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Au fond de l’eau, pour mieux remonter le temps

Mesure de l'inclinaison d'un pilotis par les archéologues neuchâtelois. Laténium

Dans le Lac de Neuchâtel, par trois mètres cinquante de fond, gisent les restes d’un village sur pilotis (1020-980 av. J-C) qui accueille ses premiers archéologues palmés…

Reconnu d’importance nationale, le chantier débute au moment où l’archéologie subaquatique célèbre ses 150 ans.

«L’archéologie subaquatique n’existe pas!» Limpide, indiscutable. Le journaliste venu tout exprès découvrir la chose peut rentrer chez lui.

Sauf que l’archéologue cantonal neuchâtelois Béat Arnold poursuit: «Elle n’existe pas car seule l’archéologie existe, avec ses techniques et ses interventions qui peuvent être entreprises aussi bien sur terre ferme, dans une grotte, que sous l’eau».

Depuis la première incursion dans un village submergé enregistrée en 1854, beaucoup d’eau est passée entre les pilotis…

Et les pilotis, on les trouve par milliers dans les lacs suisses. En baie de Bevaix, notamment, au beau milieu de la rive nord du Lac de Neuchâtel. Ici, Béat Arnold a participé aux fouilles de l’entier du village lacustre de Cortaillod-Est, couvert par les eaux.

Une réussite exemplaire pour l’archéologie de cette région connue pour un autre site, celui de la Tène.

Vingt ans plus tard

Vingt ans plus tard, un poil plus à l’ouest, l’archéologue vient de lancer les fouilles exhaustives du village palafitte de Bevaix-Sud, détaillé grâce à la photographie aérienne en 1982 déjà.

Entre le premier et le second chantier, il y a eu la construction d’une autoroute plus en amont, et des opportunités de fouilles à la pelle.

Les archéologues y ont mis toute leur énergie. Au final, voici «l’une des régions sur lesquelles on a le plus de données en Europe», se réjouit Béat Arnold.

Alliés à ces connaissances et à l’existence d’un chemin menant vers un autre site immergé, les fouilles lancées à Bevaix-Sud devraient permettre aux scientifiques de replacer le village et ses habitants dans leur «terroir».

Car l’autoroute achevée, l’attention peut maintenant se porter sur les sites subaquatiques. Il était temps.

Depuis la correction des eaux du Jura au 19è siècle, le sol lacustre subit une violente érosion due à la baisse du niveau du lac. Et l’état de la plupart des stations lacustres apparaît critique.

C’était le cas à Bevaix-Sud, explique Béat Arnold. «Dans les un à deux ans, certaines structures auraient été effacées de la surface du sol».

Trois ans au minimum

Au rythme de quatre mois consécutifs durant trois ans au minimum, sept archéologues-plongeurs vont fouiller ce village du Bronze final, composé de sept rangées de maisons (une vingtaine en tout), inscrit dans un cercle (une palissade en hêtre) de 70 à 80 mètres de diamètre.

Par trois mètres cinquante de fond, le travail des scientifiques consiste à récolter les objets d’origine biologiques (vannerie, bois d’écorce, ossements, manche d’outils en bois), les céramiques et les éventuels artefacts en bronze.

Une chance: vu l’éloignement de la rive (100 m), le site n’a pas été visité par les amateurs de pêche aux antiquités lacustres.

A la main, à la pompe-suceuse à tamis, les archéologues récoltent également les galets qui, sur un sol crayeux, ont par définition été amenés par l’homme.

Ce souci porté aux galets devrait permettre de répondre à une question qui taraude plus d’un chercheur: les murs des maisons palafittes étaient-ils en planches ou en dur?

Les pilotis au centre



L’essentiel de l’attention des archéologues va toutefois aux pilotis. Cartographiés, observés in situ sous toutes les coutures, puis retirés du sol, les pieux de chêne sont «autopsiés» et datés grâce à la dendrochronologie (correspondances des cernes).

L’objectif: suivre l’évolution du village dans le temps, mieux comprendre comment on gérait la forêt durant l’âge d’or des lacustres, et appréhender l’organisation du travail, grâce notamment aux traces laissées par les outils de taille.

Suivra évidemment, mais bien plus tard, la valorisation des éléments et données recueillis, puis la diffusion des connaissances acquises.

Durant cette longue course d’obstacles, Béat Arnold souhaite aussi former la relève qui, pour l’heure, fait des bulles…

swissinfo, Pierre-François Besson

Les premiers vestiges des peuples lacustres ont été identifiés il y a 150 ans dans le Lac de Zurich.
Les archéologues font remonter la naissance de l’archéologie subaquatique suisse à ce moment précis.
Mais les vrais débuts de l’archéologie subaquatique moderne et professionnelle en eau douce datent de la fin des années soixante, à l’instigation du Zurichois Ulrich Ruoff.
L’archéologie subaquatique est aujourd’hui largement pratiquée en Suisse (Lacs de Bienne, Neuchâtel, Zurich, Léman, etc).

– En ville de Bienne (Berne), le Musée Schwab présente son exposition «5000 ans. Plongée dans le temps», qui retrace 20 années d’archéologie subaquatique dans le canton de Berne. Jusqu’au 12 septembre.

– La société suisse d’archéologie subaquatique organise son deuxième congrès international en la matière, du 21 au 24 octobre prochains à Rüschlikon (Zurich). L’occasion de se pencher sur les apports de cette approche.

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