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Les peuples lacustres redécouverts

Le fameux tableau d’Auguste Bachelin «Village lacustre de l’âge du Bronze». Schweizerisches Nationalmuseum

Les premiers vestiges des peuples lacustres ont été retrouvés en 1854 dans le lac de Zurich. La découverte faisait alors sensation dans toute l’Europe.

150 ans plus tard, une vingtaine de musées consacrent des expositions à cet important chapitre de l’histoire suisse.

Lors de l’hiver 1854, profitant d’un niveau des eaux extrêmement bas, la municipalité de Meilen confiait à des ouvriers la construction d’un port situé sur la rive du lac de Zurich.

Les travaux permirent de mettre au jour des objets à la fois vieux et étranges, très bien conservés, et des pilotis de bois enfoncés dans le sol du lac. Il s’agissait des premières traces d’un village lacustre.

L’érudit zurichois Ferdinand Keller a alors élaboré l’hypothèse de villages construits sur des plate-formes reposant sur ces pilotis, et reliées entre elles par un système de ponts et de passerelles.

Suite à la découverte de vestiges similaires dans d’autres lacs suisses, naissait le mythe du «peuple des pilotis», mythe qui s’est répandu dans toute l’Europe.

Durant les décennies suivantes, les centaines de villages lacustres ont été retrouvés, surtout sur les rives des lacs alpins – de la France à la Slovénie – mais aussi dans d’autres régions d’Europe.

Une réalité moins romantique

Aujourd’hui, les spécialistes préfèrent plutôt parler de «peuples lacustres» qui ont construit leurs habitats à diverses époques, entre 4300 et 800 avant JC.

Et les techniques modernes d’analyse scientifique et de datation ont permis de comprendre que les villages reposaient en réalité sur la terre ferme, généralement dans des zones marécageuses. A cette époque, le niveau des lacs était beaucoup plus bas qu’aujourd’hui et variait d’année en année.

Il n’existait pas non plus de plates-formes, mais seulement de simples maisons surélevées et séparées les unes des autres. Les centaines de pieux enfoncés dans le sol provenaient en fait d’époques diverses.

La réalité s’avère donc beaucoup moins romantique que le portrait brossé il y a 150 ans. Une image d’ailleurs bien ancrée dans la population, puisque, pendant des dizaines d’années, journaux, peintres, romanciers ou encore livres d’histoire avaient propagé le mythe des villages sur pilotis.

Une nouvelle conscience historique

Cependant, aujourd’hui encore, la découverte faite à Meilen est considérée comme une véritable révolution pour l’archéologie européenne, comme l’explique Marc-Antoine Kaeser, commissaire de l’exposition organisée à Zurich par le Musée national suisse à l’occasion du 150e anniversaire.

«Jusqu’alors, les recherches sur la préhistoire n’avaient permis de découvrir pratiquement que des objets liés à la mort, comme des tombes, des armes ou des sites militaires, explique-t-il. Les villages lacustres et leurs objets représentaient au contraire les premières traces permettant de comprendre la vie de nos ancêtres.»

Mais surtout, les vestiges des peuples lacustres ont ouvert une nouvelle vision historique en Suisse comme dans les autres pays européens. Soudain, l’histoire ne commençait plus avec les Romains.

«Les habitats lacustres témoignaient de l’existence de peuples habiles et intelligents avant l’occupation romaine, souligne Marc-Antoine Kaeser. Ils permettaient en somme de redonner à la population suisse une nouvelle conscience de ses propres origines.»

Cela a suffit à pousser les politiciens de l’époque à récupérer habilement ce message. Le mythe des lacustres était en effet idéal pour cimenter un Etat fédéral encore fragile – il venait d’être créé (1848) – et pour donner une identité commune aux différents peuples et cultures du pays.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, en 1867, le gouvernement a chargé le peintre Auguste Bachelin de réaliser un tableau dépeignant un village lacustre de l’époque du Bronze pour représenter la Suisse à l’exposition universelle de Paris.

Des pièces de grande qualité

Le succès archéologique lié aux lacustres est également à mettre en relation avec l’incroyable qualité des pièces retrouvées, ainsi que le montre l’exposition du Musée national suisse, qui présente 150 objets provenant des lacs suisses.

Contrairement à ce que l’on croit, l’eau conserve parfaitement les matériaux. A condition toutefois qu’ils restent toujours à l’abri de l’air. Heureusement, tel était le cas dans les couches de vase ou de sable des rives des lacs.

«Généralement, les archéologues ne disposent presque que d’objets en métal, en pierre ou en verre pour interpréter le passé», explique Marc-Antoine Kaeser.

«Pour ce qui concerne la période des lacustres, nous avons en revanche retrouvé de nombreux restes organiques, poursuit-il. Il s’agit d’objets en bois et même de noisettes, de pommes séchées ou d’aliments qui nous permettent de comprendre les habitudes alimentaires et le mode de vie de ces peuples.»

Encore de nombreux secrets

Pourtant, à l’occasion de ce 150e anniversaire, les archéologues lancent un cri d’alarme. L’urbanisation croissante sur les bords des lacs, et surtout la pollution, vont détruire en peu d’années un patrimoine inestimable qui était parvenu à traverser les millénaires.

Il se trouve encore aujourd’hui sur les rives des lacs des milliers d’objets qui pourraient nous permettre de remonter le long cours de l’histoire et de révéler encore de nombreux mystères qui entourent la vie de nos ancêtres.

Une question en particulier reste ouverte. Pourquoi les lacustres ont-ils choisi de vivres dans ces terrains marécageux et humides? A cela, l’exposition de Zurich n’apportera pas de réponse. Mais ce n’est pas son objectif.

«Avec les diverses manifestations organisées cette année à travers toute la Suisse, nous voulons plutôt faire revivre la fièvre pour les peuples lacustres, en montrant que la réalité archéologique est aussi fascinante que les mondes imaginaires construits pendant des décennies autour du peuple des pilotis», conclut Marc-Antoine Kaeser.

swissinfo, Armando Mombelli
(traduction: Olivier Pauchard)

De 4300 à 800 avant JC: des peuples dits «lacustres» occupent les rivages des lacs suisses et européens.
1854: pour la première fois en Europe, des vestiges sont découverts sur les bords du lac de Zurich.
2004: une vingtaine de musées suisses organisent des expositions pour fêter ce 150e anniversaire.

– L’exposition «Les Lacustres» se tient au Musée national suisse, à Zurich, du 27 février au 13 juin 2004.

– Le public pourra y découvrir 150 objets découverts dans les lacs du pays.

– L’exposition présente également des films qui retracent la vie des peuples lacustres, et aussi des documents remontant à l’époque où les premiers vestiges ont été découverts.

– Le curateur de l’exposition, Marc-Antoine Kaeser, publie un ouvrage intitulé «Les lacustres – archéologie et mythe national» (Presses polytechniques et universitaires romandes, collection «Le savoir suisse»).

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