est accordée aux jeunes et aux femmes, ainsi qu’à l’accès aux technologies de l’information et de la communication.

Montreux. Le 13e sommet de la Francophonie se tiendra du 20 au 24 octobre 2010 à Montreux, dans le canton de Vaud.

Engagement. La Suisse est membre de l’OIF depuis 1989.

Instances. Après avoir adhéré en 1996 à l’Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF), elle participe aujourd’hui à toutes les instances de la Francophonie – Sommet, Conférence ministérielle, Conseil permanent, etc.

Opérateurs. Elle participe également aux travaux de tous les opérateurs de la Francophonie: Agence universitaire, TV5 Monde, Association internationale des maires francophones, Université Senghor d‘Alexandrie.

Financement. La Suisse est l’un des cinq principaux bailleurs de fonds avec la France, le Canada, la Communauté française de Belgique et le Québec. La contribution annuelle globale de la Suisse à l’Organisation (y compris TV5) se monte à près de 13,5 millions de francs suisses.

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